Sophie Durocher vient de sortir un nouveau livre intitulé « Où sont les femmes? », dans lequel elle dénonce une nouvelle « invisibilisation » de la femme.
Pourtant, des femmes, il y en a plein et partout ! Suffit d’ouvrir les yeux ! Déjà, celle que vous lisez en est une, si vous vouliez connaitre mes pronoms…
Sauf qu’il y a « voir » et « voir ». Et il y a voir une femme EN TANT QUE femme ou EN TANT QU’autre chose. On pourrait me voir non comme une femme, mais comme une simple porteuse d’utérus. Ou encore comme un quota diversitaire pour Le Verbe. Ou pire : comme une tentatrice.
L’effacement par les « progressistes »
Pour Sophie Durocher, il existe une force dans notre société qui empêche de voir les femmes EN TANT QUE femmes. Non, ce n’est pas le méchant patriarcat le coupable, mais… des femmes ! Celles que Sophie qualifie de « néo-féministes ».
Quelle erreur leur reproche-t-elle? Celle de succomber à l’idéologie diversitaire, et ce, au détriment même des femmes que ces néoféministes prétendaient défendre initialement.
Sophie Durocher illustre son propos en abordant différents thèmes : la mode des dragqueens, caricature ultime des femmes faite par des hommes; la théorie du genre et ses impacts dans le sport ainsi que la vie politique; ou encore plus intéressant : l’effacement dans le langage.
Ainsi, des organismes de renom adoptent les expressions « personne enceinte », « trou avant » plutôt que « col de l’utérus », ou encore « cancer dans la région de la poitrine » plutôt que « cancer du sein ».
(Remarquez que dans une chronique précédente, je suggérais moi-même l’usage de « moule », mais c’était à des fins poétiques, bien sûr!)
L’effacement par les « intégristes »
Selon Sophie Durocher, il n’y a pas seulement l’idéologie du genre qui efface les femmes, le relativisme culturel des néoféministes aussi. Qu’est-ce à dire ?
Pour elle, le silence relativement au voile ou autres vêtements islamistes chez les néoféministes et même leur promotion, dans certains cas, contribuent à l’effacement des femmes.
Ou pire : leur silence devant les avortements sexo-sélectifs, c’est-à-dire quand une femme choisit d’avorter un fœtus parce qu’il est de sexe féminin.
Devant cette injustice, les néoféministes se taisent par peur de dénoncer les minorités culturelles et religieuses, écrit Sophie Durocher. Et on sait que les avortements sexo-sélectifs se produisent au Canada, en majorité dans les communautés indiennes.
Comment mieux voir les femmes ?
Sophie Durocher documente bien son livre, multiplie les exemples et les arguments. C’est un essai qui donne à penser, certainement, et dont je recommande la lecture.
Sauf que – est-ce mon tempérament de philosophe ou simplement un trouble de l’opposition que je traine depuis l’adolescence ? –, bien que je sois en accord avec plusieurs arguments de Sophie Durocher, je conserve de nombreuses objections.
Par exemple, je m’oppose, moi aussi, à la burka et autres tenues du même genre. Et il est facile de défendre qu’un tel habit « invisibilise » les femmes : on ne les voit plus!
Mais je ne suis pas certaine qu’il suffit de se déshabiller pour devenir plus visible EN TANT QUE femme.
Pourtant, c’est ce que certains passages du livre donnent à penser. Elle écrit : « Comment a-t-on pu évoluer – puisqu’il s’agit indéniablement d’une évolution – du maillot recouvrant tout le corps au bikini et même au monokini, si c’est pour aboutir au burkini ? »
Traitez-moi de ringarde, mais je ne vois pas le monokini comme une « évolution » ou une « libération de la femme ».
Et si j’accorde à Sophie Durocher qu’avorter un fœtus seulement parce qu’il est une future femme est ignoble, je vois mal pourquoi – même si elle se défend du contraire –, ce ne serait pas aussi le cas pour un fœtus qui est un… futur humain. Et même déjà membre de l’espèce humaine (on n’a jamais vu encore une femme enceinte d’un chat ou d’un chien, que je sache!).
Libérer la femme de son mari et de ses enfants ?
Sophie Durocher tient un bon filon dans son livre : la liberté, ce n’est pas choisir n’importe quoi. Sinon, le remarquait déjà de La Boétie, on serait libre en se faisant esclave, paradoxe s’il en est un. De même, tout choix que pose une femme ne la rend pas nécessairement libre. Que ce choix soit la burka ou le monokini.
Sophie Durocher conclut son livre en citant le fairepart qu’ont écrit ses parents pour annoncer sa naissance : « Mme et M. Gilles Durocher ont le plaisir de vous annoncer la naissance de leur fille Sophie. »
Elle profite de l’exemple pour assimiler l’effacement contemporain des femmes avec celui que perpétrait jadis la méchante Église catholique, qui, argumente-t-elle, gardait les femmes au foyer, encourageait leur dépendance envers leur mari, etc.
Je l’avoue, je reste mitigé face aux féministes, autant les néo que les proto. Chaque fois qu’on me dit que la libération de la femme passe par le travail, l’indépendance conjugale, l’avortement, etc., je demeure perplexe.
Comprenez-moi bien : je suis heureuse de voter, de terminer un doctorat et de travailler à temps partiel.
Sauf que même si des milliers de personnes liront, je n’en doute pas, cet édito, il n’en demeure pas moins que je me sens surtout VUE comme femme lorsque je suis avec ma famille. Dans les yeux de mon mari, et, surtout, de mes trois bambins, pour qui j’aimerais parfois être même un peu plus invisible, au moins quand je veux faire pipi tranquille.