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Course folle à la perfection

Lorsqu’arrive la trentaine, on regarde en arrière et on se rend compte de tous les rêves éteints, de toutes ces aventures manquées, de toute notre imperfection. Mais cette course folle à la perfection à laquelle nous incite notre société est-elle justifiée ? Pour commencer à être bon, ne vaut-il pas mieux de sortir de la folle logique de l’utilité et accepter notre humanité ?

« On ne voit pas le temps passer », écrivait Jean Ferrat. La vie va vite. On est bousculé par le temps, on court après l’argent, on provoque des rencontres virtuellement. Éternel insatisfait, l’être humain cherche à avoir toujours plus. Mais est-il vraiment heureux ? L’Évangile de Matthieu propose un élément de réponse : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Vous-mêmes, ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? » (Mt 6, 26)

Une vie imprévue

Dernièrement, j’avais la joie de souffler une bougie de plus, entourée de mes proches, selon les règles de l’art pandémique, évidemment — oui, à mon sens, c’est devenu tout un art de jongler avec la myriade de mesures sanitaires. En cette année particulière, une autre décennie se termine pour moi. « Comment te sens-tu à 30 ans ? », me demande-t-on. « Je suis en paix… », que je réponds spontanément. 

Mes propres mots me prennent par surprise, m’émeuvent. Hier encore, je ressentais un tel vide alors que je faisais le point sur ma vie. Que de rêves éteints ! Que de désirs inassouvis ! Que de plans jetés aux oubliettes ! Rien de ce que j’avais prévu pour la trentenaire que je suis aujourd’hui ne s’est concrétisé. 

Ma vie professionnelle et financière, ma vie personnelle et amoureuse, ma vie relationnelle et spirituelle… rien. L’orgueil et la pression sociale dépeignent ma vie comme un échec et ça fait mal.

Heureusement, relativiser rend mon insatisfaction latente moins lourde à porter. Combien de fois l’être humain se laisse-t-il influencer par les standards de la société ? Dès le berceau, on nous indique la voie à suivre. 

« La voie parfaite »

Toute notre vie, bien souvent à notre insu, on nous dicte les comportements à adopter. Mange des pommes pour rester en santé. Sois poli avec l’autorité. Ne porte pas de jupe si tu es un homme. Prends soin de l’environnement. Choisis un métier qui te passionne. Procure-toi une tablette plus performante, tu en as besoin. Assure-toi de fonder une famille et ne manque pas de lui laisser un héritage. Entraine-toi chaque semaine, mais n’oublie pas de te reposer. Nourris ton intelligence le plus souvent possible. Développe et entretiens une spiritualité saine qui puisse te guider dans les moments les plus difficiles… 

Cette réalité est pour moi une course folle à la perfection. Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, personne ne peut se vanter de répondre à toutes ces prescriptions sociétales.

Autant d’impératifs qui façonnent notre quotidien, voire notre personnalité. Est-ce bien ? Est-ce mal ? À chacun son histoire. 

Franchement, cette réalité est pour moi une course folle à la perfection. Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, personne ne peut se vanter de répondre à toutes ces prescriptions sociétales. Avec les années, ça devient épuisant de toujours vérifier à l’externe ce que l’interne peut déjà confirmer. 

Faire partie de la nature

Dans mes moments de doute, l’appel de la nature me ramène à l’ordre. L’automne étant de loin ma saison préférée, je me sens privilégiée d’avoir vu le jour en octobre. L’évasion automnale me procure un sentiment de plénitude unique où tous mes sens se régalent. Les couleurs sont flamboyantes. La brise dans les feuilles, apaisante. L’odeur terreuse, enivrante. Les multiples textures, exquises. Et que dire de toutes ces récoltes qui ravissent les papilles ! 

Comment ne pas être reconnaissant pour ces délices divins ? Pourtant, rien n’est plus imparfait que la création de Dieu. Aucun arbre n’est tout à fait droit. Aucune pierre n’est vraiment sphérique. Aucun être vivant n’est exactement symétrique. Or, la science l’a depuis longtemps prouvé : la nature abreuve l’assoiffé et réconforte l’affligé. Cette nature, Dieu l’a créée parfaitement imparfaite. 

Pour mon anniversaire, une tante que j’aime beaucoup m’écrivait : « Dieu est toujours là, il sait ce qui est bon pour nous. Alors, ne crains rien et profite des petites joies qui passent. C’est ça, le bonheur. » Elle est bien sage, ma tante.

Elle est comme cette rose que le poète Angelus Silesius décrit magnifiquement : « La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, n’a pour elle-même aucun soin, ne demande pas : suis-je regardée ? » Ma tante fait fi des normes sociales et prie avec ferveur, simplement.   

« Comment te sens-tu à 30 ans ? », me demande-t-on. « Je suis en paix, maintenant. » Maintenant. Parce que je délaisse volontairement cette course folle à la perfection, parce que je choisis de m’abandonner dans les bras de Dieu et de lui faire pleinement confiance. Parce que je fais partie, moi aussi, de sa création parfaitement imparfaite.


Catherine Daigle

Enseignante passionnée de langues, coiffeuse talentueuse, pianiste chevronnée, étudiante en théologie, reine incontestée des smoothies matin...Catherine ne cesse d’ajouter des cordes à son arc! Et c’est sans parler de ses harmonieuses cordes vocales, qui ont fait verser plus d’une larme d’émotion.