saint maxime
Image: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Saint Maxime, précurseur des sciences cognitives

Saint Maxime le Confesseur attire présentement l’attention des sciences cognitives. C’est probablement le sculpteur et conférencier orthodoxe Jonathan Pageau qui est le plus connu pour avoir fait le rapprochement entre le saint et cette discipline scientifique, notamment lors de discussions avec le psychologue Jordan Peterson et le professeur en science cognitive John Vervaeke.

À première vue, c’est étonnant, parce que saint Maxime est surtout connu chez les théologiens pour les débats christologiques assez pointus dans lesquels il s’est engagé au septième siècle.

En effet,  saint Maxime a plus précisément défendu le dogme selon lequel Jésus avait deux volontés (humaine et divine, unies sans mélange ni confusion). En défendant cette position face à l’empereur et au patriarche de Constantinople, tous deux hérétiques, il finira par perdre sa langue et sa main droite, avant d’être exilé et de succomber à ses blessures1.

Qu’est-ce qui explique alors la pertinence de saint Maxime pour la science cognitive moderne ? C’est qu’en étudiant profondément l’humanité du Christ, saint Maxime a développé une compréhension pénétrante de l’humain en général, laquelle est toujours pertinente aujourd’hui. En l’occurrence, sa vision de l’Homme comme microcosme s’aligne très bien avec les études modernes sur la perception.

Création

Dans son Ambiguum 41, saint Maxime décrit l’Homme comme un «laboratoire» ou un «atelier» dans lequel la création du monde est complétée. Selon lui, l’Homme est un microcosme qui fait à l’échelle humaine ce que Dieu fait à l’échelle cosmique.

Pour comprendre saint Maxime ici, il faut se rappeler ce que dit la Genèse : dans le premier chapitre, tout au début de la Bible, après avoir créé le ciel et la terre, c’est en parlant que Dieu fait apparaitre les choses à partir d’un potentiel. Une fois que la chose en question est apparue, Dieu la regarde et la juge :

La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres.          

Genèse 1, 2-4 (traduction d’AELF)

Cette structure se répète plusieurs fois : Dieu fait face à du potentiel. Il utilise ensuite sa Parole pour faire émerger une chose de ce potentiel. Une fois la chose en question apparue, Il la juge alors comme bonne.

Perception

Il s’avère qu’il y a une analogie profonde entre cette structure de création et la façon dont la perception humaine fonctionne. C’est pourquoi saint Maxime, en concevant l’humain comme un microcosme, peut aisément dialoguer avec les sciences cognitives modernes.

En robotique et en neurosciences notamment, on a compris que la perception est un problème étonnamment difficile.2.Le monde est trop complexe. Il y a trop de faits. Tellement, qu’il n’est pas possible de tous les percevoir. Il est nécessaire de les cadrer. Et finalement, tout cadre que nous employons est relié à un but, qui nous permet de juger la chose selon le cadre tout juste employé.

Prenons un exemple simple : une chaise. 

Nous ne nous en rendons pas compte parce que nous sommes habitués, mais toute chaise se présente initialement à nous comme une question. Elle est en état potentiel, comme les eaux chaotiques de la Genèse. Après tout, il y a une infinité de détails sur la chaise. Ce serait possible de décrire pendant des années comment le bois courbe ici ou là, comment le pigment varie, comment la lumière frappe de telle façon ici, de telle autre là, etc.

Mais, devant ce potentiel, nous avons le concept de « chaise », qui nous permet de l’identifier. De façon subtile, ce concept qui nous permet de passer de la multiplicité confuse à l’unité intelligible, qui nous permet de voir la chaise comme une chaise et non pas comme un tas de détails. C’est analogue à la Parole de Dieu qui forme les choses dans la Genèse à partir de potentiel.

Et tout aussi automatiquement, nous voyons et jugeons la chaise selon le cadre tout juste employé. 

Plus une chaise remplit son but (nous permettre de nous assoir), plus elle est fidèle à son nom de chaise. Ainsi, même des objets insolites peuvent véritablement recevoir ce nom. Par exemple, c’est parce qu’on peut effectivement s’assoir sur une buche de bois qu’on peut légitimement la figurer comme une chaise et non pas seulement comme du bois de chauffage. C’est une « bonne » chaise.

Adam et le Christ

Saint Maxime s’entend donc remarquablement bien avec les scientifiques modernes sur la façon dont la perception humaine fonctionne. Mais il va évidemment plus loin que ceux-ci en s’intéressant principalement aux conséquences théologiques d’une telle conception.

Pour saint Maxime, la chute d’Adam a endommagé notre capacité à percevoir le monde. Étant détachés de Dieu, nous échouons à voir le but du Créateur pour chacune de ses créatures. Ignorant donc le but des choses ou des personnes autour de nous, nous échouons à bien les définir. Nous ne voyons pas nos frères et nos sœurs comme faits à l’image de Dieu et aimés par Lui, par exemple.

Saint Maxime voit alors l’Incarnation comme venant guérir notre perception. À travers ses écrits, il explique comment Jésus, la Parole de Dieu, vient recadrer l’ensemble de la réalité3. Plus nous apprenons à voir Jésus dans les Écritures et la liturgie, plus nous apprenons à le voir comme le but et le cadre de chaque chose.

Jean-Philippe Marceau

Jean-Philippe Marceau est obtenu un baccalauréat en mathématiques et informatique à McGill et une maitrise en philosophie à l'Université Laval. Il collabore également avec Jonathan Pageau au blogue « The Symbolic World » et à sa chaine YouTube «La vie symbolique».