Illustration: © Marie-Pier LaRose.
Illustration: © Marie-Pier LaRose.

Celles qui en ont besoin

Le 13 mai 1917, au Portugal, la Vierge Marie apparait pour la première fois à trois enfants. Elle leur enseigne une prière: «Ô mon Jésus, pardonnez-nous, préservez-nous du feu de l’enfer; emmenez au Paradis toutes les âmes, surtout celles qui ont le plus besoin.» Les bergers reviendront, accompagnés de foules croissantes, et seront témoins de ce qui sera appelé le Miracle du soleil. Un siècle plus tard, le 13 mai 2016, Catherine tente de mettre fin à sa vie. Elle nous partage le récit de sa renaissance miraculeuse.

«J’ai fait quatre tentatives de suicide en tout. Quand j’avais douze ans, mon père s’est enlevé la vie. Il avait été militaire pendant plus de vingt ans. C’est un homme qui a beaucoup souffert. Il a été incapable d’aller chercher de l’aide. C’est en revenant de l’école que j’ai appris, un soir, qu’il s’était suicidé. Ça a créé une vague autour de moi.

«Dans mon monde d’enfant, c’était impossible que mon père meure. Au début, je ne l’ai pas cru.»

Crises d’adolescence

Catherine est en sixième année quand cette tragédie survient. Le passage au secondaire s’annonce compliqué, d’autant plus qu’elle doit déménager dans une ville éloignée.

«À partir de ce moment, j’ai vécu beaucoup de détresse. Ça faisait beaucoup de changements pour une enfant. J’ai eu de la difficulté à me faire des amis dans ma nouvelle école. Ceux que j’ai trouvés fumaient du cannabis. La consommation a d’abord été une façon pour moi d’entrer en relation avec les autres.»

La jeune fille recherche l’attention et nourrit des relations toxiques.


Ce texte est tiré du numéro MORT, printemps 2019. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.


«Mon adolescence a été rock and roll. J’essayais de faire mes preuves en tant que personne, de découvrir qui j’étais. Je vivais beaucoup de colère et testais les limites. Je n’étais ni polie ni sympathique. Je vivais avec ma mère, qui a dû lâcher prise. Tout le monde s’est dit qu’on allait me laisser vivre ma crise et que, de cette façon, ça passerait. Ça a duré des années.»

Catherine arrive à parler de ce qui s’est passé avec un enseignant en qui elle a confiance. Ce dernier est empathique à sa cause. On lui propose de l’aide, qu’elle refuse systématiquement.

«Les gens ont été très tolérants à mon égard. Quand je commettais des actes de provocation, on m’envoyait voir le psychologue au lieu de me punir. Ça s’est transformé en rébellion généralisée. À la suite de ma consommation, j’ai développé de l’anxiété. Je ne pouvais plus aller à l’école. J’ai fait trois tentatives de suicide.»

«Un soir, j’ai décidé que j’en avais assez. J’ai pris trop de médicaments et me suis endormie. La suite est inexplicable.»

Vers dix-sept ans, la tempête se calme. Elle a terminé son secondaire et entame des études de soins infirmiers. Dès le début, elle se passionne pour cette vocation, qu’elle trouve belle et grande. Le stress des études la rend vulnérable aux émotions de son passé. Elle est incapable de les enfouir et ne sait pas comment y faire face.

À dix-huit ans, elle fait sa dernière tentative de suicide, qui marquera un tournant dans son histoire.

Une deuxième chance

Ces heures terrifiantes de sa vie, Catherine me les raconte par écrans interposés, depuis l’Australie, où elle travaille comme gardienne au pair. Elle trouvait que sa vie manquait de piquant et a décidé de réaliser un rêve d’enfance.

