La sècheresse

Dans l’univers niché des sciences de l’espace (espace comme dans « ça prend de la place » et pas comme dans « la lune et les étoiles »), on trouve une branche dédiée à la diagonalité. C’est-à-dire l’étude des choses placées à angle par rapport à la perpendiculaire. Les livres dans une bibliothèque, les oranges dans un présentoir, etc.

Cette science théorique trouve son application dans plusieurs idées pratiques, comme les stationnements à angle, là où les rues sont trop étroites. Ce modèle s’est multiplié, au point où l’on sait maintenant qu’une voiture obliquée prend moins d’espace que la même voiture perpendiculaire, le nez franc sur la calandre de son voisin.

N’importe qui aura aussi remarqué qu’un pain tranché à 30° donne plus de tranches. Aucun restaurant ne sert d’ailleurs plus de pain coupé à angle droit.

On a bien essayé de transporter cette science dans le domaine de l’immobilier. La géotechnique n’arrivant pas à satisfaire les exigences de la géométrie, on laissa tomber, malgré quelques essais prometteurs comme la tour de Pise.

On répertorie aussi des cas de saints qui avaient le don d’obliquité, facilitant ainsi l’insertion du discours chrétien dans l’oreille de l’impie.

Bref, les possibilités sont multiples. J’ai donc décidé d’appliquer ce même principe dans le domaine de la pensée. Voici quelques idées, parquées ensemble de biais. Vous en aurez plus pour votre argent.

Énoncés obliques

  • On retrouve souvent des gens qui soutiennent des points de vue qui n’ont pas de bon sens. Ça n’a pas de bon sens d’émettre des idées qui n’ont pas de bon sens.
  • Le débat public est malsain. Les gens se polarisent, et accusent ceux qui ne pensent pas comme eux d’être des fous furieux.
  • Le cautionnement moral se vend à bas prix de nos jours, propulsé par les bons sentiments consensuels et cimenté par les invectives aux crétins providentiels qui ne se brossent pas les cheveux du même côté que tout le monde.
  • Un trentenaire qui se fait vacciner fait montre d’une grande abnégation. Il pense au bienêtre de ses ainés qui pourront maintenant s’évaporer en toute sécurité dans leur CHSLD.
  • Aller s’assoir sur une terrasse, c’est mettre l’intérêt des commerces locaux, durement frappés par la pandémie, avant le sien.
  • Faire un billet Instagram contre le racisme, c’est poinçonner aux plus hautes sphères du standing humaniste bon chic.
  • Mais quand vient le temps de tester sa vertu fraichement repeinte, quand les évènements exigent que l’on éprouve sa philanthropie sur une enclume un peu plus rugueuse que les inclinations naturelles qui lui servent habituellement de glissoire, on se rend compte qu’on a souvent le cœur bien à sec.

Des réserves vides

  • Parlant d’être à sec, les réserves d’eau de mon village sont vides. L’hiver moins neigeux et le manque de pluies printanières ont eu raison des maigres capacités de notre puits. La municipalité a coupé le service depuis hier soir.
  • Les gens sont fâchés sur les médias sociaux. Ça s’invective. On leur a demandé de réduire leur consommation d’eau et ça ne semble pas avoir fonctionné. On va voir si l’agressivité fera mieux le travail.
  • Houspiller ses semblables sur internet, ça vous aiguise le sentiment de supériorité en plus de mettre le correspondant face à ses contradictions et l’obliger à se remettre en question.

Je vous laisse. Je dois aller traiter mon maire d’incompétent sur Facebook. Ensuite j’irai peut-être user de ma dialectique sur deux ou trois nigauds qui n’ont pas encore eu la conscience sociale d’aller se faire vacciner.

Le nombre de personnes qui ont leur nombril comme centre de gravité de nos jours est incroyable !


Gabriel Bisson

Physiquement bellâtre, intellectuellement ambitieux, socialement responsable, moralement innovateur, Gabriel croit aux choses qu'on peut prouver, mais aussi à certaines choses qu'on peine parfois à rationaliser. Ingénieur, il met son amour des lettres et du dessin au service de notre média.