Grandeurs et défis des mères au foyer


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J’ai publié, à la fin de l’été dernier, un texte où je partageais mes réflexions sur la pénurie de places en garderie. Je concentrais surtout mes idées sur l’aspect financier du choix des femmes de rester à la maison, argumentant qu’un meilleur soutien de l’état pour ces parents les aiderait à choisir plus librement de ne pas occuper un travail rémunéré.

Je souhaite aujourd’hui répondre à ce billet. Pas que j’aie changé d’idée ou que je veuille invalider mes propos. Il me faut toutefois les compléter.

C’est ça : ce texte était incomplet. N’en attendez pas plus de celui-ci… Je n’ai pas la prétention de couvrir l’entièreté d’un sujet si vaste et riche, mais je tenais à en aborder d’autres aspects.

En fait, bien que je reconnaisse que certaines femmes tiennent à s’assurer un revenu pour pallier une éventuelle séparation, je pense que l’argent ne devrait pas, dans tous les cas, être un des facteurs principaux à prendre en compte quand une décision s’impose, contrairement à ce qu’en pensent certains comptables.

Sacrifier sa carrière

Voici, selon moi, deux éléments plus importants à considérer : 

Être mère au foyer, c’est d’abord et avant tout un don de soi. C’est bien noble dit comme ça, mais au quotidien, c’est rarement glamour.

Choisir de rester à la maison pour s’occuper à temps plein de ses enfants, ça implique une disponibilité totale et constante, mentale et physique, pour répondre à leurs besoins. C’est accepter d’être interrompue dans ses projets (même lorsque « ses projets », c’est concrètement de cuisiner, plier du linge, laver le plancher… pour les autres !), de mettre sa carrière sur pause, de repousser sa douche d’une journée… ou deux !

Être mère au foyer, c’est aussi un sacrifice. Le sacrifice de la carrière, oui, mais surtout de la reconnaissance sociale qui vient habituellement de pair avec le travail rémunéré. Jamais on ne demandera publiquement l’avis de mères au foyer sur des questions d’éducation, de développement de l’enfant, de sociologie de la famille. 

Et c’est sans parler des multiples préjugés auxquels font encore face celles qui font ce choix aujourd’hui, que ce soit à propos de leurs capacités intellectuelles – « si elle avait des études, elle travaillerait » – ou du présupposé « qu’elles se laissent vivre » par leur conjoint.

Occupation ingrate

C’est aussi une occupation ingrate. Le « produit brut » de la journée parait facilement insignifiant : le souper préparé pendant des heures sera dévoré en quelques minutes (quand les enfants ne grimaceront pas à chaque bouchée), les vêtements lavés et pliés avec attention seront froissés dans les tiroirs (quand ils ne seront pas carrément laissés au sol), etc. 

Et ça devient facile, peut-être même plus que dans la réalité du travail rémunéré, de vivre chaque geste à poser comme une tâche, comme un fardeau. De calculer, de chercher à tout prix à « partager équitablement » entre les partenaires, de se lamenter de la lourdeur de la charge mentale.

Mais on peut aussi choisir de vivre les actions du quotidien comme des occasions d’aimer. Et ça, ça fait toute la différence.

Le changement de couche devient un moment d’intimité avec son bébé, où les chatouilles et les bisous fusent. La préparation des repas se transforme en discussion avec le grand qui aide à couper les légumes. La lessive, une occasion de prier pour son mari qui lui aussi, au fond, est au boulot toute la journée.

La grâce du temps

Dans le foyer, on a la grâce du temps.

Ça me fascine qu’on dise toujours que « le temps, c’est d’l’argent », mais qu’on ne mentionne jamais à quel point la recherche continuelle d’argent nous vole du temps. Tout ce temps passé à travailler à l’extérieur implique souvent bien plus que les heures rémunérées : le déplacement, faire les lunchs pour les enfants, le voyagement de l’un et de l’autre à la garderie et au service de garde, etc.

On mène des vies de fou. 

À preuve, presque la moitié des parents ont souvent ou toujours l’impression de courir toute la journée pour accomplir ce qu’ils ont à faire, alors qu’un peu plus du tiers des parents disent être souvent ou toujours épuisés lorsqu’arrive l’heure du souper.

