repères
Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

Pourquoi je lance le balado REPÈRES

Ne vivons-nous pas dans une drôle d’époque ? Je la qualifie ainsi en songeant à la double signification du mot. Je pense drôle à la fois au sens de cocasse ou de bizarre. À certains égards, notre monde, dans son actualité, a souvent de quoi nous faire sourire. Mais par-delà les situations désopilantes, je relève le caractère intrigant et inspirant des défis auxquels nous devons faire face.

L’effacement des limites

De quels défis parle-t-on ? Essentiellement, je dirais, de ceux concernant l’ancrage de nos repères. Qu’est-ce à dire ? Jamais autant qu’à notre époque, nous tentons d’effacer les limites. Nous remettons en question la reconnaissance des frontières structurant nos identités sexuées reçues à la naissance. Alors, il n’y a plus ni garçons ni filles, mais des propositions d’êtres recomposés en une myriade de variantes inédites. Pour les parents et les éducateurs de demain, n’y a-t-il pas là une préoccupation angoissante ? Nous gommons également les caractères permettant de distinguer les mondes animal et humain. L’empire du droit animal, bien que légitime à certains égards, tend à confondre toutes les espèces. L’assimilation n’entraine-t-elle pas alors la confusion? Enfin, nous brouillons les marques entre les vivants et les morts. La course folle à l’extension de la pratique de l’euthanasie n’en est-elle pas un signe éloquent?

Rien ne sert de se plaindre

Nous appartenons à une drôle d’époque certes, mais quelle époque ! Il n’y en a pas et il n’y en aura jamais de meilleure. Pourquoi, direz-vous ? Parce qu’il s’agit de celle au sein de laquelle nous sommes inscrits. Je pense ainsi contre la tentation de vivre dans un passé révolu ou celle de fuir dans un futur inconsistant. Entre la nostalgie et l’euphorie, c’est la lucidité dans l’actuel que je choisis.

Rien ne sert de se plaindre, d’être cynique ou bêtement conformiste. Il s’agit de tenter de comprendre, de formuler les problématiques le mieux possible, d’en identifier les causes et de proposer des pistes de résolutions avérées.

Dieu, l’amour et la mort

Ainsi, j’entreprends de ne jamais « me contenter du rôle de spectateur », comme le formulait si bien Raymond Aron. Alors, diagnostiquer mon époque prend appui sur un constat, comme une sorte d’horizon de compréhension traçant des lignes de convergence. Quel est-il ? Il repose sur l’idée que l’humanité, depuis ses origines les plus lointaines, a été contrainte de s’accommoder de trois réalités structurant son être au monde, à savoir: Dieu, l’amour et la mort. Les civilisations portent la trace de cela sous la forme de grands invariants de la condition humaine. Les communautés politiques, barbares ou civilisées, gardent les trois coutumes suivantes : toutes ont une religion, toutes contractent solennellement des mariages, toutes ensevelissent leurs morts. Chez les nations les plus sauvages soient-elles, il n’y a pas de manifestations qui ne soient célébrées avec plus d’éclat que les cérémonies religieuses, les mariages et les enterrements. C’est à Jean-Baptiste Vico (1668-1744) que l’on doit la formulation de ces repères éclairants.

Entre la nostalgie et l’euphorie,
c’est la lucidité dans l’actuel que je choisis.

Penser notre relation au divin, aux liens humains et à la mort constitue l’essentiel de notre situation politique pérenne. De ce point de vue, notre ère n’est pas en reste. J’en veux pour preuve le fait de propositions de lois civiles comme la loi sur la laïcité (21), celle redéfinissant le statut de genre (c-16), celles dépénalisant l’euthanasie ou le suicide assisté (lois 2 et c-7). Penser le politique, c’est poser un regard critique à la frontière de ces cadres. Pour aspirer à bien vivre, comment pourrait-on en faire l’économie ?

La poursuite de repères

Les moyens à disposition sont variés, mais la conversation mettant en scène des actrices et des acteurs de la vie intellectuelle contemporaine est une voie de choix. Il s’agit d’amorcer des dialogues à la poursuite de repères balisant et orientant notre vie commune. Pour nous Québécois, on interrogera les cercles concentriques ayant édifié notre identité. Nous devons assumer notre rapport au catholicisme, à la culture française, au parlementarisme britannique, au dynamisme américain, à notre conscience de la fragilité. Ce sont autant de facettes à revisiter pour établir la permanence dans notre être. C’est présenter le socle qui nous a fait grandir et le tremplin à partir duquel nous pourrons nous élancer confiants vers un avenir favorisant le bien commun.

Saisir notre époque à bras le corps, c’est la remettre en question sans cesse. Comme l’a écrit Paul Auster : « La démocratie de va pas de soi. Il faut se battre pour elle chaque jour, sinon nous risquons de la perdre. » Pour mener à bien ce combat, rien de tel que la conversation partagée sur nos enjeux contemporains, cela se fait à la faveur de balises à repérer et à assumer. Voilà ce que j’appelle de mes vœux. Voilà pourquoi je lance aujourd’hui ce nouveau balado REPÈRES !

Écoutez le premier épisode de REPÈRES avec Louis-André Richard
et son invité Mathieu Bock-Côté.

Cet article est un complément au balado REPÈRES. Cliquez sur la bannière pour accéder au balado.

Louis-André Richard

Professeur de philosophie québécois et auteur d’une dizaine d’ouvrages, Louis-André Richard s'intéresse aux questions anthropologiques et éthiques interpelant nos situations politiques actuelles.