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Un enfant si je veux

C’est un midi comme les autres à la salle à manger du personnel. On discute de banalités. La conversation glisse, comme bien souvent, sur les enjeux familiaux. Une collègue annonce son intention de tomber enceinte d’ici la fin de l’automne. Pour des raisons logistiques, ce serait un moment propice pour accueillir le petit deuxième. Je suis contente pour elle. Mais l’échange me ramène à ma propre incapacité à avoir un enfant quand je le veux. Récemment, le diagnostic est tombé : infertilité secondaire. Ça ne dit pas grand-chose. Seulement qu’il n’y en aura pas de facile.

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Je connais plus de femmes, autour de moi, qui rencontrent des difficultés à enfanter que l’inverse. On accusera l’âge tardif, ce moment fatidique où, à trente-cinq ans, la fertilité chute dramatiquement. Est-ce que ça aurait été différent si on s’y était mis plus tôt? Peut-être que oui. Peut-être que non. Si le taux d’infertilité a triplé au Québec depuis les années 1980, je doute que cela ne résulte que de choix individuels. Les produits que nous consommons n’ont jamais contenu autant de perturbateurs endocriniens. On les retrouve dans les bouteilles d’eau, la lessive, les rideaux de douche…

Le bon moment

En privé, on s’échange tous les trucs pour tenter d’augmenter nos chances : ostéopathie, acuponcture, neuvaines… Si, d’un côté, nous restons proactifs dans nos démarches (le temps file!), j’essaie par la bande de pratiquer un certain lâcher-prise. Je revisite la séquence des évènements. Qu’aurais-je pu faire différemment ? En réalité, pas grand-chose. J’ai rencontré mon mari dans la mi-vingtaine. Nous nous sommes mariés relativement rapidement. Notre fille a pris son temps pour arriver, mais comme j’étais prise par le deuil de ma mère, ça m’arrangeait. Et nous voici.

Heureusement qu’à l’époque, je n’ai pas accordé trop d’importance à mon non-désir d’enfant. Quand j’en parlais, ça choquait parfois. On veillait à me rassurer : « Tu sais, Valérie, que tu n’es pas obligée d’avoir un enfant. » On ne comprenait pas que je m’astreigne à un projet aussi difficile sans en avoir envie. Que voulez-vous ? Je n’ai pas cette propension à l’héroïsme. Sacrifier mon sommeil, mes loisirs et ma santé mentale pour quelqu’un que je ne connais pas encore, ce n’est pas une idée qui me fait plaisir.

Le choix du non-choix

Bien sûr, on ne m’a pas forcé la main. J’ai consenti aux renoncements qui ont suivi la naissance de notre enfant. Parce que l’amour ne peut croitre que dans la liberté, jamais je ne supporterai ces sinistres personnages qui voudraient contraindre les femmes à la maternité. Eux aussi sont dans une logique de pouvoir et de contrôle.

Mais je comprends quand même pourquoi certains mouvements traditionalistes peuvent gagner en popularité auprès des femmes. Nous sommes nombreuses à être déçues par les promesses non tenues du féminisme.

De mon côté, je tâche de cultiver l’abandon plutôt que le ressentiment.

Au lieu d’un enfant-projet, l’avenir me réserve peut-être un enfant-cadeau.

Si Dieu le veut.

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.