«tout inclus»

Un métier comme un autre?

Vendredi soir, à l’émission juridique L’Arbitre. Une femme poursuit son ex-mari pour avoir publié des photos d’elle nue sur Facebook. Au cours des procédures, on apprend que ce dernier l’a prostituée à travers des réseaux échangistes. La femme est naïve. Elle ne se savait pas victime d’agressions sexuelles. On éprouve de la compassion à son égard. Nos bons sentiments nous réconfortent.

Rien de tel dans Le Commerce du sexe, le dernier film d’Ève Lamont qui est froid, brutal, à l’image de la réalité qu’il raconte. Dans cet univers qui s’alimente à même la misère humaine, c’est le rationalisme économique qui l’emporte. Implicitement, le film soulève la question suivante : peut-on « marchandiser » la sexualité sans faire violence à l’être humain?

La prostitution comme système

La plupart des discours qui traitent de la prostitution portent sur les femmes qui évoluent dans cette industrie. Qu’il soit misérabiliste ou complaisant, ce regard nous aveugle quant aux acteurs les plus importants du système prostitutionnel. Il place proxénètes et clients dans un angle mort qui nous échappe.

Dans Le Commerce du sexe, on retrouve plus de condos et de voitures de luxe que de larmes.

Interrogée à la sortie du film, Ève Lamont nous explique les raisons de ce choix : « J’ai entendu des histoires d’horreur tout au long du tournage, mais je ne voulais pas en rajouter. Ce film-ci n’avait pas pour objectif de décrire les conséquences dramatiques de la prostitution pour les femmes qui la pratiquent, mais bien de documenter le commerce du sexe tel qu’il est. Je crois que les gens, comme êtres humains, sont capables de juger par eux-mêmes ».

Les rouages d’une industrie

On ne devient pas prostituée du jour au lendemain. Un proxénète repenti avoue, un peu honteusement, avoir déjà pris des mois pour « travailler une fille ». Il confirme que le recrutement se fait partout : à l’arrêt d’autobus, au centre commercial, à l’école secondaire.

Pour entrer dans le milieu, la plupart des filles sont pimpées et ce, qu’elles évoluent dans les bars de danseuses, les salons de massage ou les agences. Beaucoup de proxénètes passent leurs journées à se la couler douce. Les filles doivent financer leur train de vie en travaillant dix à seize heures par jour. Quand la séduction ne suffit plus, la violence prend le relai. Si elles souhaitent quitter le réseau, elles doivent verser une « prime de départ », qui peut s’élever à plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Les proxénètes ne sont pas les seuls à profiter de la prostitution. On apprendra que les femmes doivent souvent payer pour se prostituer. Par exemple, une femme embauchée pour travailler dans les hôtels de luxe de Las Vegas devra débourser elle-même la location de la chambre, l’achat des billets d’avion et des tenues haute couture. Celle qui travaille dans un bar de danseuses doit aussi payer pour garder sa place. Les petites annonces placées dans la section « personnel » des petites annonces du Journal de Québec coutent dix fois plus cher que les autres.

C’est probablement ce qui, dans Le Commerce du sexe, m’a le plus choquée. Je m’attendais à ce que les « ennemis officiels » agissent mal. Pas à ce qu’autant de personnes profitent de l’exploitation des femmes par le crime organisé.

À travers le documentaire, on constate qu’au-delà de son apparence éclatée, l’industrie du sexe reste concentrée entre les mains d’un petit nombre de joueurs.  Grâce à certaines dispositions de l’arrêt Bedford, en 2014, un montréalais et sa fille ont reçu l’absolution inconditionnelle après avoir été accusés d’avoir « vécu des fruits de la prostitution ». Ils possèderaient à ce jour plus d’une quarantaine d’agences et beaucoup, beaucoup, beaucoup de dollars.

Le corps comme objet

L’idéologie néolibérale peut justifier la marchandisation de plusieurs dimensions de la vie humaine comme l’éducation, la santé, la sexualité. La chose est banale, cohérente avec la manière dont nous vivons notre relation à nous-mêmes, aux autres, au monde. Le corps n’est-il pas un objet dont on peut disposer à sa guise?

C’est sur cette anthropologie que repose le mouvement de défense des droits des « travailleuses du sexe », qui souhaite faire de la prostitution un métier comme un autre. L’argent peut acheter une certaine forme de consentement, mais pas le désir. Le corps ressentira comme un viol, le coït qu’il n’a pas désiré. Pour se protéger, la psychologie devra mettre en place différents mécanismes pour se dissocier du corps (voir les travaux de la médecin légiste Judith Trinquart). Pour Ève Lamont, on n’a pas un corps : « on est un corps ».

L’être humain est un être relationnel, qui se construit à travers la parole échangée avec l’autre. Lui nier l’accès à une parole vraie est une forme de violence, de déshumanisation. Le système prostitutionnel est fondé sur le silence et l’ignorance. Avec Le Commerce du sexe, nous ne pouvons plus faire comme si nous n’avions pas vu, n’avions pas su.

Pour voir ce film :

Cinéma Cartier (Québec)

Cinéma Excentris (Montréal)

Pour aider :

Faites un don à La Maison de Marthe, un organisme où l’on accompagne les femmes dans leur sortie de la prostitution. La Maison de Marthe ne reçoit aucun financement gouvernemental.

http://www.maisondemarthe.com/

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.