À l’école de la maladie

Décembre 2021 : je me sens heureuse plus que jamais. Tout va bien. J’ai du temps pour prier, mon fils de 15 mois se développe bien, mon mari et moi vivons un mariage épanoui, ma thèse avance et, comble de joie, je viens de découvrir que je suis de nouveau enceinte. Je me sens féconde et pleine d’espoir pour le futur.

Deux semaines plus tard, je commence à vomir. Je me retrouve malade, comme à ma première grossesse d’ailleurs : hyperémèse gravidique encore. 

Tout s’arrête de nouveau. Je peine à m’occuper de moi-même, encore plus de mon fils. Impossible d’avancer ma thèse sans vomir. Impossible de sortir, de bouger. Je passe trois mois essentiellement au lit.

Je sais : trois mois, ce n’est pas la mer à boire.

En même temps, vivez trois mois avec un mal de mer constant ou une gastro sans fin et venez m’en reparler. Je ne dis pas ça pour faire pitié, mais pour me faire comprendre…

Une épreuve spirituelle

Ce qui surprend, quand on est malade, c’est que le plus grand combat n’est pas physique, mais spirituel. Chiara Corbella l’a aussi constaté après sa première opération pour son cancer de la langue : le pire n’a pas été la douleur physique, mais les doutes par rapport à sa foi que la douleur a suscités en elle.

Pour la première fois en dix ans, je me suis demandé si ça valait la peine d’être chrétienne. Ça me gêne de l’écrire. J’aimerais vanter la force de ma foi. Mais non : trois mois de nausée suffisent pour me faire douter.

Essayez de prier et de louer Dieu lors de votre prochaine gastro. Ou au moment même où vous vous cassez une jambe dans un accident. Vous comprendrez vite l’idée… 

Corps et esprit ne vivent pas séparés. La souffrance physique embrouille les idées, la réflexion, la prière. 

Dans mon cas, la nausée des derniers mois a certainement teinté mon humeur, mes espoirs et ma piété.

À quoi bon être chrétienne ?

Pour la première fois en dix ans, je me suis demandé si ça valait la peine d’être chrétienne. Ça me gêne de l’écrire. J’aimerais vanter la force de ma foi. Mais non : trois mois de nausée suffisent pour me faire douter.

C’est en regardant les autres femmes dans la salle d’attente pour mon premier rendez-vous de grossesse que les frustrations sont apparues. 

« Elles ont l’air tellement contentes d’être enceintes. Pourquoi moi, je dois être malade chaque grossesse comme une chienne ? »

« J’ai été pourtant une bonne catholique. Je me suis mariée. Je me suis ouverte à la vie. J’aurais pu faire comme tout le monde : me faire poser un stérilet et attendre d’être assez confortable dans ma vie – travail défini et maison – pour finalement concevoir un ou deux minis moi. Mais non, j’ai cru en la Providence et en l’Église. J’ai cru au mystère de la vie. Et maintenant, je me retrouve au lit, à vomir… »

« Et pourquoi est-ce que j’étudie en philosophie, déjà ? Pour la vérité ? Pourquoi mon mari et moi n’avons-nous pas choisi un métier payant comme bien des gens ? On serait tellement confortables. »

Pour la première fois en dix ans, je me suis demandé si ma vie n’irait pas mieux si je n’étais pas chrétienne. 

Le psaume 72

À force de m’entendre me plaindre, mon père spirituel m’a demandé de méditer le psaume 72

J’ai raccroché le téléphone et j’ai ouvert donc ma Bible. Incroyable. Tout y était : mes sentiments des derniers mois, mes colères, mes frustrations, mes doutes.

« Car j’étais jaloux des superbes, je voyais le succès des impies. Jusqu’à leur mort, ils ne manquent de rien, ils jouissent d’une santé parfaite. […] Voyez comme sont les impies : tranquilles, ils amassent des fortunes. Vraiment, c’est en vain que j’ai gardé mon cœur pur, lavé mes mains en signe d’innocence ! Me voici frappé chaque jour, châtié dès le matin. » (3-4 ; 12-14)

Jalouse des non-croyants, fatiguée de garder mon cœur innocent, souffrant de la nausée chaque jour, dès le matin. Voilà comment je me sentais.

Comment m’en sortir ? Ma tête sait que l’injuste ne goutera jamais au bonheur. Mon esprit comprend que je ne peux abandonner le Christ. Vers qui irais-je de toute façon ?

Mais mon cœur doute et s’appesantit. 

Être accompagnée

Comment remporter ce combat spirituel ? Le psaume 72 répond encore.

« Moi, stupide, comme une bête, je ne savais pas, mais j’étais avec toi. Moi, je suis toujours avec toi, avec toi qui as saisi ma main droite. » (22-23)

Seule une présence aimante rend capable de traverser la douleur et les souffrances. Mes idées et mes conceptions ne suffisent pas. 

J’ai compris que ma souffrance ne venait certainement pas du fait d’être trop chrétienne, mais de ne l’être pas assez.

Toutes les femmes qui souffrent d’hyperémèse gravidique en témoignent d’ailleurs : du moment qu’elles se trouvent accompagnées, elles traversent leur épreuve avec courage.

Or moi aussi, j’ai été et suis toujours accompagnée. Par ma belle-mère qui nous a accueillis chez elle durant ma pire semaine de nausée. Par mon mari qui a pris soin de moi. Par mon père spirituel qui m’a écoutée et consolée. Par le Seigneur qui, déjà, a envoyé toutes ces personnes auprès de moi.

C’est en méditant mes souvenirs, mes petites et grandes conversions, que j’ai pu retrouver un peu de sérénité. C’est en croyant en la présence de Dieu, qui me tient toujours par la main.

Du même coup, j’ai compris que ma souffrance ne venait certainement pas du fait d’être trop chrétienne, mais de ne l’être pas assez. Comme le jeune homme riche qui approche le Christ, mais repart tout triste, car incapable de faire un pas de plus. Incapable d’abandonner ses biens pour suivre son Seigneur.

Faire un pas de plus : voilà l’invitation de toute épreuve.

« Pour moi, il est bon d’être proche de Dieu ; j’ai pris refuge auprès de mon Dieu pour annoncer les œuvres du Seigneur aux portes de Sion. » (Ps 72, 28)

Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.