Le double discours des drag queens

Il m’embête d’ajouter un texte sur le trop commenté sujet des drag queens faisant la lecture aux enfants. Mais en matière d’éducation, surtout pour des parents chrétiens, il vaut mieux ne pas négliger ce genre de débats.

L’histoire des drag queens dans les bibliothèques semble banale. Du moins, c’est ce que veulent faire croire ceux qui défendent cet exercice. Barbada, durant son passage à Tout le monde en parle, assure que cette activité est parfaitement inoffensive. Il ne s’agit, assure-t-elle, que d’un déguisement, comme à l’Halloween. En outre, les contes choisis ne contiendraient aucune intention politique. L’activité n’aurait rien à voir avec les spectacles grivois des cabarets; les drags sauraient s’adapter à leur public. Barbada elle-même possède des compétences en enseignement, car son alter ego (ou vrai égo, devrais-je dire?), Sébastien Potvin, enseigne la musique au primaire.

Sauf que les drag queens, et ceux qui défendent leur présence auprès des enfants, tiennent en réalité un double discours. D’une part, on affirme qu’il ne s’agit que d’un déguisement, et d’autre part, on vante qu’une telle exposition ouvrira l’esprit des enfants à la diversité, sous-entendue la diversité LGBTQ. Mais comment un être de fiction ou un costume peuvent-ils faire partie de la diversité?

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Membres de la communauté LGBTQ?

Le concept de drag queen trouve son origine dans les milieux homosexuels. Aujourd’hui encore, la plupart de ceux qui pratiquent la drag sont homosexuels, mais pas tous. Ainsi, la drag queen en tant que telle n’appartient pas à la communauté LGBTQ en raison de son homosexualité, de la même manière que le bonhomme Carnaval, en tant que bonhomme Carnaval, n’appartient pas à la communauté humaine. Il faut distinguer le personnage de l’interprète. 

À bien y penser, la drag queen ne peut en aucune façon intégrer la communauté LGBTQ. Comment inclure dans une communauté réelle une catégorie fictive? Barbada n’existe pas, tout comme Batman ou Winnie l’ourson.

Certes, un personnage de fiction peut, dans son monde fictif, faire partie de la communauté LGBTQ, comme lorsqu’on dépeint, par exemple, Catwoman comme une lesbienne. Mais le cas diffère encore: Catwoman intègre en tant qu’individu la communauté LGBTQ, alors que les drags consisteraient en une catégorie à part entière.

Pourquoi est-ce que je m’attarde sur ce point? N’est-ce pas évident que la drag ne constitue pas une identité de genre ou une orientation sexuelle? Dans ce long alphabet que propose la communauté queer, on ne trouve pas, après tout, la lettre D pour «drag».

Pourtant, le débat des drags se trouve intrinsèquement lié à la communauté LGBTQ. Le gouvernement du Québec, en adoptant dernièrement une motion dans le but de protéger les drag queens lisant des livres aux enfants, a déploré «la montée des propos haineux et discriminatoires envers les personnes de la communauté LGBTQI2S+ dans la sphère publique». C’est dire qu’un lien subsiste entre drag et théorie du genre. Tous le pensent, qu’on se trouve à droite ou à gauche sur l’échiquier politique.

C’est même là tout l’argumentaire de ceux qui défendent les drag queens dans les bibliothèques: ouvrir les enfants à la diversité. C’est soutenir que la drag queen, au contraire de Batman ou d’un clown, se rattache à la communauté LGBTQ d’une manière ou d’une autre.

Des contes comme les autres?

Peut-être la drag queen se rattache-t-elle à la communauté LGBTQ par le choix des contes? Mais Barbada a pourtant assuré à Tout le monde en parle qu’elle lisait des histoires sans programme politique particulier, sans direction idéologique. Dans la même ligne, Patrick Lagacé s’insurge: qu’y a-t-il de mal à lire Les trois petits cochons aux enfants? On ne trouve dans cette histoire aucun endoctrinement!

Où se trouve alors la «sacrosainte» diversité que vante Barbada, si elle ne se trouve ni dans le personnage lui-même ni dans les contes?

Costume ou identité?

Peut-être la diversité à laquelle se confrontent les enfants porte non pas sur une identité, mais sur une passion, la passion de se déguiser de manière grotesque et burlesque en le sexe opposé (entendu qu’il existe également des dragkings).