Catherine reprend son récit. Elle se replonge à l’époque où elle se trouvait dans son logement de Sherbrooke, qu’elle partageait alors avec une amie:

«Un soir, j’ai décidé que j’en avais assez. J’ai beaucoup fumé, pour essayer d’oublier. Puis j’ai commis l’irréparable. J’ai pris trop de médicaments et me suis endormie. La suite est inexplicable. Je me suis réveillée dans mon appartement. Il n’y avait personne. Je me souviens d’avoir pris mon auto, sous l’influence de tous ces médicaments. J’ai conduit jusqu’à l’hôpital, je ne sais pas dans quel but. On ne sait pas comment je me suis rendue.»

En arrivant à l’hôpital, elle raconte ce qu’elle a fait. On la plonge dans un coma artificiel.

«Je voulais que personne ne le sache, surtout pas ma mère. On me demandait sans cesse si je voulais qu’on lui téléphone. Je refusais chaque fois. Tout juste avant de perdre connaissance, j’ai demandé qu’on l’appelle. Mes dernières paroles ont été: “Dites-lui que je l’aime, je ne pense pas que je vais passer au travers.”»

Tout se met à dégringoler. Catherine précise que ce qui suit, on le lui a relaté. Elle ne se souvient de rien:

«Quand ma mère est arrivée, d’une manière presque instinctive, j’ai ouvert les yeux. Le lendemain, mes organes se sont mis à lâcher les uns après les autres. J’ai fait un premier arrêt cardiaque. Les médecins ne pensaient pas du tout me ramener. À cause de la toxicité de ce que j’avais pris, ils ne pensaient pas que mon cœur allait pouvoir battre à nouveau.»

Cet arrêt cardiaque dure finalement cinq minutes. On réanime Catherine sans savoir si elle subira des séquelles. Deux jours après son admission à l’hôpital, un poumon s’affaisse, son foie commence à s’autodétruire, ses reins cessent de fonctionner. On fait signer à sa mère un papier précisant qu’il faudra laisser mourir Catherine si un deuxième arrêt cardiaque survient.

L’onction des malades

C’est à ce moment que Louise, la colocataire de Catherine, demande à la mère de son amie si elle peut faire venir un prêtre. Elle se rend régulièrement au chevet de son amie et ne sait pas quoi faire pour l’aider. Depuis quelques mois, Louise fréquente une jeune communauté catholique. Notre interlocutrice précise:

«Quand on s’était rencontrées, Louise et moi, on était plutôt sur le party. Je m’opposais férocement à l’idée de Dieu. J’en avais déjà parlé avec elle: pour nous deux, c’était clair que c’étaient des niaiseries. J’ai donc été intriguée quand je l’ai vue se rapprocher de l’Église.»

Quand elle broyait du noir, Catherine parlait à son père. Parfois, elle s’adressait à quelqu’un qu’elle ne pouvait nommer.

«Je me disais qu’à la messe il n’y avait que des vieux. Je ne voyais pas l’intérêt d’aller là. Puis on m’a invitée à la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin [à Sainte-Foy]. Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Quand je suis entrée dans l’église, tout d’un coup, j’ai senti plein de bien en moi. Cette flamme s’est éteinte rapidement.»

Celle qui a failli mourir revient à cette nuit obscure qu’un prêtre a traversée pour lui donner l’onction des malades:

«On espérait que ça irait mieux. Deux semaines se sont écoulées. De vraies montagnes russes. J’étais soutenue par les machines. J’avais des tuyaux dans la gorge pour me faire respirer. J’ai souvent frôlé la mort.»

Du jour au lendemain, la situation de Catherine commence à s’améliorer.

Vers la guérison

On espère alors faire sortir Catherine du coma. L’équipe médicale l’extube pour voir si elle peut respirer sans machine. La manœuvre se solde par un échec. On doit provoquer un nouveau coma et laisser la situation évoluer.

Deux semaines passent encore.

Louise revient à l’hôpital. Elle et la mère de Catherine récitent un Notre Père. C’est à la fin de la prière, au moment où elles prononcent amen,que Catherine ouvre les yeux pour la première fois. Elle les referme aussitôt.

On décide qu’il est temps de tenter une seconde fois de la réveiller. Cette fois-ci est la bonne. Toutefois, un si long coma laisse nécessairement des lésions.

