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La porte ouverte

Quand j’ai quitté la résidence familiale, située en banlieue de Québec, je suis partie sans me retourner. Dans mon regard de jeune adulte, ce milieu de vie incarne alors tout ce que je dédaigne: le conformisme, le consumérisme et le matérialisme. Je rêve de vivre en centre-ville, dans un quartier où l’on fait ses courses à vélo. Les premières années, ça fonctionne. Puis j’ai trouvé un emploi en périphérie. Et j’ai eu un enfant.

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Petite misère de la classe moyenne

Douze ans après mon premier déménagement, je retourne dans la rue de mon enfance. Je me sens comme une transfuge de classe. En réalité, je n’ai pu me procurer un petit bungalow qu’au prix de la mort de mes parents, dont j’ai hérité. Je me sens toujours obligée de le préciser, pour qu’on ne me présume pas plus économe que je ne le suis réellement. Dans le contexte actuel, je n’aurais pas dû avoir accès à la propriété.

Je suis donc la première gênée à me voir si enthousiaste à l’idée d’avoir une pelouse à tondre. Je me suis interrogée: est-ce que mes valeurs ont changé? Mon bonheur est-il légitime? Dans l’Évangile, Jésus nous prévient que l’attachement excessif aux biens matériels risque de nous éloigner de Dieu et de notre prochain: « Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux » (Mt 19,24).

La baignoire à remous

Retournons trente ans en arrière, dans cette maison de banlieue qui m’a vu naitre. Mon père vient de terminer un projet de rénovation. Au milieu de la salle de bain trône une baignoire à remous, symbole de réussite à l’époque. On me raconte qu’au moment de l’étrenner, mon père éclate en sanglots. Avec ses trois frères, il a été élevé par ma grand-mère dans un quatre et demi de Limoilou. Il n’avait jamais cru avoir accès un jour à un tel confort.

J’ai déjà pensé que mes parents étaient des parvenus. S’ils étaient encore là, je leur demanderais pardon.

Il semble que ma génération vivra moins longtemps et plus pauvrement que la leur. Je comprends aujourd’hui qu’ils ont travaillé dur pour nous protéger de la misère à laquelle ils ont eux-mêmes échappé.

Chambre d’amis

Quand je repense à ce bungalow que j’habiterai bientôt, je ne pense plus au décor un peu kitch de la salle de bain. Je vois la porte ouverte dans l’entrée. Je me rappelle ce cousin à qui l’on a tenté d’éviter la rue en l’accueillant durant plusieurs mois. Ces familles immigrantes avec qui l’on a partagé quelques Noëls.

Mon mari et moi avons prévu une chambre supplémentaire pour un enfant qui tarde. Mes parents ne m’ont peut-être pas transmis la foi, mais ils m’ont appris l’hospitalité. Je me réjouis de savoir que, d’une façon ou d’une autre, cette chambre ne restera pas vide longtemps. Dans notre petit appartement, on n’avait pas beaucoup de place pour la visite.

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.