Et à force de se répéter en boucle que l’important, c’est le temps de qualité, on oublie que le temps en quantité est autant sinon plus bénéfique dans l’éducation des enfants. 

Le devoir de performance

Le temps en abondance permet une éducation constante et cohérente, souvent exempte de culpabilité. En effet, si je ne suis avec mon enfant qu’entre 17h30 et 19h30 dans une journée, il me sera sans doute plus difficile de faire preuve d’autorité et de discipline. Je préfèrerai ne pas « gâcher » ce temps compté avec ma progéniture, ne pas le contrarier par mes reproches et j’aurai surement plus tendance à laisser passer des comportements autrement inacceptables.

Au contraire, en passant la journée à la maison avec mon petit, j’aurai une meilleure vue d’ensemble de ses comportements, comprendrai peut-être un peu mieux d’où vient le problème, et pourrai intervenir au moment opportun et de la meilleure manière. J’aurai peut-être même eu l’occasion d’intervenir en amont.

La plénitude de temps autorise aussi à ne « rien faire » avec ses enfants. De les observer, de lire à leurs côtés, de les laisser jouer librement, sans les interrompre, sans les stimuler outre mesure, d’être présents s’ils ont besoin, d’être attentifs aux changements dans leurs comportements, dans leurs interactions avec les autres membres de la famille, etc. 

Parce qu’en plus du rythme fou des semaines, quand on est à la course, on passe les fins de semaine à se rattraper, à se surcharger d’activités de toutes sortes pour le vivre, ce fameux temps de qualité, à profiter de la relâche et des deux semaines qu’on a à l’été pour voyager, « décrocher ». Autrement dit, on n’a jamais le temps de rien faire, et quand on l’a, ce temps, il faut faire des affaires. Le rentabiliser. On doit être des parents performants.

Et performer, c’est épuisant.

Exit la productivité

Pour en revenir à l’argent (parce qu’il en est toujours un peu question), ce rythme de vie, avec les deux parents qui travaillent, coute cher. Tout ce qu’on paie pour gagner ou rattraper du temps, les repas au resto ou prêts-à-manger/prêts-à-préparer, la deuxième auto, le service de garde des enfants, ces activités à n’en plus finir dont on a parlé plus tôt, tout ça se paie avec un deuxième salaire. 

Au fond, la vie de famille avec un seul salaire, ça peut aussi être avantageux financièrement, en fin de compte. Parce que moins de dépenses, plus de conscience, plus de choix réfléchis. 

L’idée, en fait, c’est de sortir de notre mentalité néolibérale où la valeur de quelqu’un ou de quelque chose est proportionnelle à sa productivité. Sortir de cette logique de performance à tout prix, où la valeur se calcule toujours en argent.

En restant à la maison avec mes enfants, je contribue à la société. Parce que ma maison est une microsociété où chacun apprend à composer avec les autres, aussi différents soient-ils de soi. Mes enfants apprennent quotidiennement à aimer l’autre dans ses limites. Ils apprennent que de perdre un peu de leur vie pour l’autre, ça leur fait gouter au vrai bonheur : avoir à partager ses jouets, à déposer son livre plus tôt pour mettre la table, aider un petit frère à s’habiller. 

Un choix provocateur

Tout ça pour dire que je persiste et signe : je suis profondément convaincue qu’une des solutions à la pénurie de places en garderie est de motiver les parents à s’occuper eux-mêmes de leurs enfants.

Mais les moyens sont multiples et ne sont pas que pécuniaires. En fait, il faudrait surtout faire la promotion de tous les réels avantages pour les parents, pour les enfants et pour la famille, de ce mode de vie alternatif.

Il faut complètement changer notre manière de voir la vie, arrêter de calculer, de compter.

Et en prime, pour les rebelles qui nous lisent, c’est un choix de vie provocateur, voire révolutionnaire, face aux exigences et aux attentes de la société. 

Florence Malenfant

Détentrice d'un baccalauréat en histoire de l'art à l'université Laval et d'un certificat en révision linguistique, Florence a une affection particulière pour le bouillon de poulet et un faible pour la littérature russe!