Le problème du mal est assurément l’un des plus complexes en théologie. Comment un Dieu bon peut-il permettre – voire causer, diront certains – les maux les plus horribles ?
La peste. Le choléra. La torture que l’on s’inflige sur la table d’un tatoueur. La douleur des regrets, plus tard, de ce fameux encrage tribal dans le bas du dos. « L’amour décevant, les toilettes publiques et les rages de dent », dixit Leloup. Le problème du mal a généré des milliers de pages de dissertations d’étudiants en philo rêvant d’une carrière flamboyante dans un cégep près de chez vous.
Ce n’est donc pas mon édito qui prétendra ajouter un iota à cette question qui demeure, bon an mal an, toujours d’actualité. Aux dernières nouvelles, ça va encore plutôt mal à au moins quelques endroits dans le monde. À commencer par nos foyers qui, sous des apparences bien rangées, cachent tous leurs petits et grands drames.
Accuser Dieu de ne rien faire, c’est, paradoxalement, l’aveu de notre faiblesse et de notre orgueil démesurés. Devant la famine, nous nous sentons bien limités. Malgré cette petitesse, nous sommes persuadés qu’avec les pleins pouvoirs divins, nous serions d’excellents gestionnaires des denrées mondiales… alors qu’on peine pourtant à ne pas oublier ce pot de crème (désormais très) sure au fond du frigo.
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Le problème du mal, Vincent en connait quelque chose. Mu par sa foi en un Christ qui a affronté la mort sur une croix, l’oncologue pédiatrique soigne chaque jour des enfants atteints du cancer. Innocents et victimes d’un sort qui parait absurde, ils sont parfois condamnés à une mort prochaine.
Corneille aussi a côtoyé de près la souffrance et la perte. Réfugié du génocide rwandais, le célèbre chanteur et Québécois d’adoption a assisté, impuissant, au massacre des siens.
Ces récits et tant d’autres en témoignent tant bien que mal : le problème avec le problème du mal, c’est le problème autant que le mal. Vous suivez ? On l’aborde comme un problème de mathématiques ou de mécanique. Le simple fait de le formuler comme un problème induit l’idée – pleine de la présomption des modernes – d’une possible résolution. Souvent insoluble, parfois scandaleux, toujours un peu mystérieux, le mal s’accueille et se combat davantage qu’il se règle.
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« Et moi, je traînais la patte derrière eux, comme je l’ai toujours fait quand les gens m’intéressent, parce que les seuls qui m’intéressent sont les fous furieux, les furieux de la vie, les furieux du verbe, qui veulent tout à la fois, ceux qui ne bâillent jamais, qui sont incapables de dire des banalités, mais qui flambent, qui flambent, qui flambent, jalonnant la nuit comme des cierges d’église. » (Jack Kerouac, Sur la route).
Notre journalisme en est un qui « traine la patte derrière » ceux qui accueillent et combattent le mal comme des fous furieux. Ce sont eux qui nous intéressent. Et nous récoltons leurs histoires, comme une moisson automnale abondante, pour pouvoir vous les raconter.
Ce petit magazine est rempli de ces furieux de la vie, de ces gens qui traversent les maux de notre époque en faisant de leur vie un cierge, se consumant parfois par les deux bouts pour que leur prochain y voie quelque chose dans l’obscurité du monde.