bras robotisé

Andrée-Anne Bouchard : « La technologie, c’est un cadeau de Dieu »

Si elle n’avait pas son bras robotisé, Andrée-Anne Bouchard perdrait son autonomie, devrait être institutionnalisée et ne pourrait plus s’occuper de sa fille. Chaque jour, depuis 11 ans, cette Saguenéenne de 27 ans remercie le bon Dieu de lui avoir donné cette technologie d’assistance qui a changé sa vie.

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Un bref sourire traverse le visage d’Andrée-Anne quand je lui demande de m’expliquer son handicap. Elle sait qu’il est peu connu.

« L’arthrogrypose congénitale multiple, c’est une malformation de naissance qui se passe au niveau des membres, donc des bras et des jambes », m’explique la jeune femme assise devant moi, dans son fauteuil roulant, les bras croisés sur les cuisses. « C’est une atrophie musculaire qui fait que je n’ai pas de muscles, ou presque, et que mes articulations sont figées. »

Il s’agit d’un handicap rare, touchant d’une personne sur 3 000 à une personne sur 12 000. Les recherches à ce sujet sont récentes et parcellaires. Chose certaine, ce n’est pas génétique, a-t-on rassuré Andrée-Anne en 2016, après une prise de sang faite pour savoir si elle pouvait le transmettre à de futurs enfants.

Sous les regards craintifs de son entourage, elle met au monde Zoé en avril 2020, une petite surprise qui aujourd’hui lui « donne une raison de se lever le matin et de [se] battre pour avoir une vie digne ».

Douce enfance, dure adolescence

Jusqu’à la puberté, Andrée-Anne ne se rend pas compte qu’elle est différente. Elle a « été énormément aimée par [sa] maman et tout le clan familial ». Elle est la fille d’une mère un peu « fofolle, qui aime la vie », et cette dernière l’amène partout où elle va, sur sa hanche : voyages, restaurants, partys de famille, Andrée-Anne « est comme le prolongement de [sa] mère ».

 « Au primaire, j’étais “la populaire”, les gens se battaient pour mettre mes bottes à la récré, on se demandait qui allait s’occuper de moi », partage en rigolant celle qui a grandi à Hébertville. « J’avais beaucoup d’amis qui venaient souvent à la maison, ce qui fait que j’ai grandi entourée de gens heureux et qui m’aimaient », dit Andrée-Anne avant de préciser : « Tu ne peux pas avoir de pensées négatives envers toi-même si personne ne t’en dit, t’sais. »

C’est à l’adolescence que les choses se corsent.

« J’ai eu une période vraiment rough à 15 ans, durant laquelle je devais m’accepter », confie Andrée-Anne, qui doit faire le deuil de la femme qu’elle veut être sans pouvoir le devenir : sa mère.

« Cuisine, ménage, vaisselle, en quoi étais-je une femme si je ne pouvais pas faire les tâches domestiques ? » se demande Andrée-Anne, qui se referme alors face à sa mère.

L’adolescente se pose mille questions sur qui elle est, mais ne trouve pas de réponse dans la Bible, faute d’exemple d’une personne ayant son handicap. À cette difficile quête d’elle-même s’ajoute un deuxième diagnostic qui rend son adolescence infernale : le syndrome des vomissements cycliques.

Cette maladie provoque chez Andrée-Anne des acidoses métaboliques profondes, c’est-à-dire une surproduction d’acides qui s’accumulent dans le sang, provoquant une chute de la pression artérielle qui entraine le coma. Bien qu’elle prenne une médication d’urgence lorsqu’elle commence à vomir, la jeune femme doit généralement se rendre au bloc opératoire pour être mise sous intraveineuse.

« J’ai frôlé la mort à plusieurs reprises. Chaque mois, c’est comme si j’allais à l’hôpital me chercher un nouveau ticket pour vivre un mois de plus… c’est la pire période de ma vie », relate la jeune femme. Si les effets de la maladie sont moins intenses aujourd’hui, il demeure qu’elle a dû se rendre à l’hôpital 14 fois l’an dernier pour cette raison.

En mode survie pendant son adolescence, Andrée-Anne tourne le dos à tout le monde, à l’exception d’un seul : Dieu.

Pourquoi moi ?

Née dans une famille catholique pratiquante, Andrée-Anne hérite de la foi ardente de sa mère. Messe dominicale, chapelet quotidien, prière du soir, statue de la Vierge Marie trônant au centre de la maison : la foi est depuis toujours présente dans la vie de la Saguenéenne.

En bons termes avec son père biologique, André-Anne ne le voit pas fréquemment. « Dieu, c’est le Papa que je n’ai pas », m’explique-t-elle. « Il est mon confident et le guide de ma journée. Je me lève tous les jours en demandant: “Qu’attends-tu de moi aujourd’hui, Seigneur?” car si ce n’est pas pour plaire à Dieu, à quoi ça sert de faire tout ce qu’on fait? » se demande la jeune femme, qui souhaite le servir au quotidien.

« Un jour, alors que j’avais le cœur lourd et que je me plaignais à Dieu, j’ai entendu une voix en moi qui m’a bouleversée.
Elle m’a dit: “Si tu savais tout ce que tes souffrances m’apportent, tu m’en demanderais encore plus.” »

« Plus jeune, je ne voulais pas être une témoin ouverte comme ma mère, mais aujourd’hui, je pense que le Seigneur m’appelle à utiliser ma voix, continue-t-elle. Je ne sais pas pourquoi encore, mais je sens que de plus en plus les choses se placent pour que je parle de lui. L’entrevue qu’on fait en ce moment en est un exemple », lance Andrée-Anne en me souriant.

