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Le devoir de philo de Legault

Répondant à des journalistes lors d’un point de presse autour du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, François Legault a montré ne pas avoir oublié ses cours de philo du collège classique. Notre collaborateur Simon Lessard se met ici dans la peau d’un professeur qui reçoit sur son bureau le devoir de philosophie du premier ministre québécois.

Un journaliste demande: « Monsieur le premier ministre, pensez-vous que Dieu existe ? »

« Hmmm… Dieu existe-t-il ? En vieillissant, c’est une question qu’on se pose de plus en plus. »

Il semble que M. Legault se pose de plus en plus de grandes questions et c’est une bonne nouvelle ! Il a ainsi commencé par arrimer la pertinence du questionnement au phénomène du vieillissement.

Plus on vieillit, en effet, plus on voit mourir ceux qu’on aime et plus on s’approche soi-même de la mort certaine. La mort c’est le sujet de l’heure ! Face à elle, on se pose les questions qui comptent vraiment. Et de toutes les questions, il n’y en a pas de plus fondamentale que celle de Dieu. Pourquoi ? Parce que sa réponse (ou non-réponse) change le sens de toutes choses.

Comme disait Saint-Exupéry : « Celui-là n’habite point le même univers qui habite ou non le royaume de Dieu. »

Un doute bien placé

Puis, notre philosophe en herbe amorce sa réponse par une distinction capitale :

« On peut dire que Dieu existe, ou on peut dire que tout est un hasard. »

Rigueur et profondeur, tout y est.

Ou bien tout est voulu par quelqu’un et donc a un sens, ou bien tout est absurde, sans intention originelle ni but ultime. C’est l’alternative obligatoire, toutes les positions intermédiaires pèchent par manque de cohérence. Si au commencement il n’y a ni sens ni amour, alors il ne faut pas en chercher à mi-chemin ou à la fin.

Ensuite, en bon dialecticien, François Legault pose une objection :

« Mais c’est un hasard assez spécial qu’il y ait eu le Big Bang, la vie, des êtres humains qui pensent. »

On sent ici un doute bien placé.

Définir la science

N’est-ce pas plus irrationnel encore de croire que ces merveilles que sont le cosmos, les plantes, les animaux et par-dessus tout l’homme doué d’esprit, ne seraient pas le fruit d’une intelligence supérieure ? Après tout, on n’a jamais vu le vent et l’eau former ne serait-ce qu’un simple château de sable, ni des roches devenir par elles-mêmes vivantes ou intelligentes à force de se frapper les unes les autres.

C’est alors que monsieur Legault ajoute une remarque malheureuse:

« Personne peut confirmer par la science ni une position ni l’autre. »

Cette position sceptique, voire agnostique, n’est pas surprenante, car elle est aussi largement répandue au sein de la population.

Si, par science, on veut dire «observation» et «description mathématique de phénomènes sensibles», alors elle ne pourra clairement jamais regarder l’invisible. Mais si la science signifie «connaissance logique des effets par leurs causes», alors elle arrive facilement à la conclusion qu’il faut, pour toute chose, une cause première. Et le hasard ne se qualifiera jamais à ce titre. Car tout hasard est hasard de quelque chose (de cartes, de dés, de vélos ou d’atomes qui se frappent) et donc jamais la cause première des choses.

Une bonne nouvelle

Enfin, le chef de la CAQ conclut sur une remarque éthique provocante:

« Moi, je souhaite que Dieu existe, car je pense que la vie serait injuste sinon. »

L’argument est un peu serré, mais valide.

Primo, si Dieu existe, c’est une bonne nouvelle pour mon bonheur et pour celui de l’ensemble de la société. Dieu n’est pas un dictateur cruel qui imposerait des lois arbitraires et des punitions sévères. Dieu est un créateur bienveillant qui légifère pour protéger et orienter, un père qui patiente et pardonne plus qu’il ne punit.

Secundo, sans Dieu, pas de vie après la mort. Pas de jugement où chacun reçoit ce qu’il mérite en bien et en mal. Si, dans cette vie, ce sont souvent les méchants qui gagnent et les gentils qui perdent, au moins avec Dieu toute injustice sera un jour réparée et l’histoire va bien se terminer.

*

Merci monsieur le premier ministre pour cette leçon 101 de métaphysique. Si vous étiez mon étudiant, je vous donnerais au moins 80%, ce qui vous placerait sans conteste dans le premier rang cinquième.

Car si ce n’est pas sur la religion que vous basez vos politiques, c’est à tout le moins sur la nature, ses causes et son sens ultime. Nul n’y échappe, toute décision suppose consciemment ou non de répondre au dernier des pourquoi.


Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.