Mais pourquoi un enfant devrait-il côtoyer cette diversité de «passion»? Moi aussi, j’ai une passion bien particulière et peu commune: la philosophie. Devrait-on militer pour que je fasse la lecture aux enfants au nom de la diversité que représentent les gens passionnés par la philosophie (d’une certaine manière, c’est encore plus bizarre aujourd’hui qu’une drag queen)?

Pourquoi la passion de la drag mériterait-elle l’attention des enfants? J’ai cherché la réponse dans l’émission pour enfants de Barbada, émission disponible sur la plateforme télé de Radio-Canada. Dans les quelques épisodes que j’ai regardés, je n’ai rien observé de déplacé ou d’explicitement idéologique. Le costume de Barbada ne connote rien de sexuel; le décor plait sans doute aux enfants; les histoires m’ont paru banales. Mais je saisis mal l’intention dans le choix de Barbada comme protagoniste. Que gagnent les enfants à rencontrer ce personnage grossier et burlesque, sinon à entretenir la drôle d’impression qu’un homme peut se prendre pour une femme?

Quand on y pense, tout tient à cette ambigüité non avouée: le statut même de la drag queen, comme costume ou identité. On reconnait cette confusion dans l’entrevue de Barbada à Tout le monde en parle ou en général, lors de la présence des drag queens dans la sphère publique. C’est Barbada qui est allée à Tout le monde en parle, dit-on, non Sébastien Potvin (ou peut-être, également Sébastien Potvin?). C’est Mona de Grenoble qui a gagné Big Brother, pas Alexandre Aussant. Depuis quand les personnages de fiction se mêlent-ils ainsi à la réalité? Quel autre exemple a-t-on de pareil phénomène?

S’habituer progressivement à la fluidité du genre

Ambigüité: c’est la morale de toute cette histoire. Les drag queens, grâce à cette confusion même, volontairement ou non, deviennent comme un cheval de Troie pour l’idéologie LGBTQ. Car elles occupent un espace mitoyen, obscur, n’étant ni purement un costume, ni explicitement une identité de genre.

Devant l’indignation des «fermés d’esprit» et des «idiots de la droite», on contreargumente ainsi: «Voyons donc, c’est juste un costume!» Et pour les progressistes, on vante l’activité des drags, au contraire, en insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’un costume, mais d’une certaine identité, d’une diversité. On joue sur deux terrains à la fois, conservant le beurre et l’argent du beurre.

L’éducation vise le bien moral

Qui se préoccupe de l’éducation des enfants se doit d’être attentif à ce double discours. Et il ne suffit pas d’opposer à cette pratique la neutralité de l’État et la liberté des citoyens, argumentant que, comme le gouvernement a jugé bon de retirer les lieux de prières des écoles, de même, il ne devrait pas encourager et financer l’idéologie LGBTQ. Certes, la contradiction est réelle, mais c’est parce que la neutralité de l’État en matière morale relève de la pure fiction.

L’éducation vise la vertu et le bien. Une société responsable ne doit pas l’exclure, comme si les enfants n’apprenaient que les mathématiques ou la grammaire. Il faut débattre de la morale, plutôt que de l’ignorer et de viser une neutralité utopique.

Le vrai enjeu, dans le débat sur les drags, consiste à reconnaitre l’intention politique derrière cette activité et prévoir la pente glissante qui suivra. Car si la drag n’est qu’un costume, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un costume porté de manière ambigüe. Et les enfants, devant cette ambigüité, concluent sans surprise à une ambigüité plus générale, à savoir la fluidité du genre. C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans la bande-annonce de Generation Drag, quand un enfant affirme que la drag concerne leur true self ou quand un autre mélange la drag et la transidentité.

Le sujet des drags retient trop l’attention médiatique, m’a-t-on prévenue alors que je préparais cet article. Et pourtant, il vaut la peine d’en parler, si on ne veut pas ressembler à la grenouille qui, confortablement installée dans l’eau qui se réchauffe graduellement, finit par mourir bouillie. Ainsi en va-t-il de l’éducation, si on demeure inattentif aux dérives possibles.

Les parents, en somme, ne doivent pas fuir devant cette question: pour le bien de mon enfant, est-il nécessairement juste de lui présenter une théorie – car ce n’est, rappelons-le, qu’une théorie – niant la binarité sexuelle? Est-il prêt psychologiquement à remettre en question son identité de genre? Car c’est là le réel enjeu derrière ce qu’on veut présenter comme une activité ludique, aussi banale que l’Halloween et ses déguisements.

Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.