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Des spectacles de violence

Le film débute par un plan bucolique. Une famille piquenique le long d’une rivière. Les adultes se prélassent au soleil pendant que les enfants badinent dans l’eau. Les oiseaux piaillent. L’apéro est servi. On aimerait y être pour prolonger l’été encore un peu. Le cinéphile sait que l’accalmie sera brève : lorsque les protagonistes rentrent à la maison, on devine en arrière-plan le camp d’Auschwitz. Dès lors, les bruits de cette industrie de la mort ne nous quitteront plus.

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Le génie de Jonathan Glazer, réalisateur de La zone d’intérêt, est là. En juxtaposant les sons qui émanent du camp aux scènes de la vie familiale d’un commandant SS, il brosse le portrait d’une horreur qui nous est familière. Depuis que j’ai visionné cette œuvre, cette question me hante : quels sont les cris que je tais pour pouvoir, moi aussi, profiter de mes journées?

L’horreur en direct

Bien sûr, il y a Gaza. Au moment d’écrire ces lignes, l’ONU dénonce une campagne de famine perpétrée par Israël contre les Palestiniens enclavés sur leur propre territoire. Plus d’enfants y auraient été tués en quatre mois qu’en quatre ans de conflit dans le monde. Des atrocités sont aussi commises au Yémen, en Éthiopie, en Azerbaïdjan, sans que ça nous fasse sourciller.

Sur TikTok, j’ai vu ces mères déchirées pleurer sur les dépouilles de leurs enfants, bombardés alors qu’ils se reposaient dans un abri de fortune.

Plus que jamais, nous voyons. Nous savons.

Que faire ?

Quand je m’arrête pour y penser, ça m’est insupportable. L’urgence me presse. Il faudrait bien faire quelque chose. Écrire une publication sur un média social ? Boycotter les compagnies qui, d’une façon ou d’une autre, profitent de la guerre ? Participer à une manifestation ? Certes, mais encore ?

À défaut d’avoir un impact significatif sur la suite du monde, je me suis réfugiée dans les écrits de Dorothy Day, militante anarchiste convertie au catholicisme dans les années 1930. Cofondatrice du journal The Catholic Worker et de maisons d’accueil pour les plus démunis, l’Américaine a consacré sa vie à défendre la non-violence. En faisant la promotion de la désobéissance civile, elle a provoqué un malaise dans les milieux ecclésiaux où, à ce jour, la théorie de la guerre juste subsiste.

Une paix intégrale

Foncièrement opposée au régime nazi, Dorothy considérait les Allemands comme faisant partie du corps du Christ. Il était inconcevable pour elle d’entrer en guerre contre eux.

Tout au long de sa vie, Dorothy a soutenu son activisme par une vie de prière. Mais elle n’est pas restée passive face à la divine volonté. Elle a posé des gestes concrets, notamment en organisant des camps pour les objecteurs de conscience. Elle a été incarcérée à plusieurs reprises pour avoir refusé de participer aux efforts de guerre.

Dans La zone d’intérêt, Jonathan Glazer montre avec brutalité comment l’indifférence peut constituer la pire des horreurs. Le réalisateur nous rappelle que la paix n’est pas l’absence visible de violence.

Comme le rappelait Dorothy Day : nous avons besoin d’être dérangés.

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.