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Sport féminin, transgenre et inclusion : les podiums sont-ils pris d’assaut ?

Paris 2024. Valentina Petrillo représente l’Italie aux 200 et 400 mètres, dans la catégorie des coureuses malvoyantes. Pour la première fois de l’histoire, une personne transgenre participe aux Jeux paralympiques. « Ce n’est pas parce que je suis née homme que je serai plus forte qu’une femme », soulignait l’athlète de 50 ans, peu avant la compétition.

« Je suis pleinement éligible pour participer, explique aussi Imane Khelif, qui a obtenu l’or en boxe féminine olympique en poids mi-moyen en aout. Sa participation et celle de Lin Yu-Ting, médaille d’or des poids plumes, ont été très médiatisées. En réalité, les deux athlètes seraient des hommes porteurs d’une différence de développement sexuel typiquement masculine. « Je suis une femme comme les autres, soutient pourtant Khelif. Je suis née femme, j’ai vécu en tant que femme et j’ai concouru en tant que femme ».

Mais, que signifie-t-il d’être « née femme » ? D’ailleurs, faut-il encore des catégories sportives basées sur le sexe ? Si oui, sommes-nous capables d’identifier celui-ci correctement ? Les critères d’inclusion dans le sport féminin sont-ils une forme de discrimination abusive ?

Tentons d’y voir plus clair.

Avons-nous encore besoin de catégories sportives basées sur le sexe ?

Sur le court de tennis, des couples échangent des balles. À la plage, des équipes mixtes s’affrontent au volleyball. Au parc, filles et garçons s’amusent à grimper plus haut et à courir plus vite les uns que les autres. On rit, on se dépense, on tisse des liens : le sport les rassemble.

Si la mixité sexuelle n’est généralement pas un problème en sport récréatif, la perspective est totalement différente pour les sportifs amateurs ou professionnels. En effet, les compétitions ont pour objectif d’identifier les meilleurs sportifs. Or, les meilleurs athlètes masculins surpassent toujours les meilleures athlètes féminines.

Les performances physiques parlent d’elles-mêmes : les hommes sont de 10 à 30 % plus forts, plus endurants et plus rapides que les femmes ayant un niveau d’entrainement et un âge similaires. C’est un écart beaucoup trop grand pour qu’une femme puisse vaincre un homme lors d’une compétition sérieuse ; un écart qui explique aussi pourquoi les records sportifs féminins sont en moyenne de 8 à 12 % inférieurs à ceux des hommes.

La différence de performance s’observe assez tôt. Quelques années avant la puberté, les garçons sont légèrement meilleurs. Par exemple, ils peuvent courir de 3 à 5 % plus vite que les filles. Pendant et après la puberté, leur avantage devient écrasant dans quasiment tous les sports. Lorsqu’on compare les performances de médaillées olympiques à celles de garçons du secondaire, les femmes sont battues à plate couture, et ce, par des garçons n’ayant parfois que 14 ans.

« Supprimer la catégorie féminine reviendrait donc à retirer les femmes des podiums, mais aussi à les exclure des compétitions, car elles seraient éliminées dès les qualifications de la majorité des épreuves. »

Il y a cependant des exceptions. Dans les épreuves de grande endurance, telles que le 800 mètres en nage libre ou le 5000 mètres de course, les meilleures olympiennes dépassent parfois les adolescents masculins. Les femmes sont également des championnes en ultramarathon, en tir et en dressage : des disciplines dont les compétitions sont parfois mixtes. Enfin, les exploits féminins gracieux en gymnastique, en patinage ou en nage synchronisée s’expliquent probablement par la plus grande souplesse des femmes, une aptitude qui se démarque dès l’enfance.

Toutefois, ces exceptions ne sont pas suffisantes pour remettre en question la séparation des sexes. Sur un ring, sur un court ou dans un stade, les hommes sont indétrônables. Supprimer la catégorie féminine reviendrait donc à retirer les femmes des podiums, mais aussi à les exclure des compétitions, car elles seraient éliminées dès les qualifications de la majorité des épreuves. Dans les sports impliquant des contacts, tels que le rugby ou les arts martiaux, la non-mixité empêche aussi que les femmes se blessent.

En pratique, séparer les sexes n’est pas très compliqué. Après tout, seules sept millisecondes (0,07 s) suffisent à notre cerveau pour reconnaitre un visage féminin d’un visage masculin, et ce, quasiment à la perfection. Et, en cas de doute, prélever l’ADN d’une personne demande aujourd’hui peu de temps, d’argent et d’effort.

