Les producteurs de l’émission Les Simpsons viennent d’annoncer que Homer et Marge se sépareront lors de la prochaine saison puisque Homer tombera amoureux d’une pharmacienne.
Comme plusieurs autres, j’ai grandi avec Les Simpsons. Toute ma famille se rassemblait autour de la télévision durant une demi-heure en riant bruyamment – mais pas toujours en même temps – grâce aux différents niveaux d’humour qu’on trouve dans cette série. Depuis les blagues visuelles simplettes pour les jeunes enfants jusqu’aux références culturelles obscures pour les érudits, la famille de personnages jaunes porte vraiment tous les degrés de l’humour.
Mais l’humour n’est pas tout dans Les Simpsons. On y trouve aussi une critique sociale parfois discrète et toujours mordante. L’américanité incarnée par Homer est moquée sous tous les angles imaginables. Homer est un personnage vulgaire, en surpoids, incompétent, maladroit, paresseux et ignorant, et pourtant il ne subit que très peu de conséquences pour ses défauts. On redécouvre sans cesse les travers d’une société à la fois privilégiée et dysfonctionnelle.
En plus de cette critique sociale, Les Simpsons portent un message plus positif au sujet des valeurs familiales. En effet, malgré ses défauts graves et nombreux, Homer est un homme fidèle. Il n’est pas seulement fidèle au sens où il évite les relations sexuelles avec les autres femmes que Marge; il est aussi fidèle en se dévouant pour sa famille lorsqu’il devient conscient d’un péril important. À plusieurs occasions, on le voit prendre les moyens les plus drastiques afin de rétablir sa relation avec ses enfants ou avec son épouse. Homer et Marge vivent chacun des doutes et des tentations à l’encontre de leur mariage et, pourtant, ils reviennent toujours l’un vers l’autre au sein d’un amour toujours reconfirmé.
Si Homer le peut…
Bien que le processus soit largement inconscient, je suis convaincu que ce message m’a marqué de façon profonde. Si Homer, avec tous ses vices et ses faiblesses, est capable d’être fidèle à sa famille malgré les grandes difficultés auxquelles il fait face, j’ai toujours cru que la même chose était possible pour moi. Si, au final, le pire d’entre nous est capable de faire confiance et d’inspirer confiance à sa famille, nous en sommes tous capables. Cela est si vrai que le journal officiel du Vatican a déclaré qu’Homer « est un vrai catholique » et que peu d’autres émissions télévisées peuvent équivaloir aux Simpsons pour ce qui est d’aborder les thèmes de la famille, de la communauté, de l’éducation et de la religion.
Les Simpsons sont ainsi parmi les influences qui ont fait en sorte que, malgré le divorce de mes parents et les influences contraires de notre société, j’ai osé croire dans le mariage. Malgré mes propres faiblesses et les contrexemples qui m’entourent, j’ai fait le vœu, dans la confiance et l’espoir, d’aimer mon épouse jusqu’à ce que la mort nous sépare. Je n’ai pas de garantie absolue que ma confiance et mon espoir sont bien fondés mais, comme Homer, je plonge dans cette aventure périlleuse et prometteuse.
Nos décisions sont des actes libres qui relèvent de nos valeurs personnelles, mais nous ne sommes pas des êtres complètement autonomes pour autant. Nous sommes forgés et conditionnés par la culture au sein de laquelle nous évoluons. C’est pourquoi, lorsque j’ai appris que les producteurs des Simpsons ont décidé que Homer et Marge se sépareront, je n’ai pas seulement ressenti une déception : j’ai aussi ressenti une tristesse. Ce n’est pas seulement un bel exemple qui se termine, mais aussi une influence culturelle qui, à travers un humour emblématique, a su porter des valeurs d’unité et de fidélité à l’encontre d’une époque qui perd ses repères.
La dérive
Mais l’époque a finalement gagné. Je ne suis pas étonné par cette conclusion. Depuis plusieurs années, je notais des commentaires cyniques de plus en plus récurrents et explicites dans ma série préférée. L’humour aussi s’est dégradé. Alors que les saisons des premiers temps m’étaient tellement hilarantes que je manquais des blagues à cause du bruit de mon propre rire, celles des derniers temps m’inspiraient quelques petits sourires par épisode. Au mieux.
J’ignore si cette dégradation est due à un changement d’équipe ou au passage du temps mais, dans tous les cas, mon constat est le même : Les Simpsons ne sont plus les mêmes. Peut-être que, après son aventure avec une pharmacienne quelconque, Homer sera de retour auprès de Marge avec la prétention qu’il s’agit de la suite naturelle de leur histoire. Mais cela est faux : l’esprit a changé. Après des années de cynisme de moins en moins subtil, Homer aura abandonné son épouse pour une autre. On ne pourra plus s’inspirer du pire d’entre nous.
Pour ma part, je souhaite que les fans des Simpsons s’entendent sur une sorte de canon, sur une période de la série qui constituera les « vrais » Simpsons alors que les saisons subséquentes ne seront qu’une excroissance indésirable qui se sera malencontreusement greffée à la série. Si je devais choisir la fin du canon, je dirais qu’elle est autour de la quinzième saison. En tout cas, mes enfants grandiront avec Les Simpsons, mais pas avec cette dérive tardive. Ils riront en voyant Homer et Marge être confrontés aux situations les plus loufoques et les plus communes, et ils souriront en les voyant revenir toujours l’un vers l’autre.