À Marylène, qui me rappelle chaque année le combat de la vie
« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »
– Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe
J’espère que vous ne m’en voudrez pas de parler encore de suicide alors qu’une journée mondiale y a été consacrée jeudi dernier. De toute manière, on n’en parle jamais assez, semble-t-il…
Le Québec, c’est environ trois suicides par jour et 1000 par année.
Lors de cette journée du 10 septembre, je ne peux m’empêcher de penser à ma chère amie Marylène Hains.
Elle m’a enseigné la philo au collégial. J’étais moi-même suicidaire à cette époque, désillusionné que la vie (et la souffrance surtout) ait un sens. Et cette femme, trentenaire, était pour moi une réincarnation de Socrate : elle questionnait tout, nous dérangeait dans nos certitudes, et moi dans le confort de ma crise existentielle.
C’était une femme vivante, musicienne, engagée dans de multiples causes sociales : dans les murs du Cégep, on pouvait d’ailleurs apercevoir sa bouille sur les affiches de la campagne Le suicide n’est pas une option.
Marylène et les Heureux perdus
Ce qu’elle était a suffi pour me faire sortir de mon nihilisme ; j’avais devant moi un signe concret que la vie avait un sens, que la vérité pouvait exister. Après cette session, nous sommes devenus amis. J’allais l’écouter chanter, nous discutions ici et là dans les couloirs du Cégep.
Une fois, nous sommes allés, son conjoint, elle et moi, entendre Hubert Reeves donner une conférence. Juste avant, j’étais allé souper chez eux. Ils venaient d’accueillir leur fils. Elle me partageait leur projet d’avoir une maison, à quel point elle était heureuse.
Quelques semaines plus tard, durant la fin de semaine de l’Action de grâce 2009, Marylène s’est enlevé la vie, subitement, de manière complètement imprévisible.
J’ai pensé d’emblée qu’elle avait succombé au désespoir, donc que c’était peine perdue pour moi aussi. Or, j’ai appris, peu de temps après, que sa condition psychologique lui faisait prendre des médicaments ; son bien-être l’avait décidé à les arrêter. Et puis est arrivé le creux de la vague.
Le combat réel
Je n’ai malheureusement pas assisté à ses funérailles parce qu’il y avait trop de monde. Des centaines de ses étudiants et d’autres personnes se sont rassemblés pour chanter les paroles de sa chanson Victoire : « Hasta la victoria siempre / Jusqu’à la victoire, toujours ! ».
Marylène avait une vie spirituelle profonde et j’irais jusqu’à dire la foi, même si elle en avait une conception bien personnelle. Elle ne laissait personne indifférent.
Aurait-elle accepté d’apparaitre tout de même sur les affiches de la campagne pour la prévention du suicide sachant d’avance qu’elle allait faire comme son maitre Socrate ?
Chose certaine, pour elle, le suicide n’était pas qu’une hypothèse : ce n’était pas la première fois qu’elle y songeait. Il a été une option à plusieurs reprises dans sa vie. Maladie mentale ou crise existentielle ? Pourquoi pas les deux, s’alimentant de manière réciproque ?
Son frère Jasmin Hains, bien connu dans le monde artistique, est d’ailleurs devenu porte-parole pour le Centre de prévention du suicide de Québec.
Il lui avait composé une chanson, Douce amère, qu’elle chantait sur scène : « Philo, théo, socio, ne changeront pas le monde, si tes levés sont sombres […] Si tu t’en vas, toi ma féconde, toi ma Joconde, mais que vaudra le monde ? »
Donc, quand elle affirmait, dans sa chanson Victoire, que « la vie est plus forte que la mort », c’est qu’elle voulait y croire, jusque dans sa chair, notamment en devenant mère. C’était manifestement un combat pour elle.
À quoi bon ?
La vie sans sens est absurde, ça va de soi. La souffrance à plus forte raison. Et je pense qu’il est tout à fait raisonnable, voire légitime de se suicider si c’est le cas. D’ailleurs, elle le disait elle-même ici.
Éviter de le reconnaitre, c’est précisément éviter de faire face aux véritables questions. C’est se soustraire au combat réel de l’espérance, de la vie et la mort. On ne peut pas décider de vivre sans bonnes raisons, à coups de devoirs moraux et de il faudrait que. « La vie est une entreprise qui ne couvre pas ses frais », comme l’affirme Schopenhauer.
Bien sûr, la réalité du suicide est complexe : il y a des gens avec un sens à leur vie qui se suicident et d’autres qui n’en ont pas et semblent bien vivre avec le non-sens.
Notre fond judéo-chrétien nous fait encore affirmer socialement — par réflexe plus que par conviction profonde — que la vie vaut la peine, mais soyons honnêtes, c’est faux, sans raison ultime d’exister.
Et c’est ici précisément que nous faisons preuve d’hypocrisie parce que nous tentons de ménager la chèvre et le chou.
Une autre prévention
Comme je l’ai déjà dit, d’un côté on s’efforce de vouloir convaincre les gens que le suicide n’est pas une option, mais d’un autre on sert la piqure sur un plateau d’argent à ceux qui pensent ne pas mourir dans la dignité. Saviez-vous que les causes qui poussent les gens au suicide sont les mêmes qui les mènent à l’euthanasie ?
Que dites-vous à quelqu’un qui est déprimé et qui veut mourir ? Que ça va bien aller ? Que le soleil revient toujours après la pluie ? Que la vie vaut la peine d’être vécue ?
Mais pourquoi vaudrait-elle la peine si nous ne sommes que le fruit du hasard et une poussière dans l’univers qui erre sans but ?
Notre société n’a pas de réponse à donner à notre existence et encore moins à la souffrance.
Ce n’est pas du suicide dont il faut parler davantage, mais de sens, de spiritualité, de résurrection des morts !
Mais, là-dessus, on nous écoutera une autre fois… (Ac 17, 32)