L’automne est arrivé et avec lui la rentrée scolaire, parlementaire et le retour des bonnes vieilles habitudes qui parsèment notre vie quotidienne. Pour compléter ce portrait quelque peu stéréotypé, il manquait cependant la polémique anticléricale de service. C’est certainement à cette intention louable que désirait répondre la diffusion du reportage de l’émission Enquête de Radio-Canada sur le Vatican.
Alors que je m’installais confortablement devant ce que j’imaginais déjà être une heure de « Church bashing », je suis resté surpris d’y voir un portrait nuancé de l’institution romaine. Réalisé par Alain Crevier, le reportage Les batailles de François détonne par rapport à ce à quoi nous a habitués la société d’État.
En effet, bien que la corruption au Vatican ressemble à celle vécue dans certains domaines au Québec, et qu’on serait ainsi tenté de répondre « tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » (Mt 7,3), il me semble que ce reportage aura un impact positif pour l’Église catholique ici.
Je suis resté surpris d’y voir un portrait nuancé de l’institution romaine.
Sans chercher à savoir si mon intuition sur l’effet de ce dernier soit celui escompté par ses auteurs, j’y vois, indirectement bien sûr, un processus de démystification de l’Église, l’éloge du pape François et du ministère pétrinien, mais également l’appel d’une « génération mauvaise et adultère [et qui] réclame un signe » (Mt 12, 39).
La première chose qui ressort de cette enquête c’est un portrait sombre, mais non moins réel d’une partie de la vie politique du gouvernement du Vatican. On comprend que l’Église est une réalité complexe et diversifiée, où des intérêts du monde entier se croisent et entrent en conflit.
Quelque chose de nouveau dans tout cela ? Pour bien répondre à cette question, on doit distinguer selon une perspective micro ou macro historique. Sauf pour les vaticanistes et autres crinqués de la vie de l’Église, les évènements et polémiques répertoriés dans cette émission peuvent sembler nouveaux et inédits. Par contre, si on les considère sur une période plus longue, on est bien moins surpris. Ce qui permet de détruire un mythe persistant sur l’Église catholique.
Une double démystification
Ce mythe, c’est celui selon lequel les catholiques et le pape se penseraient eux-mêmes moralement supérieurs. De ce point de vue, cela légitimerait les enseignements controversés, spécialement en matière sexuelle, justifiant et appuyant ainsi leur mauvaise habitude de sermonner sur leur prétendue hauteur d’âme.
Or, rien n’est plus faux.
En effet, l’économie sacramentelle elle-même devrait suffire à nous en convaincre. De fait, pourquoi Jésus aurait-il institué personnellement le sacrement de confession s’il suffisait de prétendre être catholique pour être à l’abri de tout reproche.
La mise à nu des mauvais agissements de certains prêtres – qui, à juste titre, peuvent seuls être considérés comme pouvant agir In persona Cristi – apportent certes beaucoup de malheurs et déshonorent le sang versé du Christ Lui-même. Toutefois, de par le fait même, tous sont en mesure de percevoir la justesse et la parfaite adaptation de la médecine de santé spirituelle que sont les sacrements au regard de notre nature humaine blessée.
De plus, même considéré de manière micro historique, ce genre de reportage, bien que se drapant souvent dans la pureté d’intention du droit à l’information, ne nous apprend rien de nouveau. Inimitiés, luttes de pouvoir, désobéissances contre le pape, je serais heureux de voir quel catholique averti croit encore que les clercs sont exonérés de la lutte personnelle pour la sainteté. Pax in bellum disaient les anciens.
La paix ne s’atteint malheureusement pas par des vœux pieux.
Du Concile de Jérusalem au Concile Vatican II, de saint Pierre au pape François jamais l’Église ne fut à l’abri de ces tensions internes inhérentes à toute société humaine. Même lorsque l’on considère les récents papes tels que le Bienheureux Paul VI qui fut pris au milieu des luttes post-conciliaires ou saint Jean-Paul II qui est allé jusqu’à se prendre une balle en pleine place Saint-Pierre, il est évident qu’il est impossible de croire qu’un pape ne soit entouré que de personnes lui voulant du bien !
De la déception à la double ignorance
En tout dernier lieu, ce type de reportage participe selon moi d’une requête beaucoup plus profonde. Notre siècle, en perte de repères et de tout sens éthique, cherche désespérément des modèles sur lesquels s’appuyer pour espérer.
Ayant épuisé l’attrait et la capacité de convaincre de cette version sécularisée de la morale chrétienne qu’était l’humanisme athée, les sociétés occidentales s’enfoncent de plus en plus dans l’anarchie légale et le nihilisme obligatoire. Devant cet effondrement civilisationnel, certains cherchent désespérément des signes de probité intellectuelle et morale, d’où l’attrait du corps doctrinal et humain de la foi catholique.
Gare à celui qui décevrait ces attentes ! C’est exactement ce que l’on reproche ici à l’Église: de ne pas être à la hauteur de son propre message. De ne plus permettre aux hommes et aux femmes de notre temps d’y croire en fournissant les témoins qui pourraient encore soutenir l’idée de la possibilité d’améliorer le sort du monde.
Ce reportage doit être une mise en garde contre cette tentation ainsi qu’une interpellation pour une annonce encore plus authentique de l’Évangile.
Socrate disait que la pire ignorance était d’ignorer que l’on ignore. Une personne déçue par de mauvais témoins de l’Évangile en sortira plus éloignée que si rien ne lui avait été annoncé. Pensant connaitre l’hypocrisie soi-disant sous-jacente au christianisme, elle pourra s’enfermer dans sa prétendue connaissance éclairée de ce qu’elle ignore en réalité. En ce sens, ce genre d’émission doit être une mise en garde contre cette tentation ainsi qu’une interpellation pour une annonce encore plus authentique de l’Évangile.
Le reportage de l’émission Enquête, bien que portant sur le côté sombre de l’Église et des inconsistances de certains de ses pasteurs, sert les intérêts spirituels du Peuple de Dieu (les seuls qui comptent vraiment).
Que ce soit par l’énumération des vertus dont doit faire preuve le pape François pour réparer la barque de Pierre ou par la démystification qu’opère indirectement la mise aux normes de transparences financières, le reportage « Les batailles de François » manifeste à quel point l’Église n’est pas plus une utopie politique qu’un eldorado où ne règneraient que la paix et la concorde.
Son image ainsi purifiée, peut-être trouvera-t-elle une nouvelle crédibilité ?