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Crise de la santé ou de la vérité ?

Je faisais mon bilan de la dernière année l’autre jour. Et puis ça m’a sauté au visage : je ne connais aucun mort, ni même aucun grand malade de la covid. Non pas qu’elle n’existe pas ! Mais dans mon cas, je n’ai pas été touché personnellement par cette crise médicale, ni dans mon corps, ni dans celui de ceux que j’aime.

Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, j’ai surtout vécu la crise par le biais des mesures et des médias. J’en déduis que, pour une bonne part d’entre nous qui ne travaillons pas dans le système de la santé, nous avons traversé une crise plus épistémologique qu’épidémiologique, une crise de la vérité plus que de la santé.

Je m’explique.

Entre « covidiots » et « cocovides » ?

Qu’est-ce qui s’est passé dans la dernière année ?

Certes des tests et des cas, des hospitalisations et même des décès. Mais surtout un capharnaüm d’information et de désinformation. Des chiffres, des courbes et des tableaux, des experts, des études et des contreétudes, des points de presse surexposés, des médias surexcités et des réseaux sociaux survoltés. 

Certains croient des experts, d’autres pas, ou croient d’autres experts, ou se croient eux-mêmes experts. Tout le monde s’est rapidement polarisé entre covidiots et cocovides.

Bref, chacun a son opinion sur ce qui s’est vraiment passé et sur ce qu’on aurait vraiment dû faire. D’autant plus qu’il y avait de quoi devenir tout mélangé.

De fausses nouvelles sont devenues vraies, des consignes ont drastiquement changé, des avis sur les vaccins ont vacillé, des études scientifiques se sont avérées truquées, des théories du complot farfelues cachaient de véritables corruptions.

Écoutez cette chronique de Simon à On n’est pas du monde.

Et c’est ainsi qu’on a assisté à des éclosions de doutes et de questions : Qui dit vrai dans tout ça ? Est-ce que toutes les paroles et opinions se valent ? Est-ce que la vérité peut être déterminée par la majorité des experts ou des sondages ? 

En tout cas, tous n’étaient pas d’accord, et c’est cela la vraie crise. On aurait bien voulu que tout le monde s’entende.

Et pourtant, avant la pandémie, on était tous d’accord pour être en désaccord.

« Qu’est-ce que la vérité ? »

Car depuis des années déjà, on nous dit que la vérité n’existe pas. On nous martèle qu’affirmer connaitre la vérité c’est prétentieux, voire dangereux, que chacun a droit à son opinion, que chacun est libre de penser et vivre comme il veut.

Depuis des décennies aussi, on nous dit que tout le monde ment. Que les gouvernements mentent pour gagner des élections, que les grandes compagnies mentent pour maximiser leurs profits, que les médias mentent pour mousser leur auditoire.

Depuis des siècles, enfin, on nous dit que tout évolue, qu’il ne faut pas avoir des idées fixes. Qu’il faut être ouvert à tout, douter de tout, ne rien imposer à personne ! Que le dogmatisme serait violent alors que le scepticisme serait, lui, un artisan de paix.

En philosophie, on appelle ça du subjectivisme et du relativisme : c’est-à-dire que la mesure de la vérité c’est moi et non quelque chose en dehors de moi, c’est ce que je veux et non ce qui est. Ainsi, la vérité change avec mes idées et mes humeurs, la vérité change d’une époque à l’autre, d’une culture à l’autre, d’une personne à l’autre.

Le réalisme de la mort

Heureusement, malgré toute cette volatilité, il y aura toujours une vérité qui demeurera et qui s’imposera : nous allons tous mourir un jour. Étrange bonne nouvelle de notre mortalité dont personne ne doute et qui fera toujours triompher le réalisme sur l’idéalisme.

Et c’est exactement ce qui est arrivé quand le virus s’est propagé. On s’est réveillé sur nos priorités… mais pas tous les mêmes.

Et voilà qu’on s’étonne.

On s’étonne que tous ne soient pas d’accord ;

On s’étonne qu’on ne croie pas les gouvernements démocratiques, les conglomérats médiatiques et les compagnies pharmaceutiques ;

On s’étonne que tous ne veuillent pas « obéir », que chacun préfère suivre ses propres consignes, penser et vivre selon ses propres idées et valeurs.

Eh bien, moi, je m’étonne qu’on s’étonne.

On ne peut pas bafouer la vérité durant des siècles, enseigner qu’il est impossible de connaitre les réponses aux grandes questions de la vie, et demander ensuite à tout le monde d’être d’accord sur la meilleure manière de défendre et sauver des vies.

Si la vie vient du hasard, si la vie est absurde, alors pourquoi vouloir la préserver à tout prix ? Si le sens de la vie est une décision personnelle, alors celui de la mort aussi. Quand chacun peut faire ce qu’il veut de son corps et de son âme, rien d’étonnant à ce que tous ne soient pas sur la même longueur d’onde quant à la manière de réagir à ce virus, au type et degré de mesure à prendre ou à laisser.

Après tout, si la vérité est une affaire d’opinion et d’émotion, nous sommes tous également experts en mesures sanitaires.

La figure de l’adversaire

Comment alors se sortir d’un tel bourbier ?

La tentation est grande (et nous y avons quelque peu succombé) de ressusciter l’inquisition sous d’autres noms : appropriation culturellecensure, culture du bannissement ou de la dénonciation.

Mais plutôt que de mettre à l’index les dissidents, je crois au dialogue en présentiel avec le divergent.

Car on ne défigure pas si facilement un visage qui nous fait face. Quand on regarde un adversaire dans les yeux, on ne peut plus le réduire à un point de vue. Il redevient une personne, complexe et sensible, capable de nuance et de changement.

La solution n’est pas dans l’imposition d’une pensée unique laïque et dans l’excommunication du politiquement incorrect, mais dans la discussion et la persuasion qui implique compassion et possibilité mutuelle de conversion.

Car, si la vérité existe en dehors de moi et de toi, alors toi et moi pouvons espérer nous mettre d’accord. Toi et moi pouvons reconnaitre que nous avions tort.

***

La dernière année a donc été pour moi bien plus une crise de la vérité que de la santé.

D’une manière, je pense que nous avons plus peur de la vérité que du virus. Plus peur d’admettre que l’on s’est peut-être fourvoyé que d’être hospitalisé ou vacciné. Car retrouver le sens de la vérité exige au moins deux bonnes doses d’humilité.

Or, plus que la vérité de la santé, notre monde a besoin de la santé de la vérité.


Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.