Il y a cependant des cas où cela s’avère plus complexe et plus controversé.

Les transgenres dans les sports féminins

Les personnes transgenres ont commencé à participer aux Olympiques en 2021. Rebecca Quinn et Alana Smith, personnes non binaires de sexe féminin, concouraient respectivement en soccer et en skateboard féminins. Laura Hubbard, transgenre de sexe masculin, concourait dans une catégorie féminine d’haltérophilie.

Au Canada, Michelle Dumaresq remporte des compétitions féminines de vélo de montagne depuis les années 2000. En haltérophilie, Anne Andres détient le record canadien féminin de levée de poids depuis 2023, et a soulevé 463 livres de plus que sa plus proche compétitrice en épreuves combinées. En 2024, plusieurs étudiants transgenres jouent dans des équipes collégiales de sports féminins à Toronto.

Toutes ces personnes transgenres participent dans la catégorie féminine, peu importe comment elles s’identifient (homme, femme, non-binaire, etc.).

Quand elles sont de sexe féminin et ne prennent pas de testostérone, comme Quinn et Smith, cela n’a alors aucune incidence sur leurs performances. Leurs corps féminins n’ont pas subi d’altération artificielle avantageuse, et elles sont donc admissibles dans la catégorie féminine.

Cependant, pour les personnes transgenres de sexe masculin, les traitements de féminisation — telles que la prise d’estrogènes et la suppression de la testostérone — ne réduisent que faiblement leur masse musculaire et leur force. De plus, les traitements hormonaux chez les adultes ne modifient pas la structure osseuse, la capacité pulmonaire ou la taille des individus. Ces personnes tirent donc indéniablement profit d’un avantage physique typiquement masculin, bien qu’il soit légèrement amoindri. Ce qui leur fait gravir de plus en plus souvent les podiums féminins, remportant aussi les récompenses, les bourses et les qualifications qui y sont associées.

Pourtant, l’athlète transgenre Valentina Petrillo considère que « […] toutes les personnes transgenres qui ne se sentent pas à leur place dans leur genre biologique ne devraient pas subir de discrimination, de même que la race, la religion ou l’idéologie politique ne devraient pas entrainer de discrimination ».

Cependant, ce ne sont pas des identités, des croyances ou des idées qui courent dans le stade, mais bien des corps sexués. La catégorie féminine n’a pas pour objectif de discriminer les personnes selon leur ressenti ou leur façon de vivre, mais uniquement selon leur sexe.

Il n’y a donc pas de discrimination envers les personnes transgenres, mais une discrimination envers tous ceux dont le corps les rend inéligibles.

C’est la même logique aux Jeux paralympiques : tous ceux qui ont un corps « sain » sont discriminés, peu importe leur mode de vie ou leur ressenti intérieur concernant leur santé. Autrement dit, se croire handicapé ou utiliser un fauteuil roulant au quotidien ne rend pas une personne admissible en basket-fauteuil.

Cela dit, pour discriminer les corps, encore faut-il savoir comment les identifier correctement.

Catégorie féminine et différence de développement sexuel

Nous sommes en 2016, aux Jeux olympiques de Rio, à l’épreuve du 800 mètres féminin. Caster Semenya, Francine Niyonsaba et Margaret Nyairera Wambui remportent respectivement l’or, l’argent et le bronze. Légalement, ces trois athlètes sont des femmes depuis leur naissance. Cependant, une enquête approfondie démontrera que leur sexe est en réalité masculin et porteur d’une DDS. Résultat : ils ne peuvent plus concourir en athlétisme féminin depuis 2018.

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Photo : Richard Ellis/UPI

Les différence de développement sexuel (DDS) sont très variées et affectent 0,02 % des personnes. Un aspect les réunit : il s’agit toujours de troubles développementaux liés à un sexe en particulier.

En effet, chez les mammifères, il n’y a que deux sexes : mâle ou femelle. Au terme d’un développement normal jusqu’à l’âge adulte, un individu produit soit de petits gamètes mâles, soit de gros gamètes femelles. Cet individu développe également une anatomie, un système reproducteur et une physiologie associés à cette production de gamètes.

Ce développement est déterminé depuis le début de l’existence et dirigé par les gènes. Un développement sain et fonctionnel basé sur un caryotype XX résultera donc en une femme adulte, tandis qu’un caryotype XY produira un homme adulte.

