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Ces milliardaires qui veulent monter au ciel

Dimanche dernier, à 71 ans, le milliardaire Richard Branson a fait un vol touristique d’une quinzaine de minutes dans l’espace. Plusieurs admirateurs y voient le signe d’une « nouvelle ère spatiale ».

Le fondateur de Virgin n’est pas seul dans cette course et industrie galactique. Le président d’Amazon, Jeff Bezos, doit lui aussi s’envoler le 20 juillet avec son propre engin créé par sa société Blue Origin. Le père de PayPal et Tesla, Elon Musk, a pour sa part prévu de décoller avec sa compagnie Space X en septembre prochain.

Ce sont des centaines de vols par année que ces trois compagnies souhaitent offrir sous peu… à tous ceux qui peuvent débourser les 250 000 $ à 500 000 $ que coutera un aller-retour (soit légèrement plus que les 35 000 $ pour une finale de la coupe Stanley à Montréal !).

Pour s’envoyer en l’air avec l’homme le plus riche de la terre la semaine prochaine, un billet a même été adjugé aux enchères 28 millions de dollars ! C’est légèrement moins que les 35 millions que le créateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, a dû payer en 2009 pour résider 9 jours à bord de la station spatiale internationale. Comme quoi la société du loisir s’adapte à tous les budgets.

Quelle nouvelle ère ?

C’est le cas de le dire, j’ai été sidéré en lisant cette nouvelle intersidérale. Ce n’est pas tant d’une « nouvelle ère spatiale » dont nous avons besoin que d’une « nouvelle ère sociale et spirituelle ».

Je me suis presque surpris à paraphraser Judas : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ces billets pour un gros paquet d’argent qu’on aurait donné à des pauvres ? »

À quel point faut-il être illusionné pour penser qu’un vol en apesanteur rendra notre vie plus légère ?

Mais encore, le scandale n’est pas tant que ce soit un gaspillage d’argent, de surcroit hyper polluant. Il est surtout dans le fait que ce soit humainement aberrant !

Combien faut-il être blasé pour que l’ultime rêve de sa vie soit d’échapper à la gravité ? À quel point faut-il être illusionné pour penser qu’un vol en apesanteur rendra notre vie plus légère ?

Selon l’Agence Science-Presse, un vol complet de la fusée Falcon 9 de SpaceX, émettra 1150 tonnes de CO2, soit l’équivalent de 638 ans d’émission d’une voiture moyenne parcourant 15 000 km par an, ou encore autant de CO2 qu’un vol transatlantique en avion avec 340 personnes à son bord. Plus verts, les vaisseaux de Virgin Galatic, qui volent aussi moins haut et moins longtemps, devraient émettre 4,5 tonnes de CO2 par passager, ce qui équivaut à faire un tour complet de la Terre en voiture.

Les deux pieds sur terre

Certes, ce n’est pas d’hier que des ultrariches dépensent des millions pour des yachts, des jets privés ou d’autres jouets démesurés. Mais ce qui est frappant dans ces fusées privées, c’est la charge symbolique qu’elles portent : celle d’aller au ciel par ses propres forces en supplantant les lois de la nature. Le rêve transhumaniste par excellence !

Voyager dans l’espace était peut-être la seule expérience que ces richissimes ne pouvaient pas encore se payer. Eux qui sont habitués à tout avoir en claquant des doigts, n’ont plus d’autres buts que d’abolir toute frontière.

Les deux seules limites qui leur restent encore à franchir étant la gravité et la mort, ils se sont affairés à les repousser de quelques kilomètres ou années. Pourtant, si la gravité existe, je me plais à penser que c’est pour nous aider à garder les deux pieds sur terre.

S’abaisser pour s’élever

Après son atterrissage, l’entrepreneur britannique est monté comme un pilote de F1 sur un podium avec du champagne et a déclaré : « C’est l’expérience d’une vie. J’ai rêvé de ce moment depuis tout petit, mais rien ne pouvait me préparer à la vue de la Terre depuis l’espace. »

Et si on visait l’expérience de la vie plutôt que l’expérience d’une vie ? Et si on rêvait de voir son Créateur plutôt que de rêver voir la Terre ?

Comme pour se justifier de contribuer au bien commun, il a aussi ajouté : « Nous sommes ici pour rendre l’espace plus accessible. »

Si Branson, Musk et Bezos veulent rendre quelque chose plus accessible, qu’ils financent des écoles et des hôpitaux, des banques alimentaires et des logements sociaux. S’ils veulent aller plus haut que leurs prédécesseurs, qu’ils élèvent leur âme et non leur corps.

Au lieu d’acheter quelques minutes au ciel, ces milliardaires gagneraient davantage à le mendier pour l’éternité. Car le vrai ciel ne se vend pas. Il est donné gratuitement à tous ceux qui consentent à descendre.

C’est l’ultime secret que celui qui est descendu et remonté au ciel bien avant eux nous a révélé :

« Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »


Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.