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Le collège où je travaille est plus ancien que la Confédération canadienne. À chaque fin d’année scolaire, je me fais un devoir de rappeler aux élèves qu’à l’origine leur collège était une école de pauvres. Au moment même où débutait la Grande hémorragie, des religieux se sont engagés à éduquer les Canadiens français afin qu’ils puissent défendre un jour les intérêts de ce qui allait devenir le Québec. Pour atteindre cet objectif, il fallait offrir le meilleur aux plus nécessiteux.

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Quand je constate les conditions dans lesquelles travaillent mes collègues du secteur public, je me désole que l’on ait abandonné ce projet. Les gouvernements se succèdent et n’arrivent pas à mettre un terme au système à trois vitesses. Qu’ils soient conservateurs ou solidaires, les politiciens locaux confient au privé leur progéniture. J’engage leurs enfants dans des activités de bénévolat afin qu’ils développent leur conscience sociale. Ils récoltent, en prime, des médailles et des bourses prestigieuses qu’ils méritent sans doute, mais dont ils n’ont pas vraiment besoin.

En 2017, on a confié à des personnalités publiques le projet de penser l’école de demain. Les six Lab-Écoles réalisés sont remarquables. Mais ces innovations n’améliorent pas la vie des élèves qui fréquentent les établissements jugés en « mauvais » ou « très mauvais » état, qui représentent 56 % des écoles du réseau public.

Les moyens de ses ambitions

Le Québec est riche d’un immense territoire, d’une population éduquée et d’une culture effervescente. Malgré cela, nous faisons partie des provinces canadiennes les plus pauvres. Pire encore : nous formons la société la plus inégalitaire au pays, 20 % de la population possédant 68 % du patrimoine.

Alors que réémerge le débat sur la souveraineté au Québec, cela m’amène à me demander ce que nous ferions d’une indépendance nouvellement conquise.

Dans une entrevue diffusée en 2006 sur les ondes de Télé-Québec, le cinéaste et militant Pierre Falardeau pourfendait ceux qui subordonnent le programme indépendantiste à un projet social. Avec la fougue qu’on lui connait, il proclamait : « La liberté, c’est une valeur en soi. Si tu mets des conditions à l’indépendance, t’es pas progressiste: t’es un trou d’***. » Pour le Québec, il désirait plus que des soupes populaires et des HLM. Il maudissait une pensée qu’il qualifiait de missionnaire.

De fait, en suivant la doctrine sociale de l’Église, on pourrait dire que la souveraineté du Québec n’est pas un objectif politique absolu, mais un moyen de poursuivre le bien commun.

Libres ensemble

Après être allées porter des denrées dans des familles défavorisées, certaines de mes élèves ne dorment pas pendant des jours. Elles n’arrivent pas à se sortir de la tête les scènes d’insalubrité dont elles ont été les témoins. Elles sont choquées de savoir que des enfants grandissent dans ces conditions.

Je leur parle des dimensions sociales et culturelles de la pauvreté. De ces liens essentiels à tisser. Du sens qu’il importe de donner à sa vie pour s’en sortir.

Quand on franchit les portes du vieux collège, on est forcé d’admirer la collection de livres anciens qui orne le hall d’entrée. On sent instantanément qu’on s’inscrit dans un grand projet.

Quel idéal fait-on miroiter aux élèves pris dans des classes sans fenêtre, où l’air est vicié et l’eau contaminée au plomb ?

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.