Je lui pose alors la question qui me brule les lèvres : « T’est-il arrivé de te demander pourquoi toi ? »

Andrée-Anne prend un temps pour réfléchir, puis me dit : « Dans les dernières années, oui, à cause des épreuves de la grossesse et de ma rupture avec le père de ma fille. Avant ça, j’embrassais mon quotidien avec une joie de vivre un peu naïve, mais avoir un enfant dans ces circonstances-là, c’est sûr que ça casse la naïveté », témoigne-t-elle avant de prendre une deuxième pause.

« Je ne sais pas pourquoi moi. C’est comme ça », dit Andrée-Anne en haussant les épaules, un sourire triste au visage. « Mais un jour, alors que j’avais le cœur lourd et que je me plaignais à Dieu, j’ai entendu une voix en moi qui m’a bouleversée. Elle m’a dit: “Si tu savais tout ce que tes souffrances m’apportent, tu m’en demanderais encore plus.” »

Un silence emplit la pièce. Nous sommes remuées par ces mots.

« J’ai aussitôt arrêté de me plaindre », ricane Andrée-Anne, les yeux humides. « J’ai dit: “Tu as raison, Seigneur, pardonne-moi; donne-m’en, je suis capable d’en prendre.” »

« Ce n’est pas pour autant plus facile d’accepter mon handicap », reconnait toutefois Andrée-Anne. « On est humains, hein ? Mais Dieu est là et il me le rappelle. Je suis en paix vis-à-vis de mon handicap, car je sais qu’il m’aime et qu’il est là. »

Un nouveau bras droit

Andrée-Anne reçoit « Jaco » en 2013. Sans l’aide des Fondations Marc Denis et Philippe Boucher qui le financent presque entièrement, l’adolescente de 16 ans n’aurait jamais pu s’offrir ce bras robotisé long de 90 cm, au cout de 45 000 $, aujourd’hui fixé à droite de son fauteuil roulant.

« J’ai vraiment reçu une vague d’amour », témoigne Andrée-Anne qui, à l’époque, reçoit une pluie de dons alors qu’elle est hospitalisée pour une double scoliose très prononcée qui lui donne un pronostic de vie de deux ans.

« Ça a été un moment vraiment joyeux quand j’ai reçu Jaco », dit-elle le sourire fendu jusqu’aux oreilles.

bras robotisé

Créé en 2009 par l’ingénieur et entrepreneur québécois Charles Deguire et son partenaire d’affaires Louis-Joseph Caron L’Écuyer, le bras robotique doit son nom à Jacques Forêt, l’oncle de Charles Deguire, qui souffre d’atrophie musculaire.

Inspiré de la célèbre lampe de la société de production de films Pixar, ce robot fabriqué en fibre de carbone et en aluminium, muni de trois doigts, reproduit les mouvements de trois articulations : l’épaule, le coude et le poignet. Il permet ainsi à l’utilisateur, qui le contrôle avec un joystick fixé sur son fauteuil roulant, de faire 16 mouvements distincts.

Aujourd’hui présente dans plus de 40 pays, cette technologie d’assistance vendue par l’entreprise Kinova est subventionnée dans plusieurs pays, mais pas au Québec, dénonce Andrée-Anne, qui se bat pour que le gouvernement la subventionne.

La vie avec Jaco

Grâce à Jaco, la vie d’Andrée-Anne « n’a rien à voir » avec celle d’autrefois.

« Il me permet d’ouvrir le robinet, de boire, de me brosser les dents et les cheveux, de me maquiller, de cuisiner des choses de base, de grignoter des collations, d’ouvrir des sacs, de jouer avec ma fille », énumère Andrée-Anne, qui ne pouvait pas faire tout cela avant.

« La technologie, c’est un cadeau de Dieu, c’est le résultat de l’intelligence que Dieu a donnée à l’homme pour qu’on puisse vivre confortablement », déclare la jeune femme qui remercie le Ciel, tous les jours, de lui avoir donné son bras robotisé. « Je n’en ai pas eu des vrais, mais au moins j’en ai un pour vrai », rigole Andrée-Anne, qui se dit « très chanceuse d’être née dans une époque où [elle peut] profiter de la technologie ».

Bien qu’encore dépendante de l’aide quotidienne de préposés, la jeune femme a gagné l’autonomie nécessaire pour rester seule à la maison. « Si demain, je n’ai plus Jaco, c’est l’institutionnalisation qui m’attend, car je ne pourrais pas maintenir mon niveau d’autonomie actuel, qui me permet d’avoir un nombre d’heures raisonnable d’aide à domicile, qui est limitée », partage-t-elle, inquiète.

« Je perdrais toute mon indépendance et potentiellement la possibilité de m’occuper de mon enfant », dit-elle avant d’ajouter, les dents serrées : « Ici, en plus, je devrais aller dans un CHSLD… Prions pour que ça ne soit pas ma croix, ça ne me tente pas. »

Celle qui prépare son entrée au doctorat pour devenir psychologue clinicienne déménagera l’an prochain dans un HLM familial, conçu pour les familles comptant un membre en situation de handicap. Un pas de plus vers l’émancipation qui réjouit grandement la jeune maman.

Je repars d’Hébertville énergisée et pleine d’une envie: vivre. Car si notre regard est attiré vers son impressionnant bras robotisé, c’est certainement la soif de vivre et la foi inébranlable d’Andrée-Anne Bouchard qui marque notre mémoire.

Photos : Marie Laliberté/Le Verbe

Frédérique Bérubé

Diplômée au baccalauréat en communication publique et à la maîtrise en journalisme international, Frédérique Bérubé est passionnée de voyages, de rencontres humaines et, bien sûr, d’écriture. À travers ses reportages, elle souhaite partager des histoires inspirantes et transformantes!