Paris, capitale de l’esprit

L’écrivain Danilo Kis, qui y vécut à la fin de sa vie, avait baptisé Paris la « grande cuisine des idées ». Il avait été frappé, au long des rues et des boulevards, par la promiscuité fantastique des restaurants et des librairies, comme s’ils s’imbriquaient les uns dans les autres. Paris est la capitale de l’esprit, elle est aussi celle du goût. La synthèse n’a pas cessé de séduire ceux qui, venus des quatre coins du monde, ont fait de la ville des Lumières leur patrie d’élection.

Si c’est à New York qu’on devient riche et successful, c’est à Paris qu’on devient soi-même et qu’on s’émancipe. Plusieurs figures éminentes de la culture y sont restées inconnues toute leur vie. Oui, et alors ? a-t-on envie de répondre. Elles n’en continuent pas moins de hanter ses rues et ses parcs, en nous rappelant à leur brillant souvenir. Le patrimoine de Paris invite à la communion des saints, soit à l’illumination de l’esprit. Grâce à Paris, le beau mot émancipation restera à tout jamais hostile aux déformations intéressées de l’American Dream.

Inutile de te dissimuler les raisons de mon enthousiasme, ami lecteur : j’en reviens. C’est donc dire que je m’apprête à y retourner. J’ai été naturellement séduit, et c’est sous influence que j’écris cette chronique. Attention, danger. Un drogué menace d’embrigader dans son délire de nouveaux drogués. Il faut dire que, entre amoureux de Paris, on se parle comme entre initiés. Il y a les vétérans et les recrues, les anciens et les nouveaux. Tous sont cependant unis dans une même fraternité secrète. Il n’y a, après tout, que deux villes en Occident qui figurent, en soi, un monde à part : Paris et New York. Mais ce n’est qu’à Paris que le mot citoyen prend son sens.

Cet article est d’abord paru dans notre magazine de janvier 2022. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

Émancipation, Lumières, citoyen : parbleu, serais-je en train de me transformer en homme du 18e siècle ? Cela pourrait presque être vu comme une provocation par mes amis du Verbe. Quel est le prochain mot que je brandirai en ces colonnes ? Athéisme ? Libertinage, peut-être ; athéisme, jamais. Que Dieu me garde, et de l’athéisme et de la provocation. Ville moins métaphysique que civilisée, Paris est un jardin où tous les siècles se côtoient et se contemplent. Liberté et élégance sont les mots qui surclassent tous les autres et qui la caractérisent le mieux.

Il faut relire les pages de Henry Miller sur New York et Paris pour comprendre la différence. Quelle est la liberté que les juifs persécutés de l’Empire russe et de l’Europe centrale ont recherchée entre 1905 et 1940 en rejoignant Paris ? Les Soutine, Modigliani et Chagall qui ont planté leur chevalet dans Montparnasse pour fonder, avec des compatriotes souvent issus de petites nations, L’École de Paris1, avaient un idéal : devenir pleinement eux-mêmes, soit les artistes qu’ils ne seraient pas devenus s’ils étaient restés au pays. Venus de l’étranger, ils ont donné une nouvelle identité à Paris – et à leur œuvre. Leur brillant souvenir appelle vers eux, encore aujourd’hui, tous les poètes qui espèrent le même miracle – ou la même révolution.

Carl Bergeron

Carl Bergeron est écrivain. Il est l'auteur de trois ouvrages remarqués, Un cynique chez les lyrique - Denys Arcand et le Québec (Boréal, 2012), Voir le monde avec un chapeau (Boréal, 2016) et son plus récent, La grande Marie ou le luxe de sainteté (Médiaspaul).