Le sexe est déterminé dès notre conception. En revanche, sa maturation prend une quinzaine d’années. Or, si certains gènes essentiels au développement masculin sont absents, inactifs ou mutants, le développement féminin prendra le relai par défaut. Cela peut entrainer la croissance de caractéristiques sexuelles féminines au stade fœtal, dans l’enfance ou à l’adolescence.

Un développement partiellement féminin par défaut, c’est ce qu’a subi notre trio de Rio.  Avant que la puberté n’achève correctement leur développement sexuel.

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En effet, ces trois coureurs, mais aussi les boxeurs Khelif et Yu-ting, ont probablement1 tous la même DDS : un caryotype XY avec déficit en 5-alpha-réductase de type 2. Le gène pour produire la réductase est manquant ou inactif. Or, cette enzyme est nécessaire pour convertir la testostérone en dihydrotestostérone (DHT), une hormone essentielle pour compléter certaines caractéristiques masculines. En son absence, le nourrisson présente une anatomie génitale externe ambigüe ou partiellement féminine. Ces athlètes ont donc tous été élevés comme des filles, bien qu’ils ne possèdent aucun organe interne féminin.

1 Le diagnostic est confirmé pour les trois coureurs. Concernant les boxeurs, leurs résultats génétiques ne sont pas entièrement disponibles, mais il est impossible qu’ils soient de sexe féminin. En effet, des tests génétiques réalisés à deux reprises par des laboratoires indépendants, et notamment observés par un professeur américain en journalisme, ont montré que les athlètes sont de caryotype XY. Or, les seules femmes XY sont celles qui ne passent pas par la puberté masculine parce qu’elles sont insensibles aux androgènes ou parce qu’elles n’ont pas de gène SRY fonctionnel entrainant le développement d’organes sexuels masculins (syndrome de Swyer). De leur côté, Khelif et Yu-ting sont clairement passés par une puberté masculine : ils ont acquis des caractéristiques sexuelles secondaires masculines (taille, carrure, musculature, timbre de voix, etc.) et n’ont pas acquis de caractéristiques secondaires féminines (élargissement du bassin et croissance de la poitrine). Ils ne sont donc pas des femmes. Reconnaitre le sexe d’une personne sur la base de leur biologie n’est ni misogyne ni misandre, et sans aucun rapport avec la façon dont cette personne s’identifie en société.

« Je sais que je suis différente, déclarait Semenya en 2023. Je ne me soucie pas vraiment des termes médicaux, ou de ce qu’ils me disent. Être née sans utérus, être née avec des testicules internes… Tout cela ne fait pas moins de moi une femme. »

Bien que ce soit certainement très douloureux pour ces athlètes, d’un point de vue biologique, c’est malheureusement faux.

À la puberté, les testicules produisent une énorme quantité de testostérone. À moins d’une autre déficience, cette testostérone est ensuite reconnue par les récepteurs à androgènes des cellules, qui y répondent en virilisant le corps. La personne devient un homme adulte.

« Accepter qu’une personne ayant vécu une puberté masculine compétitionne dans un sport féminin revient à fermer les yeux sur leur différence et, donc, sur leur indéniable avantage physique. »

Parce qu’ils ont des testicules, ces athlètes sont aussi passés par une puberté masculine. Leur déficit en réductase est toujours là, ce qui empêche notamment l’augmentation de la pilosité et de la rugosité de la peau. Cependant, la testostérone leur a fait gagner en taille, en ossature et en musculature, comme pour n’importe quel garçon. Certains développent aussi un pénis de petite taille et produisent des spermatozoïdes. Bref, malgré un développement altéré, leur corps est devenu typiquement masculin.

Réduire la testostérone : une solution suffisante ?

 « Je suis pleinement éligible pour participer [dans la catégorie féminine], disait Khelif, car je suis née femme ». Cependant, on ne nait pas femme, car une femme est une personne adulte. Or, une personne devient biologiquement adulte lors de la puberté. Accepter qu’une personne ayant vécu une puberté masculine compétitionne dans un sport féminin revient à fermer les yeux sur leur différence et, donc, sur leur indéniable avantage physique.

Cet avantage physique masculin est très utile en sport. D’ailleurs, en 2019, le Tribunal arbitral du sport a trouvé une surreprésentation frappante d’athlètes XY porteurs d’une DDS sur les podiums féminins. Depuis 2018, les porteurs de la déficience en 5-alpha-réductase ne peuvent concourir en athlétisme que s’ils abaissent leur niveau de testostérone à un niveau féminin.

