Question autochtone : laisser le péché chanter sa plainte

Principe de Joyce, matchs de hockey précédés d’une reconnaissance qu’on joue sur un territoire autochtone non cédé, revêtir un chandail orange lors de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, reconnaissance d’un racisme systémique à l’endroit des Autochtones, etc. Toutes ces mesures ne sont pas mauvaises en soi et témoignent que la question commence à travailler notre société. Le passé revient ainsi nous hanter, mais savons-nous le saisir adéquatement ?

Il y a effectivement trois problèmes à cela.

Trois tentations

D’abord, la tentation est grande de tomber dans le manichéisme des bons et des méchants, des spoliés et des spoliateurs.

Concernant les pensionnats, s’il est nécessaire de reconnaitre les torts infligés, doit-on pour autant soutenir que tous les jeunes Autochtones y ont laissé leur âme et leur corps ? N’y a-t-il pas parmi eux certains qui ont pu recevoir une éducation ou bien échapper à un milieu familial ou social délétère qui les auraient engloutis bien davantage ? 

« La question est trop douloureuse et trop fondamentale pour que l’on puisse prétendre la résoudre au niveau des accusations en bloc, des slogans et du sentiment. »

Ensuite, la multiplication des gestes de nature davantage symbolique que réelle répond-elle vraiment au réel problème de la rencontre entre Blancs et Autochtones ? Ces nobles professions de foi se situent-elles au bon niveau ontologique, là où se noue une vraie amitié humaine, spirituelle et culturelle ?

Il n’est qu’à considérer la promenade de Justin Trudeau sur la plage de Tofino, en Colombie-Britannique, le 30 septembre dernier, soit la journée même de la réconciliation que lui-même avait promulguée : cette désinvolture de notre premier ministre jette une lumière crue sur le sérieux de la démarche pénitentielle de nos professionnels de la repentance.

Finalement, le statut de Montréal comme territoire non cédé par les Mohawks, loin de faire l’unanimité parmi les historiens, a été happé trop rapidement par les passions collectives, puis récupéré par les militants de tous bords. 

Une question douloureuse

Or, la question est trop douloureuse et trop fondamentale pour que l’on puisse prétendre la résoudre au niveau des accusations en bloc, des slogans et du sentiment.

Car cela est à la fois exagéré et insuffisant. Exagéré car, en ne patinant qu’au niveau symbolique et passionnel, on se condamne à intensifier les déclarations en apesanteur, jusqu’à l’écœurement. Insuffisant car on ne fait au mieux que chatouiller la surface de la douleur, si on ne la gonfle pas davantage.

Car il s’agit bel et bien d’embrasser le problème là où il convient de le faire, c’est-à-dire à un plan de réalité que notre modernité progressiste ou conservatrice atteint rarement. Les souffrances des âmes et des cultures meurtries imposent ce respect et cette délicatesse : c’est au creux de l’âme et de la meurtrissure la plus profonde que l’on peut traiter la plaie adéquatement. C’est par la profondeur qu’une tâtonnante fraternité autochtone et blanche peut se chercher et se balbutier dans la vérité.

Traiter la douleur à la racine

On ne peut donc risquer la rencontre authentique qu’à la racine de chaque culture et de chaque homme.

Car seule la racine a un potentiel régénérateur et réparateur. De même qu’une plante ne retrouve sa vitalité qu’à partir de la base la plus simple et la plus discrète, une culture et une psyché ne recommencent à chanter qu’à partir des chuchotements les plus murmurants et les plus profonds.

S’il est évident que le monde autochtone a souffert démesurément et qu’il barbote trop souvent dans un monde folklorisé et récupérable idéologiquement, on peut en même temps affirmer que le fond même de cet univers est resté intact. En langage chrétien, la grâce est plus fondamentale que le péché et la blessure, même si elle passe par ceux-ci.

Il faut « seulement » retrouver le chemin qui y mène, déterrer le péché, le laisser puruler pour que le nauséabond suintement devienne plainte, puis chant et que la vie fondamentale circule à nouveau. La difficulté est là, dans la mémoire et la fidélité.

Et cette difficulté est la même que celle du Blanc qui n’a pas encore compris la soif qu’il porte des racines anciennes.


Jean-Philippe Trottier

Jean-Philippe Trottier est diplômé de la Sorbonne en philosophie ainsi que de l’Université McGill et du Conservatoire de Montréal en musique. Auteur de trois essais, dont La profondeur divine de l’existence (préfacé par Charles Taylor) est le plus récent.