Deux pontifes valent mieux qu’un

Ce n’est plus une nouvelle : les réflexions du pape émérite Benoit XVI concernant les abus sexuels ont été publiées tout récemment sur internet, créant, comme à chaque fois qu’un pape ose parler ou faire un pet de travers, une déferlante d’analyses et d’opinions. On pourra sans doute, pour encore quelques jours, lire les commentaires des uns et des autres. Permettez-moi d’embarquer dans la parade.

On ne s’étonnera pas que le texte de Benoit XVI déplaise à plusieurs puisqu’il a osé faire un lien entre la sacro-sainte révolution sexuelle et les abus. D’ailleurs, contrairement à ce que certains disent, il ne trace pas de lien de causalité directe entre les deux éléments.

Non, ni la révolution sexuelle ni le cléricalisme et ni le célibat ne produisent la pédophilie ou l’éphébophilie. Ceux-ci sont plutôt des éléments extrinsèques, voire contextuels, qui peuvent parfois renforcer une immaturité sexuelle et la faire passer à l’acte.

Le grand blasphème

S’il est vrai qu’il y a eu un apogée des abus entre 1960 et 1980, on aurait tort de vouloir expliquer toute cette crise par le seul contexte. Et ce n’est pas non plus ce que Benoit XVI prétend faire. Il affirme très clairement, dès les premières lignes de son intervention, qu’il «souhaite présenter brièvement de manière générale le contexte social de la question, sans lequel le problème ne peut être compris.»

Mais, pour tous les soixante-huitards effarouchés par une certaine Église moralisatrice préconciliaire, il semble inconcevable de penser voir les travers de cette révolution sexuelle. Se pourrait-il que la crise des divorces, l’éclatement des familles, l’avalanche de la pornographie (qui peut conduire à la pédophilie, oui, oui!), initiés par cette époque auraient aussi à voir avec l’émergence d’immaturités sexuelles et de déviances? Il semble qu’il soit difficile pour plusieurs de l’envisager.

Un excès engendre toujours un autre excès. Parce que réactionnaire, la «liberté» sexuelle déployée en guise de réponse à des années de jansénisme ne peut qu’être empoisonnée. Les déviances sexuelles ont toujours existé et existeront toujours, mais est-ce un blasphème d’affirmer que certains contextes et certaines idées peuvent y contribuer plus que d’autres?

Pas plus catholique que le pape!

En lisant l’excellente analyse d’Austin Ivereigh, j’ai réalisé que plusieurs ont interprété ce texte du pape émérite comme une attaque contre François et le Concile Vatican II. À mon grand étonnement puisque, du côté francophone, je n’avais rien perçu de tel, d’autant que cette idée ne m’était même pas passé par la tête.

Il faut dire sur ce sujet que chaque partie du monde réagit différemment selon ses lorgnettes. Ici, au Québec, Benoit XVI a toujours été interprété comme une espèce de réactionnaire rigide et traditionaliste, donc ça n’aurait pas surpris personne.

Je suis presque toujours scandalisé que l’on reçoive avec si peu d’humilité les réflexions d’un pape – de surcroit l’un des plus grands théologiens de notre époque – fruits de la prière, et qui plus est qui a vécu comme personne la réalité interne de l’Église. On l’interprète avec tant de malveillance, ou à tout le moins de manière tellement réductrice et condescendante.

Justement, l’autre grand élément dans le texte de Benoit XVI qui a provoqué une crise d’urticaire chez plusieurs lecteurs porte sur l’éloignement de Dieu comme source possible du mal. Arrêtez-vous. Et redites la phrase «éloignement de Dieu comme source du mal». Vous trouvez ça logique et normal? Moi aussi.

Loin de Dieu, loin des gens

Ce n’est pas sans rappeler l’allusion à Satan du pape François lors de la liturgie qui clôturerait le sommet sur les abus à Rome récemment, de même que la réaction qui en a découlé : «Le pape parle de Satan et de Dieu, inconcevable, quel arriéré!». En ce qui me concerne, je suis rassuré que l’Église me parle comme un chrétien et non comme une ONG, un cabinet de ministre ou un bureau d’avocat.

Il me semble que depuis qu’on parle des abus dans l’Église, on a énormément fait référence aux lois, aux droits, aux excuses, aux mesures, etc., et si peu à la grâce, au péché, au pardon.

À ce compte, on aura tôt fait d’accuser les deux papes de vouloir tout spiritualiser, ce qui est évidemment faux. Comme si Benoit XVI, avec la grande intelligence qu’on lui connait, ne portait le blâme que sur la méchante société sécularisée, affirmait que l’eau bénite et la prière étaient les seuls remèdes aux abus sexuels, que l’Église était parfaite comme elle est et que les autres mesures humaines ne servent à rien.

Si c’est ce que vous avez compris, je vous invite à lire ou à relire d’abord les textes pontificaux de Benoit XVI et aussi de Joseph Ratzinger tant qu’à faire.

Le pape émérite ne cherche qu’à nous ramener à une réalité fondamentale de la foi: le mal est une absence du bien, et le bien c’est Dieu. Nous sommes appelés à être image de Dieu. Bien que tous les moyens humains déployés puissent supporter la grâce, y disposer et y contribuer, ce n’est que le Christ seul, Lui qui est «Le Chemin, la Vérité et la Vie» (Jn 14, 6), qui peut nous y faire parvenir.


James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.