Les calèches de la discorde

Cet été, nous avons été à même d’entendre de part et d’autre un argumentaire reposant sur la manière dont les chevaux sont maltraités ou non: des deux côtés, on semble pouvoir trouver à la fois des amants des chevaux et des personnes qui se défendent de vouloir les maltraiter.

Si certains citoyens de la Vieille Capitale se sont laissés convaincre par l’un des deux camps, il n’en demeure pas moins que, comme dans chaque débat, on retrouve des gens purement installés dans leur position et qui ne sont pas prêts à changer d’idée, et cela, me semble-t-il en raison du fait que s’affrontent deux conceptions opposées du rapport humain-animal.

Mes amis Facebook se sont sans doute bien étonnés de constater que, dans les derniers temps, je me suis considérablement affairé à propager beaucoup d’informations inhérentes au débat sur la place des calèches dans le Vieux-Québec.

Non, je n’ai pas cessé de m’intéresser davantage aux grands enjeux moraux et aux questionnements plus importants qui ont cours dans notre société; si j’investis mon énergie à combattre les idées anti-calèches, c’est non seulement parce que, en tant que cocher, je suis à même de considérer l’ampleur de la désinformation à la suite d’un événement, mais aussi précisément parce que ce débat me semble révélateur d’idées plus profondes.

Ce que les chevaux valent

Dans un article paru dans le Huffington Post, Libérez les chevaux, l’auteur affirme ceci:

[…] dans le cas d’une attraction touristique, à quoi bon réduire à l’esclavage des animaux? […] les chevaux ne peuvent malheureusement pas se syndiquer ou manifester pour leurs droits, malgré le fait qu’ils soient des prolétaires ne profitant pas du fruit de leur travail. »

Malgré le fait que je ne sois pas en accord avec son propos, cet article m’est apparu comme le plus rationnel jusqu’à maintenant dans le débat, mais aussi le plus intéressant puisqu’il fait émerger simplement l’idée qui engendre le désaccord, à savoir les droits des animaux.

Sylvain Aubé, dans son texte sur le site du Verbe Carnivore et bienveillant, a bien montré qu’il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux; avec raison, dira-t-on que certains comportements sont « inhumains ».

Dès lors, il faut comprendre que la moralité des actes à l’égard des animaux ne repose pas directement sur la dignité de l’animal, mais sur la dignité humaine: si tuer un animal pour le plaisir est immoral, ce n’est pas en raison du fait qu’il a le droit à la vie, c’est en raison du devoir de l’être humain de se comporter tel un être humain raisonnable à l’égard de son environnement.

À en écouter les tenants de la libération animale, dont l’auteur du texte cité précédemment, les animaux, quels qu’ils soient, auraient par eux-mêmes et en eux-mêmes une dignité qui leur octroierait des droits par le seul fait qu’ils soient des êtres vivants. Les êtres humains devraient, ce faisant, laisser les animaux libres de vivre comme ils l’entendent.

Or, si les êtres humains sont pourvus de droits, c’est qu’ils sont soumis à leurs devoirs; les droits sont des moyens pour accomplir les devoirs. Ainsi, par exemple, le droit à la liberté de religion, la liberté d’expression, le droit à la vie, etc., sont nécessaires à l’être humain pour lui donner les conditions propices à l’accomplissement de son devoir ultime qui est de poursuivre son bien, celui de ses proches et de la société. Pas de droits, pas de devoirs. Pas de devoirs, pas de droits.

Cependant, m’objecterait-on, les enfants, les bébés, n’ont pas de devoirs, alors pourquoi ont-ils des droits ? La réponse est bien simple: les enfants sont des êtres libres en devenir, ils auront un jour des devoirs et les priver de certains droits dès leur existence serait de venir brimer l’accès ultérieur à leurs responsabilités.

De la « dignité » chevaline

Pour revenir maintenant au cheval et aux autres animaux, à l’égard de quels devoirs auraient-ils besoins de droits ? Un cheval restera toujours le même, de la naissance à la mort. Tel cheval fera-t-il des choix différents des autres chevaux ? Pas vraiment.

Vouloir garantir des droits fondamentaux aux animaux, c’est du même coup vouloir leur concéder une liberté, une responsabilité, une dignité, qu’ils n’ont pas.

Qui plus est, souligner qu’ils sont « exploités », mais qu’ils n’ont pas les moyens de se syndiquer à la manière des prolétaires, c’est montrer à plus forte raison qu’ils n’ont pas les moyens de leur liberté: on ne donne pas le droit de jouer de la flûte à quelqu’un qui n’a pas, par nature, les dispositions physiologiques pour en jouer.

Si, en tant que cocher, je suis prêt à me justifier de ne pas maltraiter les chevaux avec lesquels je travaille parce que, je le crois, ils ne souffrent pas inutilement, et ce, même s’ils font un effort physique, je le suis toutefois moins à admettre que mes chevaux, donc que les animaux en général, devraient être renvoyés d’une manière romantique dans leur habitat naturel.

Oublions donc les animaux de compagnie, la laine des moutons, les œufs des poules, etc. Quoi qu’il en soit, une fois retournés à l’état « sauvage », ils auront bien assez tôt le droit de se faire manger par leur prédateur.

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.