confinée
Photo: Gracieuseté de l'auteure.

Un moment pour tout

Ça y est. Je suis une confinée. Je ne peux plus aller à mon cours de Stretch-Tonus. Ni à la piscine d’ailleurs. Je n’ose plus faire la ronde de mes épiceries zéro-déchet et encore moins de risquer ma vie au Costco pour trouver mon café préféré, ma baguette préférée ou nos baguels préférés… 

C’est fini. Finies mes sécurités de maman pourvoyeuse de bouffe pour sa petite et grande marmaille. 

Le défi cette semaine ? Ce n’était pas d’arriver à faire des plats dignes du resto avec les spéciaux des circulaires. Ce n’était pas non plus de répéter pour la centième fois à mes grands ados-jeunes-adultes-en-devenir de parler tout bas le soir passé 23 h, de ne pas utiliser la laveuse ni la sécheuse après 23 h, et de baisser le son de la musique, de la PS4 et de Netflix, ou encore de dire à leurs chums dans le cadre de porte : « Yé dans sa chambre… tu connais l’chemin ! Pis enlève tes souliers ! »

Non. Mon nouveau défi c’était de leur interdire de sortir, et de leur dire, avec un regard un peu cruel, dans le blanc des yeux, que s’ils sortaient chiller chez Raph, Nath ou Gab… Bien… qu’ils ne pourront pas remettre les pieds ici. 

Ça a pris quelques jours avant qu’ils prennent la chose au sérieux. J’ai dit : « Vous connaissez tous Anne Frank ? » Ouais, ouais, qu’ils ont répondu… « Bon ! Ben dites-vous que le corona, c’est un nazi ! »

On est pris

Mais nous, on a de la « chance ». On peut faire du bruit, si on veut. Y’a pas un voisin qui risque de nous vendre à la Gestapo. On peut même sortir dehors et aller marcher jusqu’au bord du fleuve pour l’admirer. Y’a personne qui va nous arrêter pour nous enfermer dans un camp pour y crever comme un chien. 

On est pris. Pris pour se laver les mains. Pris les uns avec les autres. Pris pour écouter le point de presse du premier ministre à 13 h. Pris pour se faire un horaire nous-mêmes. Pris pour faire l’école à la maison. Pris pour faire le ménage de printemps de sa chambre. Pris pour écouter des films en famille chaque soir. Pris pour cuisiner ensemble. Pris pour faire de l’exercice ensemble. 

On est pris pour prendre du temps ensemble. Et on se rend compte tout doucement qu’il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel du Québec, et sous le ciel de l’humanité au grand complet. 

Un temps pour pleurer. Un temps pour rire. Un temps pour gémir. Un temps pour danser. Un temps pour s’étreindre et un temps pour s’abstenir. (Ecc 3, 4-5)

S’abstenir. 

S’abstenir pas juste de nourriture pendant un carême qui soudainement prend tout son sens. Mais s’abstenir de « clics » de « vues », de « partages ». De paroles. D’habitudes. De routine. De sécurités. De certitudes. D’idées. De projets.

S’étreindre.

Étreindre mon grand de 18 ans qui me fuyait y’a pas si longtemps. Étreindre mon mari qui travaille, là, juste à côté de moi. Étreindre ma maman et mon papa au téléphone. Et à genoux, là, quelques heures par jour, en présence du Père, étreindre toutes mes sœurs et tous mes frères en humanité. 


Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.