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Il faut sauver le climax

Du grec ancien klîmax: échelle. Bref, ce qui nous fait monter là-haut. Dans la langue de Shakespeare et du rappeur Usher, le climax renvoie à l’apogée du plaisir vénérien.

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L’autrice française Sonia Feertchak l’affirmait il y a dix ans, la sexologue Thérèse Hargot le redit aujourd’hui : malgré des décennies de tabous levés, les femmes s’emmerdent encore au lit. (Et c’est sans parler des hommes qui, à ce chapitre, se plaindront toujours.)

Or, tout porte à croire que l’écoanxiété ajoute une embuche de plus au laisser-aller sous la couette. Un sondage Léger rapportait en 2023 que 19 % des millénariaux souhaitaient ne pas avoir d’enfants. Chez leurs cadets de la génération Z, ce taux grimpe à 25 %. Pour près de la moitié de ces jeunes, la situation climatique castre leur désir d’enfant.

Malgré l’apparente simplicité de la mécanique des corps qui s’enlacent, ce n’est pas si simple de prendre son pied à deux. Tant de dangers, d’imprévus… mais surtout le risque de rencontrer vraiment l’autre dans tout ce qu’il est.

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Plus de 100 000 vols commerciaux par jour autour du globe. Données stratosphériques. S’agit-il pour autant d’un sommet? Est-ce le climax de la courbe avant le déclin?

N’ayant pas la charge du trafic aérien ni de la pollution qu’il génère, la société qui gère les parcs nationaux québécois a décidé de fournir sa part d’efforts pour la planète en encourageant les campeurs à limiter les feux de camp.

Les calembourgeois les plus raffinés diront qu’il s’agit d’une mesure rabat-feux-de-joie.

Plutôt que de se procurer une brassée de buches à l’accueil du parc, peut-être pourra-t-on un jour y emprunter un DVD de flammes qui crépitent dans un foyer. Une expérience par procuration, hygiénique et écologique. Bonjour l’ambiance.

Dans un même ordre d’idées, on me dit qu’à Climax, village du sud de la plus rectangulaire des provinces canadiennes, les vaches tâcheront désormais de retenir leurs flatulences en période de smog.

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Au risque de paraitre alarmiste, je pense qu’on ne s’inquiète pas assez de l’urgence climacique. Ce mot existe. Si vous êtes «climaxosceptique», ouvrez un dico, vous verrez bien que je ne raconte pas (toujours) des bobards. En écologie, le climax fait référence au point d’équilibre d’un environnement.

Suggérons un exemple. Un marais abandonné où pousserait une usine-de-batteries-de-chars-fabriquées-avec-du-cobalt-extrait-par-des-enfants-dans-les-mines-congolaises n’a pas atteint ce point si la faune et la flore qui y vivent ne sont pas à pleine maturité et en interactions stables entre elles.

Climax interrompu.

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Sans l’amère désillusion d’une vie communautaire débridée à Dawson (Yukon), l’écrivaine Emmanuelle Pierrot n’aurait pas eu l’immense succès qu’on lui connait aujourd’hui avec La version qui n’intéresse personne. Et sans l’horrible assassinat du père Jacques Hamel en 2016, l’improbable amitié entre sa sœur Roseline et la mère du meurtrier n’aurait jamais vu le jour.

Dans un contexte narratif, le climax est le point culminant, le moment de l’histoire où la tension du récit est à son comble. Qu’en est-il de nos histoires personnelles? Bien souvent, nous les désirons sans tension et sans point culminant. Sans aventures, sans croix et sans résurrection.

Je le crois sincèrement, il faut à tout prix sauver le climax.

Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.