J’aurais voulu être humoriste

J’ai un rêve dont j’ai honte : celui de devenir humoriste.

Le rêve est né par accident, quand j’étais encore au Cégep. Durant le dernier cours de littérature, le professeur nous a demandé de présenter un numéro de standup devant le reste de la classe. Je ne voyais pas trop le rapport avec le but du cours (communiquer des idées en lien avec le programme « science nature »), mais je me suis lancée, non sans un certain enthousiasme.

J’ai tiré l’essentiel de mon inspiration pour mon standup de la réflexion d’un collègue, qui m’a dit un jour : « J’aime me faire chier toute la semaine à étudier pour ensuite me souler la fin de semaine au bar. Si je ne me botte pas les fesses durant la semaine, je n’aime pas autant faire la fête la fin de semaine. Et si je ne fais pas la fête la fin de semaine, je déteste ma vie à l’école la semaine. »

Ça m’a fait penser à Platon. Il écrit que la plupart des gens conçoivent uniquement le plaisir comme une cessation de la souffrance, comme quand on prend plaisir à manger après avoir eu faim, à se gratter après avoir senti la démangeaison, à se souler après avoir travaillé fort… Une idée plutôt ridicule quand on y pense un peu.

Mes collègues ont ri devant mon numéro et j’ai eu une bonne note.

Mais rapidement j’ai pensé avec un certain dédain : « Maintenant, passons aux choses sérieuses : je veux devenir philosophe, pas clown ! »

Fascination et mépris pour l’humour

Dans les années suivantes, j’ai cependant développé une relation amour/haine envers l’humour. Une fascination d’un côté et un mépris de l’autre.

En fait, j’adore rire et faire rire, au point où ça en devient parfois excessif et maladif. Ça m’a frappée quand j’ai lu les évaluations de mes étudiants après mon premier cours de logique. La moitié d’entre eux ont identifié comme principale qualité de mon enseignement… le fait d’être drôle.

Se faire dire qu’on est drôle comme prof, c’est mieux que se faire lancer des briques. En même temps, mon but est premièrement d’enseigner la logique, pas spécialement de faire rire.

Tout ça m’a conduite à prendre une drôle de résolution en 2018 : être moins drôle.

Comme philosophe et comme chrétienne, je voulais en 2018 devenir plus sérieuse. Ne pas perdre mon temps avec des vidéos d’humour sur YouTube. Ne pas rendre les discussions superficielles avec des blagues à répétition. Ne pas tomber non plus dans la vulgarité, qui flirte trop souvent avec l’humour.

Il y a des pensées en soi comme ça : schizophréniques. Une envie incontrôlable de faire une chose en même temps qu’une honte inavouée.

À force toutefois de réfléchir sur ma relation avec l’humour, j’en suis venue à envisager autrement le problème : peut-être qu’au lieu de réprimer ma passion, je pourrais l’élever, voire la sublimer ? Qui sait : peut-être y a-t-il de saints humoristes ?

Objet de l’humour

Trouver la juste place de l’humour dans la vie humaine, c’est d’abord demander ce que c’est. Sur quoi porte l’humour et à quoi ça sert ?

La comédie, écrit Aristote, concerne le ridicule, une partie du honteux et du laid. On ne rit pas des belles et grandes choses, du moins pas en tant qu’elles sont belles et grandes. On rit de l’erreur, du désordonné, du malaise.

Tous les autres arts – la musique, la peinture, le cinéma, etc. – portent au contraire sur le beau, l’harmonieux, le symétrique. On comprend alors la gêne qu’ont parfois les humoristes eux-mêmes à se qualifier d’artistes !

Certes, il faut encore ajouter une précision : on rit du laid quand il n’implique aucun danger. Un monstre, c’est laid, mais ça ne fait pas rire. Insulter gratuitement un pauvre, c’est laid, mais ça ne fait normalement pas rire.

Autre exemple encore : mon fils rit de mes grimaces, mais pas de celles d’un inconnu dans la rue. Car il a confiance en sa mère, mais pas en n’importe quel quidam.

Dans cette considération sur le laid se dessinent au fond ma fascination et ma méfiance envers l’humour.

Fascination, car étant philosophe (et donc légèrement pessimiste de nature), je suis régulièrement frappée par la laideur et la petitesse des hommes (la mienne comprise).

Je suis souvent ridicule, dans mon orgueil, mon intempérance, ma vanité, etc. Les autres sont souvent ridicules aussi, dans leur hypocrisie, leur ignorance, leurs excès. Quand on regarde les péchés et les faiblesses de tout un chacun – soi compris, j’insiste – il y a de quoi rire.

Évidemment, il y a de quoi s’attrister aussi. Je ne veux pas dire qu’il ne faut rien prendre au sérieux. C’est probablement ici qu’entre ma méfiance. Devant les humoristes qui prétendent qu’on peut rire de tout, je me crispe. Tout n’est pas une laideur inoffensive. Tout n’est pas ridicule.

Il y a un temps pour pleurer et un autre pour rire, comme dirait l’Ecclésiaste.

But de l’humour

J’ai connu un professeur de philosophie qui aimait répéter : « Socrate riait, Jésus pleurait ».

Que l’Évangile ne décrive jamais Jésus en train de rire, c’est clair. Mais l’Évangile n’affirme pas non plus le contraire. En fait, ça demeure mystérieux.

Dans tous les cas, en y pensant bien, je crois que parmi tous les personnages de l’Évangile, ce sont les pharisiens qui devaient le moins rire. Car un pharisien prend tout au sérieux. Il se considère lui-même comme parfait et sans tache. Comment pourrait-il alors s’abaisser à rire du laid ? Comment connaitrait-il l’autodérision ?

Dans la même ligne, difficile de ne pas trouver les gens d’Église qui ne rient jamais plutôt rigides… « Christ est mort pour nos péchés et toi, tu oses une blague sur l’Église ! ».

J’ose en effet… Car si Dieu n’est certes pas ridicule, les humains eux le sont souvent dans leurs rapports à lui.

En outre, je crois que l’humour, bien manié, possède un objectif louable : celui de réguler la gaité, de supprimer la mélancolie et d’augmenter l’espoir.

Réguler la gaité, car on a besoin de rire, de lâcher prise. Et on a ultimement besoin de grandes œuvres pour apprendre à rire avec nuances, saveur et même, je dirais, modération.

Modération, puisque le rire est un plaisir, comme le vin et la nourriture. En cette matière, donc, les hommes versent trop souvent dans l’excès. Là se situe en partie, d’ailleurs, je crois, le problème des humoristes d’aujourd’hui : ils ne modèrent pas l’appétit au rire, mais l’exacerbent ad nauseam.

L’humour doit aussi supprimer la mélancolie, car cette forme de tristesse rend la vie pesante et lourde, au point d’empêcher d’agir. La gaité engendrée par le rire apporte au contraire de la légèreté.

L’humour doit aussi engendrer l’espoir, car le rire vise à placer l’être humain comme « au-dessus » du laid. Le rire rend le laid inoffensif. En ce sens, rire de ses faiblesses, c’est reconnaitre qu’elles n’auront pas le dernier mot, qu’elles n’auront pas la victoire finale. Une attitude tout à fait chrétienne au fond, quand on se rappelle que même la mort, par le Christ, a perdu son aiguillon…

Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.