Une belle gang de clowns

Une autre Saint-Jean vient de passer et j’ai l’impression que c’est de mal en pis. Est-ce moi qui n’ai pas le cœur à la fête ou le cœur du peuple n’y est simplement plus ? Ce sentiment d’abattement généralisé, je le perçois à plusieurs niveaux, depuis plusieurs années, et pas seulement à la fête nationale.

Je le vois dans les rencontres de famille à Noël, à Pâques, dans certaines soirées d’anniversaires organisées ici et là, dans les spectacles : il n’y a pas de vie, de spontanéité.

Bref, c’est plate.

D’aucuns – et j’en suis – voudraient faire porter l’odieux au maire Labeaume, à Dame Nature ou à Marie-Mai pour le faible taux de participation au party sur les plaines, mais le phénomène me semble plus creux. Le cas de la Saint-Jean en est par ailleurs un excellent prototype.

Trop et trop peu

Il n’y a pas si longtemps, les fêtes étaient l’occasion, l’instant d’une soirée, d’une nuit, de mettre sur pause certaines conventions. La Saint-Jean-Baptiste, par exemple, nous permettait de nous promener en ville avec notre bière à la main.

La nouvelle morale hygiéniste est en train de reformater toute la société pour qu’il n’y ait plus aucun débordement : ne boit pas plus qu’un verre ou deux, ne fume pas, mange bien, couche-toi tôt pour être bien performant la semaine et bien consommer la fin de semaine. Merci!

Il ne s’agit pas d’être contre la vertu, mais contre cette vision qui consisterait à éradiquer de la nature humaine toute forme d’excès, d’impureté, voire de vices. La solution à l’excès n’est toutefois pas l’abstinence (du moins, pas dans la plupart des cas), c’est plutôt l’orientation donnée à cette impulsion dionysiaque qui fait défaut.

Fêter quoi ?

L’une des causes de cet affadissement socioculturel est certainement la perte du sens des fêtes. Ça fait déjà quelques années que les instances officielles nomment « Fête nationale » la Saint-Jean-Baptiste. On a même commencé à entendre parler de « fête du solstice ». Dieu sait que l’origine catholique de la fête ne nous parle plus, alors il reste l’option nationale. Et quand on est plus certain de la vouloir elle aussi, il ne reste que le solstice.

C’est la même chose avec Noël.

Toute fleur dont on coupe la racine et qu’on met dans l’eau finit par mourir.

Célébrer l’Incarnation, la naissance du p’tit Jésus? Non. C’est plutôt devenu une célébration des belles valeurs. Mais comme toute fleur dont on coupe la racine et qu’on met dans l’eau, elle finit par mourir. Alors, on retourne la chose en fête du solstice d’hiver.

Pourquoi fêter finalement ?

Aujourd’hui, il y a des fêtes de ceci et de cela, le festival de telle et telle chose. Il y a le vendredi, le début de session, la mi-session, la fin de session. Puis, finalement, pourquoi aurions-nous besoin de raison pour boire et nous gâter ? Faisons de la vie une fête perpétuelle : « Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (1 Co, 15, 32).

Le chrétien, un vrai fêtard

On imagine souvent un passé gris, bien rigide, où la morale et la culture régissaient les moindres faits et gestes. Pourtant, j’ai l’impression que nos aïeuls savaient vraiment festoyer. Le calendrier liturgique catholique (et le cycle saisonnier), qui scandait la vie de nos aïeuls, n’a rien de plate.

Il y a cinquante jours de fête après Pâques, plus le temps de la Pentecôte et des fêtes qui suivent (Fête-Dieu, Fête de la Trinité, Sacré-Cœur, etc.). Tous les dimanches de l’année sont des fêtes, tout le temps de Noël, les fêtes des grands saints, etc.

En bref, plus des deux tiers de la vie d’un catholique sont des temps de fête. Mais, il y a un autre tiers qui est un temps de préparation qui fait toute la différence (Avent, Carême).

Une chose nous apparait désirable lorsque l’on est, pour un temps, séparé d’elle.

Le désir vient du manque et une chose nous apparait désirable lorsque l’on est, pour un temps, séparé d’elle. La rareté crée de la valeur, alors que la familiarité, l’abondance engendre la banalité et le mépris.

À défaut de ne pas respecter un temps précis, circonscrit, pour fêter – donc de vivre l’autre moitié du temps dans l’abstinence – on finit par célébrer tout le temps, puis pour tout et, au final, pour rien.

Est-ce à dire qu’il faille être chrétien pour savoir festoyer? Non, pas du tout. Dans une culture de la satisfaction immédiate du désir, il faut retrouver la manière de cultiver ce désir, de savoir se préparer à la fête pour en jouir véritablement.

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Le clown a raison, clamait Fulton Sheen, parce qu’il intègre en même temps les deux dimensions de la vie : le tragique et le comique, le travail et le plaisir, la souffrance et la joie, la croix et la résurrection.

Enlevez l’un de ses pôles et vous n’aurez qu’une distorsion de l’un ou de l’autre : un désespoir lancinant et doloriste ou une exaltation mièvre et superficielle.

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.