Regretter d’être mère


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C’est une nouvelle mode: des mères avouent publiquement regretter leur rôle. Par la voie de balados, réseaux sociaux, entrevues télévisées, articles et mêmes livres, elles revendiquent le droit de briser ce «tabou» qui entoure la maternité.

L’écho des médias se fait élogieux. On acclame le courage de ces mères. Pour comprendre ce phénomène, j’ai scruté Le regret maternel, écrit en 2022 par Astrid Hurault de Ligny.

Quelque effort que j’y mette, je ne trouve en ce mouvement rien de sain ou de louable. Il sent le wokisme, promeut consciemment ou non l’égoïsme et produit un discours dommageable pour les femmes et les familles en général.

Mais que voilà un verdict sévère! À vous d’en juger. Voici d’abord la vision d’Astrid, suivie de ma critique.

Le regret maternel selon Astrid

Comment Astrid définit-elle le regret maternel? Il s’agit, selon elle, d’un ressenti sur lequel une mère n’a aucun contrôle. On ne choisit pas de regretter son enfant, dit-elle; ce regret nous tombe dessus, comme l’amour.

Il ne s’agit pas, précise-t-elle, d’une dépression postpartum, d’une pathologie qui pourrait se soigner. Un ressenti ne se soigne pas. On peut seulement vivre avec, en parler, cheminer en espérant que, peut-être, il s’atténue, et éventuellement disparaisse.

Il est facile de le dépister: si vous pouviez revenir en arrière, auriez-vous un enfant? Si la réponse est «non», vous regrettez votre maternité. Vous n’aimez pas votre enfant, alors? Astrid et les autres partisans de ce mouvement assurent que ce n’est pas le cas. Au contraire, vous l’aimez trop! Votre amour intense pour lui vous occasionne tant de préoccupations et de soucis qu’il aboutit à ce regret. Astrid elle-même aime tellement son enfant qu’elle donnerait sa vie pour lui, assure-t-elle dans un balado.

Notre autrice le martèle du début à la fin de son livre: elle ne regrette pas son fils, mais son rôle de mère. Elle adore son fils, mais elle déteste la maternité et les responsabilités qui en découlent. Sa vie d’avant lui manque, quand elle pouvait dormir, voyager, sortir, lire, autant qu’elle le voulait et quand elle le voulait.

Les causes du regret maternel

Pourquoi regretter sa maternité? Astrid ne désirait-elle pas un enfant? Elle témoigne que oui: elle et son mari chérissaient ce «projet» depuis plusieurs années. La grossesse était voulue, prévue, organisée.

Mais les deux tourtereaux ne savaient pas dans quoi ils s’embarquaient! L’enfant est né et les difficultés ont commencé. Un allaitement difficile, une intolérance au lactose, une hospitalisation, une pandémie, la famille qui vit en Europe, une avalanche d’émotions…

Plus jeune, Astrid aimait pourtant garder des enfants. Malgré cela, elle n’aurait jamais pu imaginer ce qu’implique la maternité. Elle ne s’attendait pas à changer autant. Sa «matrescence» (contraction des mots «maternité» et «adolescence», pour expliquer la naissance d’une mère) a complètement dénaturé sa personnalité d’avant. Comment le comprendre sans le vivre? Comment réaliser ce qu’implique la maternité sans devenir mère?

D’où sa conclusion tragique: c’est seulement en devenant maman qu’une femme découvre ne pas être faite pour la maternité. D’où, aussi, sa mission: prévenir les femmes évitera à plusieurs de connaitre pareil destin. La société, plaide Astrid, doit inclure davantage le discours sur le regret maternel et cesser de dépeindre la famille comme la mission privilégiée de la femme.

(Une parenthèse: suis-je la seule à ne pas être particulièrement frappée par l’éloge de la maternité que fait la société actuelle?)

Normaliser le regret

Qu’espèrent ces mères en publiant leur regret maternel? Astrid le dévoile à la toute dernière page de son livre: «Combien de personnes vais-je réussir à déculpabiliser grâce à ce témoignage? J’ai hâte de savoir.»