«Quand je me suis réveillée, j’ai ressenti la douleur de façon beaucoup plus intense. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à réaliser ce que j’avais fait. J’ai dû réapprendre à marcher, à parler. Je n’avais plus de muscles. J’étais incapable de bouger même mes doigts. Je voulais tellement vivre. En une semaine, j’allais déjà mieux.»

Le regard que Catherine porte sur le monde a changé.

«La première fois que j’ai revu un arbre, j’ai ressenti une joie immense. Je regardais l’arbre et j’étais exaltée devant sa beauté.»

«Il y avait quelque chose de différent en moi. La première fois que j’ai revu un arbre, j’ai ressenti une joie immense. Une sensation inexplicable et nouvelle est montée en moi. Je regardais l’arbre et j’étais exaltée devant sa beauté.»

En convalescence, Catherine se dit qu’il doit bien y avoir une raison qui explique sa présence sur terre. Cette question lui reste en tête alors que le quotidien reprend son cours.

«J’ai décidé de poursuivre mes études en soins infirmiers. J’ai commencé à aller à l’église tous les dimanches. Avec mes amis, je suis allée visiter les Missionnaires de l’Évangile [NDLR: une communauté religieuse à Sherbrooke]. Durant notre séjour, nous devions dormir au monastère, chez les sœurs clarisses. J’ai découvert la chapelle ce soir-là. Durant cette fin de semaine, j’ai prié mes premières laudes. C’est comme si un soleil s’était allumé en moi.»

Elle discute avec un frère, qui lui parle de Notre-Dame de Fatima, fêtée le 13 mai. Catherine fait immédiatement un lien avec le miracle qui est survenu dans sa vie. Elle se sent attirée par la vie religieuse.

«J’ai voulu explorer cette voie. On m’a mis en contact avec la responsable du noviciat d’une communauté, que j’ai visitée le mois suivant. Ça a été un coup de foudre. Je me sentais à ma place quand j’étais avec elles. J’ai décidé de cheminer au sein de la communauté.»

Catherine se considère comme toujours en discernement. Son séjour en Australie lui permet de découvrir la vie de famille qu’elle n’a pas eu.

«Je vis ce voyage dans un but de discernement. Après tout ce qui s’est passé, j’ai besoin de faire le point afin de savoir si je veux vraiment m’engager dans la vie religieuse.»

La danse du soleil

Près de deux ans se sont écoulés depuis cette journée du 13 mai. Cette expérience de mort imminente a permis à Catherine de redéfinir le rapport qu’elle entretenait avec elle-même, les autres et Dieu. Aujourd’hui, elle vit une belle relation avec sa mère, qui l’encourage dans toutes ses démarches.

«Ma mère a vécu très difficilement me voir m’autodétruire. Elle en reste aujourd’hui très marquée. À travers ces épreuves, elle a gardé la foi. Elle priait et essayait de me parler de Dieu. Je ne respectais pas ses croyances. Je ne trouvais pas ça rationnel. J’ai souvent ri d’elle. Elle a fait de son mieux.»

La patience de la mère a fini par venir à bout de la rébellion de la fille. Les deux se sont rapprochées et cherchent désormais à travailler sur leur relation. Elles se téléphonent souvent et ne peuvent plus se passer l’une de l’autre.

L’isolement, la colère et le désespoir ont donné à Catherine un avant-gout de l’enfer. Son histoire ne s’est pas terminée là où elle l’avait prévu. À la suite des bergers de Fatima, elle a vu le ciel s’éclairer.

Catherine est désormais une jeune femme aussi chaleureuse que rayonnante. Par sa joie de vivre, elle témoigne d’un réel amour de Dieu et des autres. Elle mord à pleines dents dans ce que la Providence place sur son chemin. Dans ses périples sur le continent australien, elle consacre du temps à Dieu dans la prière quotidienne. Elle se sait précédée et a bon espoir qu’elle comprendra un jour quelle est sa place.

«Dieu est la personne à qui je veux me confier entièrement. La question reste à savoir comment.»


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Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.