Tel père, telle fille

Pour lancer notre saison radiophonique d’On n’est pas du monde, l’un de mes collègues est venu nous parler du film québécois Le guide de la famille parfaite

La curiosité désormais piquée, je n’ai pas hésité longuement à le choisir lors d’une récente escapade netflixienne. Et je n’ai pas regretté une seconde (j’abonde entièrement dans le sens de la critique de mon autre collègue Florence).

Comme parent, et j’oserais dire comme père, il m’a fait réfléchir sérieusement, d’autant que je venais de lire un livre de Meg Meeker sur la relation père-fille.

Meg Meeker

Meg Meeker est une médecin pédiatre spécialiste de l’adolescence. Plus de 30 ans d’expérience l’ont amenée, à travers ses nombreux livres, à souligner la spécificité du modèle paternel ou maternel dans la croissance et l’épanouissement de l’enfant. Sa vision s’appuie sur deux prémisses: 

D’abord, que l’homme et la femme sont différents et, en ce sens, elle veut aider les parents à comprendre la psychologie du sexe opposé.

Ensuite, que chacun a un rôle particulier dans le développement de chacun des sexes, et particulièrement pour le sexe opposé, dans la construction des relations futures.

Les rôles sur la touche

Avec l’éclatement de la société dite traditionnelle dans le dernier siècle, les modèles et les rôles sont à redéfinir. La femme a rejoint – et c’est une bonne chose – l’homme dans des sphères de la société et l’a bien souvent égalisé, voire surpassé, en compétence. 

« Meg Meeker s’adresse à des pères qui veulent renforcer le lien avec leurs filles, ou le reconstruire, l’utiliser pour structurer la vie des jeunes filles et celle des hommes. »

Une certaine partie du féminisme veut déconstruire l’autorité des hommes au plan familial (figure du père) et au plan social (l’homme politique, l’homme d’affaires et, plus généralement, la masculinité toxique). L’homme particulièrement doit donc se redéfinir, c’est pourquoi certains parlent d’une crise de la masculinité. 

Dans la culture nord-américaine moderne, et plus spécifiquement québécoise, les pères sont rarement dépeints comme bons, présents, aimants, etc. 

Pour venir contrer cette idée traditionnelle du père dictateur qui abuse de son pouvoir et de son autorité pour arriver à ses fins, on a soit des pères absents, tout aussi égoïstes, ou des espèces d’hommes roses sans colonne vertébrale qui craignent de déplaire à leur femme et à leurs enfants.

Héros ou saints ?

Je ne suis évidemment pas en accord avec cette représentation des pères.

D’un autre côté, j’ai spontanément un peu de difficulté avec l’image inverse, celle de l’homme sans taches, brave et courageux, qui peut facilement dériver en une forme d’idolâtrie de la personne qui n’a pas le droit à l’imperfection ou à l’erreur. Mais je me suis laissé guider par l’explication de Meg Meeker qui, elle, regrette que les pères ne soient pas assez représentés comme des héros :

« Nous savons tous que nous devrions aimer mieux. Ou être plus patients. Ou encore plus courageux, ou appliqués, ou fidèles. Mais le pouvons-nous ?

« Mieux aimer votre fille peut vous sembler difficile, mais pour elle, c’est très simple. La protéger et lui apprendre des vérités sur Dieu, le sexe, l’humilité ne demande pas d’être diplômé en psychologie. Cela demande seulement d’être père. » 

Elle définit un peu plus ici ce qu’est un héros :

« Les héros protègent les autres, ils persévèrent malgré les difficultés, ils font preuve d’un amour altruiste, ils sont fidèles à leurs convictions, ils connaissent le bien et le mal et réfléchissent avant d’agir. Les pompiers ne s’arrêtent pas face au danger. Les héros sont humbles, mais ils sont immenses aux yeux de ceux qu’ils sauvent. »

En fait, on pourrait parler de sainteté. 

Les enfants seront inévitablement un jour ou l’autre blessés par leurs parents ; ils découvriront qu’ils sont imparfaits et vivront une désillusion. ils ont besoin, au début à tout le moins, de passer par cette étape d’émerveillement, d’abandon, de confiance.

Puis, s’ils font l’expérience de la miséricorde de Dieu dans leur vie, ils pourront sans doute se réconcilier avec leurs parents.

La petite superhéroïne

Mais on est ici sur le plan spirituel, au niveau de la grâce, alors que ce Meg Meeker propose est une vision naturelle, psychologique.

L’idée du héros est certes fantasmée, stéréotypée, voire américaine, mais elle va dans le sens de ce que la sexologue-philosophe Thérèse Hargot explique. Les enfants grandissent en vivant d’abord ces stéréotypes et en les assimilant pour aller plus loin : les petits garçons dans leur phase de superhéros ainsi que les petites filles dans leur phase de princesse veulent être approuvés dans le regard de leurs parents et se faire dire qu’ils sont beaux, belles, aimables, dignes, etc.

Ainsi, le rôle du père n’est pas anodin : le fait qu’il cherche à se comporter en héros répond à cette aspiration chez sa fille. (Et je pense qu’il correspond également à ce désir du cœur de l’enfant toujours présent chez l’homme.)

Meg Meeker s’adresse à des pères qui veulent renforcer le lien avec leurs filles, ou le reconstruire, l’utiliser pour structurer la vie des jeunes filles et celle des hommes. Je comprends donc l’image du héros qui, à défaut d’être celle du saint, a ceci qu’elle convie l’homme à plus grand que lui de manière naturelle.

L’autorité

Un appel qui revient tout au long des pages – et qui m’a étonné par le fait qu’il n’est vraiment pas à la mode – est celui de réhabiliter l’autorité du père. 

« Souvenez-vous, quand elle s’oppose violemment à vos règles, elle ne fait que vous demander : “est-ce que j’en vaux la peine papa ?” »

Meg Meeker propose l’autorité comme voie pour sortir du père absent, ami ou dictateur.

Même, selon elle, il ne faut pas avoir peur d’être trop sévère, parce que « dictateur » ne veut pas dire « trop autoritaire ».

« Les pères ont besoin d’être stricts, mais il leur faut aussi être doux, aimants et tolérants. Il faut trouver un équilibre. Il est facile d’interdire, mais ne laissez pas croire à votre fille que vous êtes son ennemi. N’usez pas votre autorité de façon dure et blessante. N’essayez pas de vivre votre vie à travers elle. N’en faites pas un robot, mais guidez-là. »

D’où la racine grecque du mot « autorité » qui veut dire « faire pousser », « faire grandir ».


Pour aller plus loin :

Soyez forts pour vos filles : dix secrets 

que tout père doit connaitre, Meg Meeker, Éditions Artège 2018, traduit de Strong fathers, strong daughters (2006).

+ Aussi Strong mothers, strong sons (2014) dont la traduction française Mères, soyez fortes pour vos fils est à paraitre en novembre 2021 chez Artège.


James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.