Déculpabiliser. Un mot-clé dans le livre d’Astrid, non sans raison. Cette pensée d’influence wokiste veut renverser la situation morale normale où une mère, comme toute personne en faute, se sent coupable si elle regrette d’être mère. Elle sent bien que ce regret lui vient de ne pas aimer profondément son enfant, sachant qu’aimer, c’est vouloir le bien d’autrui, et en premier lieu son existence. Certes, une mère en regret n’est pas dépourvue d’affection pour son enfant. Mais peut-elle sérieusement, comme Astrid, prétendre qu’elle mourrait pour lui tout en regrettant de l’avoir fait naitre?

Astrid ne trouve aucune faute à ce regret. La mère repentante est au contraire une victime. Elle «souffre» d’une situation hors de son contrôle. Il ne faut pas la dénoncer, mais la consoler, voire la féliciter, car elle affronte courageusement un lourd ressenti et l’opprobre social.

Difficulté et grandeur de la maternité

La maternité est difficile, c’est tout à fait vrai. On n’en imagine pas toutes les embuches tant qu’on ne s’y trouve pas confrontée. Moi-même, je n’étais pas consciente de toutes les épreuves auxquelles elle me confronterait. Le regret m’a tentée. Les larmes aux yeux, avec un fils de quelques mois, j’ai timidement interrogé mon directeur spirituel: «Étant une intellectuelle, étais-je faite pour ça? Me suis-je trompée? Que faire maintenant?»

Je n’aurais jamais pu imaginer le bonheur que je goute, quelques années plus tard, maintenant deux fois maman.

Son avis s’est trouvé en contradiction avec celui de la psychologue d’Astrid. Il n’a pas flatté mon «ressenti», ne m’a pas félicitée de ma lucidité et de mon courage. Plutôt, il m’a conseillé du repos et du recul avant de «figer» mes émotions en vérités éternelles. Et il m’a fait une promesse: «Tu seras heureuse. Vous serez heureux. Tu ne le vois pas encore, mais cet enfant est une bonne nouvelle. Pour toi et ton mari.»

Il avait raison! Ce ne sont pas seulement les difficultés de la maternité qu’on ne peut deviner d’avance, c’est aussi le bonheur qu’elle entraine. Je n’aurais jamais pu imaginer le bonheur que je goute, quelques années plus tard, maintenant deux fois maman.

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Interdit de juger

Tant mieux pour toi, me répondra Astrid! Mais c’est TON vécu et tu ne peux pas critiquer LE MIEN, ajoutera-t-elle. Car elle interdit, dès les premières pages de son livre, le désaccord éventuel. Il s’agit de son ressenti, son histoire, point barre. Personne n’a le droit de juger ou de critiquer.

Là, je ne suis pas d’accord.

Certes, le livre d’Astrid témoigne de sa vie personnelle. Je n’entends pas m’objecter aux faits singuliers qu’elle y raconte. Je la crois quand elle raconte les épreuves de l’allaitement, de la pandémie, de son travail. Mais tout témoignage rejoint des vérités plus universelles, sur la nature humaine et sur le sens de la vie.

C’est une autre manie du wokisme et des mœurs actuelles: ériger le vécu individuel en vérité universelle.

Mon témoignage de conversion n’est pas que personnel. Quand je prétends avoir rencontré Dieu, je n’implique pas que Dieu existe pour moi, et pas nécessairement pour les autres. J’affirme que Dieu existe tout court, pour tout le monde. Quelqu’un peut s’opposer à mon avis. Du fait même de rendre public le récit de ma vie, j’accepte la possibilité qu’on me critique et me juge. Je m’y attends même, j’espère la discussion. Astrid, en écrivant son livre, s’ouvre aussi à cette éventualité.

Elle sait bien que son récit implique des réalités qui la dépassent, quand elle définit le regret, la nature féminine, le bonheur. Elle s’arroge à tort l’autorité d’interdire à son lecteur de désapprouver ses opinions sur ces réalités universelles sous prétexte que l’idée qu’elle s’en fait s’inspire de son vécu personnel.

