Le Verbe m’a fait une offre que je ne pouvais refuser : une chronique diffusée à l’échelle internationale et traduite en plusieurs langues, en échange de millions de dollars. Si étranger que je sois aux basses considérations de ce monde, j’ai accepté, non sans imposer une réduction spectaculaire de cachet. Il a été entendu, en outre, que ma chronique serait diffusée au Québec. Je remercie la rédaction d’avoir révisé son offre à la baisse.
Mon ironie ne t’aura pas échappé, ami lecteur. En écrivant dans ce magazine, où la culture parle à la foi et la foi à la culture, je m’invite dans les catacombes. Ce qui vient avec une mauvaise nouvelle qui est aussi une bonne nouvelle : personne ne prête attention à nous. Le premier enfant venu, intelligent et sensible, saurait y reconnaître la condition de sa liberté : plus on l’oublie, plus il a d’espace pour jouer et de temps pour rêver. Qu’est-ce qu’un écrivain libre, sinon un enfant-roi – le plus heureux des enfants ? Je suis un enfant qui aime jouer en pensant.
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J’ai baptisé ma chronique d’un nom très beau et très pur : « Les grandes amitiés ». Il n’est pas de moi (auquel cas il aurait été malséant de le qualifier de très beau et de très pur), mais du livre éponyme de Raïssa Maritain. Les grandes amitiés raconte un moment important de l’histoire intellectuelle de France : la renaissance spirituelle de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, qui vit plusieurs penseurs de premier ordre s’engager dans le combat de l’esprit.
Cette époque n’est pas sans faire penser à la nôtre.
Le sort de l’humanité dépend de la défense des « degrés du savoir », soit l’intelligence verticale sur laquelle se fonde l’ordre du monde.
Un scientisme primaire domine l’enseignement de la Sorbonne. On y prêche un matérialisme qui croit tirer toutes les lois de la vie des sciences quantitatives. La recherche intérieure des poètes et des métaphysiciens est accueillie avec un ricanement : ce serait de la « mystique ». Jamais, peut-être, n’a-t-on autant prétendu avoir tout compris de la vie et jamais, sans doute, ne s’est-on autant trompé sur elle.
Raïssa Maritain est une Russe juive exilée. Devant la révolution de 1917, qui entend réaliser la « justice sociale », elle met en garde ses compatriotes français : « J’eus tout de suite le sentiment de son exceptionnelle gravité. Je maintenais devant nos amis qu’à cause de leur athéisme foncier les révolutionnaires russes iraient, s’ils le pouvaient, jusqu’à changer les structures mêmes de la logique, de la morale et de la vie humaine. »
Que l’on soit chrétien ou non, le sort de l’humanité dépend de la défense des « degrés du savoir » (Jacques Maritain), soit l’intelligence verticale sur laquelle se fonde l’ordre du monde. C’est un privilège de me lancer à mon tour dans le noble combat, ami lecteur. Il n’y a pas de liberté sans vie intérieure ; de la citadelle de l’âme, c’est en hauteur et en profondeur qu’elle est appelée à se déployer dans l’existence.
Nous en reparlerons bientôt.