Khelif a suivi un traitement pour diminuer son niveau de testostérone, bien que ce ne soit pas requis en boxe olympique féminine. Petrillo a aussi abaissé son taux pour être éligible aux Jeux paralympiques féminins. Enfin, Semenya a refusé de le faire, expliquant que cela pourrait avoir des effets délétères sur sa santé. C’est effectivement vrai et logique : si l’on abaisse artificiellement la testostérone produite par un corps masculin, on entrave alors sans raison plusieurs processus naturels de ce corps. On le rend malade.

Demander aux athlètes de réduire leur niveau de testostérone a une autre conséquence. Elle envoie le message qu’une femme serait simplement un homme avec un faible niveau de testostérone. C’est une réduction évidente de la réalité. La partie n’est pas plus équitable, car abaisser la testostérone ne réduit pas suffisamment l’avantage sportif des hommes, ni ne retire les attributs physiques développés lors de leur puberté.

Quel avenir pour le sport féminin ?

À Paris, Valentina Petrillo a vécu un rêve d’enfant : courir dans un stade.

« J’espère être la première de beaucoup d’autres, déclare l’athlète. J’espère être une référence, une source d’inspiration. Mon histoire peut être utile à beaucoup d’autres, déficients visuels ou non, trans ou non. »

Réalise-t-on, cependant, que chaque fois qu’un athlète comme Petrillo en inspire un autre, c’est une femme de moins sur la ligne de départ ? Et, bien souvent, une femme de moins sur le podium.

Nos ressentis individuels ou la prise d’hormones ne modifient pas notre sexe de naissance. Une personne de sexe masculin ne devrait pas pouvoir concourir contre une personne de sexe féminin, peu importe comment ces personnes s’identifient. S’ils sont inclus, alors ce sont les femmes qui sont exclues de leur propre catégorie. La discrimination abusive n’est pas celle qu’on pense.

Il est grand temps que les critères d’éligibilité dans la catégorie féminine soient de nouveau basés sur le sexe des participants.

Contrairement à ce que prétendait scandaleusement le président du Comité international olympique, il existe un système simple et fiable pour vérifier le sexe d’un participant : la génétique. Ces tests n’ont jamais été parfaits et ils ont parfois entrainé l’exclusion injuste d’athlètes, parce qu’ils ont été mal interprétés. Malgré cela, 82 % des olympiennes souhaitaient que ces tests perdurent. Ils sont aujourd’hui très précis, non invasifs, rapides et peu couteux.

En réponse à la controverse en boxe féminine, 32 chercheurs en sport et biologie viennent de rappeler dans un éditorial scientifique que le sexe biologique est un facteur « crucial pour assurer l’équité et la sécurité des athlètes » et appellent les fédérations sportives à utiliser les tests génétiques dès que les personnes entrent en compétition, entre autres afin d’éviter qu’elles soient plus tard soumises à un examen public et très médiatisé de leur situation.

Par ailleurs, les tests ne sont pas inhabituels pour les athlètes. En effet, ils sont nécessaires pour chacune des catégories sportives. Pour être qualifié chez les poids mi-moyens en boxe, Khelif a été publiquement pesé. Pour être admissible dans la catégorie de course T12 des Jeux paralympiques, Petrillo a dû prouver sa déficience visuelle. Pour participer au tournoi pee-wee de hockey, les joueurs doivent prouver qu’ils ont 11 ou 12 ans. Pourquoi ne devrait-on pas prouver son sexe pour avoir accès à la catégorie féminine ?

Il y a 2000 ans, un célèbre Juif a dit : « La vérité vous rendra libre » (Jean 8:32).

Cette vérité, on ne peut la trouver que si l’on parle le même langage : le sexe n’est pas un synonyme de l’identité de genre. Contrairement au genre, concept flou et circulaire, le sexe est réel, mesurable et binaire. Appeler « femmes » des personnes autant de sexe féminin que masculin a plusieurs conséquences en sport, mais aussi chaque fois qu’on souhaite créer un espace exclusivement féminin (prisons, toilettes, vestiaires, refuges, chambres d’hôpital, etc.).

Tant que le sexe ne retrouvera pas sa place, il n’y aura aucune vérité sur les podiums. Et tant que les podiums seront faux, les femmes n’auront aucunement la liberté de s’investir équitablement en sport.

Ariane Beauféray

Ariane Beauféray est doctorante en aménagement du territoire et développement régional. Elle s’intéresse à l’écologie intégrale et met au point de nouveaux outils pour aider la prise de décision dans ce domaine. Collaboratrice de la première heure, elle est désormais membre permanente de l’équipe de journalistes du Verbe médias.