C’est une autre manie du wokisme et des mœurs actuelles: ériger le vécu individuel en vérité universelle, tout en interdisant à quiconque de concevoir autrement ces «vérités» universelles, puisque personne d’autre n’a d’autorité pour juger le «ressenti» de chacun. Impossible de juger faux le ressenti donc, parce qu’il est propre à chacun, et nécessité pourtant d’y voir la vérité, du fait même qu’il soit propre à chacun. Paradoxe du subjectivisme ambiant, s’il en est un!

Une vocation universelle

L’idée que veut ainsi promouvoir Astrid est que la maternité ne définit pas la nature féminine. Certaines femmes y trouveront leur bonheur, d’autres non. Comme les métiers! Je suis, je l’espère, une philosophe convenable. J’aurais été, j’en suis sure, une piètre chanteuse. À chacun ses talents et sa vocation. Il en va de même, pense Astrid, de la maternité.

La maternité n’est pas un mal; la regretter en elle-même est malsain.

Or, la maternité n’est pas un métier, c’est la nature profonde de la femme, la raison même de l’existence féminine. Toute femme s’y trouve appelée, comme tout homme à la paternité. Ce n’est pas une question de religion, mais de nature! L’enfant est le remède naturel à la mortalité. Pas d’humanité sans enfants, puisque tout humain finit par mourir.

Astrid insiste dans son livre sur l’idée que la nature humaine dépasse la nature animale, du fait que la raison y remplace l’instinct. Elle en tire la permission de nier tout «instinct maternel» chez la femme; chez celle-ci, assure-t-elle, c’est la raison qui fait choisir la maternité ou y renoncer, et de même quels soins prodiguer à l’enfant.

Elle n’a pas tort. Sauf que la femme qui renonce librement à la maternité biologique ne sera heureuse que si elle le fait pour une autre sorte de maternité, de fécondité: se consacrer à l’évangélisation, à l’éducation, à la médecine, en somme à quelque manière d’enfanter, de se consacrer à l’autre. Mais elle ne trouvera jamais le bonheur en refusant d’enfanter pour se replier sur elle-même.

Édith Stein, elle-même sans enfant, l’affirme avec conviction: toute femme se trouve appelée à une maternité, plus naturellement biologique ou, par exception, spirituelle. Sa nature de mère accompagne la femme dans tous les aspects de sa vie.

Le regret est un choix

Astrid se déclare victime d’un regret maternel qui ne dépend pas d’elle.

Elle s’abuse. Le regret maternel suit un choix. Il s’agit d’une émotion, plus précisément d’une tristesse, à propos des évènements passés qu’on considère comme mauvais. Or nos émotions ne nous tombent pas dessus hors de tout contrôle. Astrid elle-même insiste sur le fait que l’être humain se gouverne avec sa raison. Il peut, même il doit, ordonner ses émotions. Ruminer de l’envie, ou une colère injuste, ne s’excuse pas en se prétendant un «ressenti».

Une mère en regret peut-elle prétendre sérieusement, comme Astrid, qu’elle mourrait pour lui tout en regrettant de l’avoir fait naitre?

Chacun est responsable de limiter sa colère selon la mesure de l’injustice qui la mérite, et son désir aux biens qui en sont vraiment. De même, le regret se justifie en regard d’un évènement vraiment mauvais. On ne regrette pas d’être en santé, sauf en cas de démence.

On peut regretter les circonstances d’une maternité. Astrid aurait dû s’exprimer ainsi. Elle a raison de regretter l’intolérance bovine de son fils, l’accouchement loin de sa famille, les effets de la pandémie, l’absence du support d’une communauté. Ces regrets sont légitimes, et il peut être constructif de les nommer pour éviter des erreurs futures pour soi et pour les autres.

Mais la maternité n’est pas un mal; la regretter en elle-même est malsain. En apprécier tout le bien requiert cependant de s’ouvrir à la vie différente, plus difficile certes, mais aussi plus heureuse, qu’elle apporte. Je le souhaite à toutes les mères qui doutent d’avoir choisi «le bon chemin».

Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.