Dans le Québec laïque d’aujourd’hui, le religieux qui porte son habit sur la place publique ne passe pas inaperçu. Lorsque j’ai fait mon entrée dans l’Ordre des Dominicains, j’ai rapidement été amené à me poser la question suivante : « Quand et pourquoi devrais-je le porter ? »
Si plusieurs religieux ne portent plus l’habit de manière régulière ou appartiennent à des communautés qui ne le portent plus, on observe depuis quelque temps un certain retour de celui-ci. Pratiquement toutes les communautés nouvelles ont un habit religieux. Quant aux ordres dits « anciens », leurs membres plus « jeunes » expriment souvent le désir explicite de le porter.
Appartenant à un ordre « mendiant » qui a vu le jour il y a plus de 800 ans, j’avoue être attaché à l’habit religieux, cet habit qui, au-delà de certaines adaptations, a quand même traversé les siècles.
Sortir de l’invisibilité
Il y a quelques années, alors que j’étais toujours en discernement vocationnel, j’avais confié à mon entraineur au gym que je songeais à entrer dans la vie religieuse. Celui-ci, un millénial qui n’a pratiquement eu aucune éducation religieuse, a immédiatement réagi : « Quoi ? Ça existe encore des religieux ? »
Sa réaction m’a beaucoup marqué. Car elle m’a permis de réaliser que bon nombre de personnes de ma génération et des générations plus jeunes sont incapables de reconnaitre un religieux dans la rue si ce dernier ne porte pas de signe distinctif qui le rende aisément identifiable. Il devient ainsi facile pour ces jeunes générations de penser que les religieux ont « disparu de la carte »…
Par définition, un signe, surtout s’il est religieux, pointe vers quelque chose qui lui est plus grand et qui lui confère un sens.
Personnellement, je me fais un devoir de porter mon habit au moins lorsque je fais de l’apostolat, même si cela implique de devoir le porter à l’extérieur de nos couvents dominicains ou sur la place publique.
Un jour, une femme, probablement sexagénaire, m’interpelle, intriguée de voir un religieux en habit circuler dans la rue. Elle me demande pourquoi je porte l’habit alors que beaucoup de religieux ne le portent plus. Je lui réponds spontanément : « Dans une société où les signes religieux ont tendance à disparaitre, je me dis que si quelqu’un peut penser à Dieu ne serait-ce qu’un instant en me voyant, ce sera mission accomplie. » Cette dame fait alors des signes d’acquiescement de la tête, visiblement satisfaite de ma réponse… et de mes motivations.
Par définition, un signe, surtout s’il est religieux, pointe vers quelque chose qui lui est plus grand et qui lui confère un sens. Ultimement, le signe religieux renvoie à une transcendance. Pour les chrétiens, il renvoie au Dieu en qui ils croient. L’habit religieux n’échappe pas à cette logique.
Curiosité et bienveillance
De manière générale, je constate que l’habit suscite chez les gens, non seulement beaucoup de curiosité, mais aussi de la bienveillance. Quand je m’apprête à sortir de mon couvent en habit, je me prépare mentalement à être regardé, mais surtout à devoir potentiellement dire « bonjour » aux personnes que je croise. Car nombreux sont les passants qui me saluent lorsqu’ils me voient. Et moi-même, lorsque je le porte, je suis plus naturellement amené à prendre l’initiative de saluer les gens. L’habit me force ainsi à sortir de moi-même et de mon univers intérieur… pour aller vers les autres.
Il n’est pas rare que des personnes s’arrêtent pour me faire la conversation. Ou pour me demander des prières. Un jour, un homme sort prestement de chez lui, la bedaine à l’air, pour me demander une bénédiction. Lorsque je lui dis que je ne suis pas prêtre, il affiche une mine légèrement déçue. Je tente toutefois de le rassurer en lui disant que je peux prier mon chapelet pour lui en chemin. Il repart apaisé et satisfait.
L’habit a été pour moi l’occasion de nombreuses rencontres impromptues, parfois furtives, qui, autrement, n’auraient pas été possibles. Je pense entre autres à cette femme qui traverse la rue en hâte pour ne pas manquer son autobus et qui me lance tout haut, le visage rayonnant : « Ah ! Ça fait plaisir de voir un moine ! » Ou à Mohammed, musulman, qui s’assoit toujours à la même terrasse de café en fin d’après-midi et qui prend le temps de me saluer chaleureusement chaque fois qu’il me voit.
Plus d’une fois, des inconnus, le sourire aux lèvres, m’ont remercié de le porter. D’autres m’ont félicité, car ils le trouvaient… beau !
Même si je ne porte pas mon habit en tout temps et que de le porter à l’extérieur me demande toujours, je l’admets, un certain effort, j’essaie de me motiver en me rappelant que des gens peuvent se sentir interpelés ou réconfortés lorsqu’ils le voient. Ce n’est donc pas tant pour moi que je le porte que pour les autres. Car je sais que pour plusieurs de nos contemporains, dans un monde plus assoiffé de Dieu qu’il n’y parait de prime abord, l’habit religieux revêt encore une grande importance.