Montréal, mon culinaire

Vu de Québec, le 375e de Montréal me fait autant d’effet que l’anniversaire de 3 ans et 9 mois de ma chère fille : faut vraiment se péter les joues à gonfler des ballounes pour ça?

Mais si ça vous divertit un peu, si ça change le mal de place, si ça met un baume sur votre Coderre, si ça vous donne l’impression d’être à Régisgrad le temps d’un été, je vous dis comme le pape François : « qui suis-je pour juger? ».

Faites ce qui vous plait avec l’oseille du peuple, on n’est pas regardants. On serait bien malvenus de vous faire la morale sur la manière de dépenser l’argent des autres, la Vieille Capitale a tracé la voie en la matière.

Alors, je vous en prie chers Montréalais, gâtez-vous sans vergogne. Y’a pas que les auditeurs de radio-parlée-de-Québec qui méritent des divertissements subventionnés.

Dans ta bouche

Donc, vous l’aurez compris, mon malaise n’est pas tant politique ou financier. Il est alimentaire.

J’ai l’impression qu’une quantité non négligeable d’énergie est déployée afin de me faire avaler une délicieuse idée. Comme si on me disait : « viens fêter le 375e et prends-toi le tout Montréal culinaire en pleine gueule*! ».

Des exemples?

  • En hiver dernier, dans le cadre des fêtes du 375e de la métropole québécoise, des chefs du monde entier sont venus donner la bouchée aux plus fines papilles de Montréal.
  • Dans l’édition printanière de la revue de foodies Caribou, Di Stasio présente les secrets culinaires de Montréal.
  • Le festival MTL-à-TABLE tiendra 15 jours « festivités gourmandes» lors d’une édition spéciale pour le 375e.
  • Soucieux d’intégrer des éléments historiques et festifs à sa carte, un resto branché met même une tite photo de Jeanne Mance dans le coin de son menu. On applaudit l’initiative.

Soulignons: chacune de ces initiatives, prise séparément, est louable. C’est la surenchère qui passe un peu croche dans la gorge. Surtout quand on sait que « 20 000 enfants de cinq ans et moins dépendent des services de dépannage alimentaire dans le Grand Montréal seulement ».

On peut au moins souhaiter qu’on prenne soin de recueillir les miettes tombées de toutes ces tables pour les distribuer aux affamés de la ville.

Le festin de bobo

À une autre époque, on aurait parlé de boboïsation de la fête. Cependant, il y a longtemps que le bourgeois-bohème a été déclassé par le douchester (néologisme convenant à ce minotaure urbain mélangeant le douchebag** et le hipster***).

Combinez le gout de la démesure étalée au raffinement culinaire parvenu et vous obtiendrez du « douchesterisme gastrique ».

Combinez le gout de la démesure étalée au raffinement culinaire parvenu et vous obtiendrez un phénomène que je me risque ici à qualifier, pour parler de ce 375e, de « douchesterisme gastrique ».

(Cela dit, même si le Beach Club semble être un repère de l’espèce, la région métropolitaine n’a pas le monopole du douchester. J’en ai croisé quelques spécimens à Québec. Je dirais même qu’on a tous un petit douchester caché en soi. Il m’arrive parfois de fréquenter un resto trop cher pour mes moyens en arborant une chemise à carreaux. Mea culpa.)

Ainsi, ces belles festivités historiques gastronomiques sont une autre occasion de lever le voile sur ces paradoxes qui nous tenaillent les tripes: culture culinaire ostentatoire sans égard pour les enjeux fondamentaux qui déchirent la terre du Québec; propagation de food-porn, food-trucks, et autres coquetteries de foodies alors que nombre de Québécois mangent seuls, devant leur TéVé pleine de belles émissions… de bouffe.

LE banquet

Le seul banquet public ayant eu lieu dans le cadre de la programmation officielle du 375e de Montréal qui n’avait rien d’un festin de bobo, c’était peut-être la messe inaugurale des festivités.

Face à une culture alimentaire ostentatoire, je propose le culte du Dieu dans l’ostensoir.

Face à une culture alimentaire ostentatoire, je propose donc le culte du Dieu dans l’ostensoir.

Allez, peuple à genoux! Un petit 375 secondes d’adoration eucharistique par jour devraient contribuer à nous remettre les idées à l’endroit et l’estomac à sa juste place : un peu plus bas que le cœur.

Notes :

* En fouinant sur le très joli site Web du 375e (www.375mtl.com), j’ai trouvé une explication à ce grand complot gastronomique qui vise à transformer ce party en avalanche de bouffe. Parmi les douze principaux commanditaires de l’évènement, on compte trois géants de l’alimentation : Saputo, Le choix du président et IGA.

** Le douchebag, par définition, est maitre en instrumentalisation de ses relations. Il veut toujours plus big et ne s’encombre pas d’un appareil éthique dans sa quête de félicité.

*** Le hipster, par définition, se distingue par ses gouts raffinés, en marge des grands courants populaires. Il feint la simplicité, affichant ses palmarès d’expériences authentiques et un je-m’en-foutisme vestimentaire savamment calculé.

Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.