Quand le vingt s’est tiré…

Deux-mille-vingt-et-un. Deux-zéro-deux-un. Vingt-vingt-et-un.

Pas plus commodes à écrire qu’à lire, les nombres inscrits en long et en large n’ont pas la cote. Souvent avec raison (la raison et les chiffres s’entendent à merveille, semble-t-il), on leur préfère les chiffres arabes, bien formés, pour s’informer du temps qu’il fait (moins 21) ou du temps qui fuit (20 h 21).

J’aime bien écrire les chiffres en lettres. À chacun ses petits plaisirs. Je me sens baveux quand je fais ça. Rien de très subversif, mais juste un brin baveux. Ça m’offre l’illusion de redonner aux lettres leurs lettres de noblesse.

… il faut le boire pour le croire…

Impossible de le nier, les chiffres ont pris le dessus sur les lettres. Dans le discours, les données ont supplanté le donné.

Une mesure gouvernementale n’a aucune importance si elle n’est pas chiffrée. Une maison n’a de valeur que spéculative. Régulièrement, un journal ou un magazine éclairé juge pertinent — chiffres à l’appui — d’aviser les futurs parents de l’ensemble des couts associés à la venue au monde d’un petit héritier.

Tellement habitués aux chiffres et si peu aux maux, nous peinons à donner un sens aux morbides données.

Chaque jour, depuis le deuxième trimestre de deux-mille-vingt, le petit écran de mon téléphone débilitant affiche le décompte net et précis des morts, des « cas » et des hospitalisations. Une fois par jour, lors d’un rituel télévisé, la nation tout entière est soumise au bilan chiffré des vingt-quatre dernières heures. Parce que nous avons le droit d’être rassurés d’une baisse de la courbe. Parce que nous avons le droit aussi, parait-il, d’alimenter notre anxiété lors d’une hausse, d’un record, d’un énième franchissement de la barre des mille cas. Et nous communions collectivement à cette coupe, nous buvons des nombres jusqu’à prendre une tasse.

… jusqu’à la lie !

Quand nous avons appris le chiffre du jour, nous pensons alors avoir fait notre devoir de citoyen, celui d’être bien au courant des courbes, des graphiques et des tendances. Une coupe quotidienne de vingt-vingt, pendant les trois-cent-soixante-cinq derniers jours, laisse en bouche angoisse et amertume. Tellement habitués aux chiffres et si peu aux maux, nous peinons toutefois à donner un sens aux morbides données.

La vingtième année du vingt-et-unième siècle est désormais derrière nous, mais elle laisse dans son sillage les débris d’un monde plus divisé que jamais, épuisé, bombardé d’infos angoissantes, déchiré par les combats idéologiques et la méfiance généralisée. Soyons clairs : les mots ne sont pas plus innocents que les chiffres. Par contre, à la différence des chiffres, ils peuvent réparer, panser, pardonner, reconstruire, consoler.

*

En ce début d’année, notre équipe, pas plus à l’abri des mauvais chiffres que des phrases mal tournées, veut néanmoins vous renouveler son engagement. Celui de redoubler d’ardeur pour diffuser des portraits, des reportages et des réflexions pleins de mots qui témoignent des raisons d’espérer, parfois contre toute espérance.

Heureuse et sainte année 2021 !


Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.