Un texte de Daniel Guérin
En langue anglaise, on les désigne par l’acronyme « SBNR ». Qui sont-ils ? Ce sont les « Spiritual But Not Religious », des personnes qui disent adhérer à une forme ou une autre de spiritualité, mais sans référence religieuse explicite. Dans les enquêtes d’opinions ou les recensements réalisés dans tous les pays occidentaux, on les retrouve en nombre grandissant, contrairement à ce que l’on observe pour les personnes qui adhèrent et/ou pratiquent une religion en particulier. Au point où certains commentateurs n’hésitent pas à les décrire comme les « nouveaux croyants ».
Combien sont-ils ? Autre question qui mérite d’être éclaircie : à moyen ou long terme, ces « spirituels non religieux » sont-ils appelés à se maintenir en tant que catégorie socioreligieuse distincte et stable ? Ou bien participent-ils d’une sorte d’étape transitoire avant de finir par grossir de façon importante le rang des athées purement et simplement ?
Comme le font remarquer Descouleurs et Vernette (Repères pour la spiritualité), on trouve dans les spiritualités contemporaines du meilleur comme du pire.
Le pire avec les intégrismes, les fondamentalismes, les spiritualités de pacotille et les « sectes » de toutes origines. Le meilleur avec le retour du sacré, la redécouverte de l’espace intérieur, des grandes Voies religieuses, des textes mystiques et des Livres saints d’Orient et d’Occident — de la Bible à la Baghavad Gita, de Maitre Eckart aux écrits soufis. (p.9)
Rien de plus vrai que ce passage ! Ce qui me frappe en étudiant ce concept, c’est bien sa complexité et son contenu de diversité. L’état de la spiritualité dans le monde semble être à l’image de la société de consommation actuelle. Un vaste marché où l’on retrouve de tout, pour tous les gouts et en fonction de toutes les bourses.
Ce que cherchent les SBNR
Chez les « spirituels non religieux », la spiritualité est appréhendée d’abord et avant tout comme étant une quête du « sacré ». Cela inclut les croyances sur Dieu, mais se réfère également plus largement au numineux, aux profondeurs de l’existence humaine ou aux mystères infinis du cosmos.
Si la spiritualité est souvent définie comme quête de sens, de recherche du but de la vie, c’est en réponse au déclin des religions traditionnelles. On utilise le concept pour désigner ce qui n’est pas matériel dans la vie, que l’on définit à travers le prisme des valeurs fondamentales. Cette vision s’oppose ainsi à une définition instrumentale de la vie.
Trois types de SBNR
On peut identifier trois grandes familles de spiritualités, selon Sheldrake (Spirituality, A very short introduction). Il y a les spiritualités religieuses, les spiritualités ésotériques et les spiritualités séculières.
La première famille emprunte à de grandes traditions religieuses seulement certains aspects de leur théologie en les combinant dans plusieurs cas pour donner un système syncrétiste parfois fort complexe.
Plus de 40 % des Européens, en général, tous pays confondus, peuvent être classés parmi les « spirituels non religieux ».
Deuxièmement, il y a la catégorie ambigüe des spiritualités ésotériques. Ces dernières sont qualifiées d’ambigües, car elles comportent parfois des éléments à la fois religieux, philosophiques et éthiques, qui s’entremêlent et se regroupent.
Troisièmement, il existe un spectre de plus en plus important de façons séculières de comprendre la spiritualité. Une large gamme de mouvements spirituels trouvent ainsi leur niche en dehors de contextes religieux explicites.
Quelques données
Leur nombre peut varier de façon assez importante entre les pays.
Nous pouvons utiliser pour notre étude des données d’enquête approfondies du Pew Research Center recueillies dans 16 pays européens en 2018.
Premier résultat intéressant, une faible majorité (52 %) de ceux qui se disent croyants semble rejeter la Bible comme livre sacré de référence à leur croyance principale. Même s’ils ne croient plus dans le Dieu de la Bible, ils continuent de croire qu’il existe une puissance supérieure ou une force spirituelle à l’œuvre dans l’univers. Cette proportion assez élevée est pour le moins dérangeante pour toutes les religions institutionnelles reposant sur la tradition biblique, qu’elles soient chrétiennes ou juives.
Dans les enquêtes de ce genre, certains « spirituels non religieux » se « glissent » parmi les répondants ayant affirmé au premier abord qu’ils ne croyaient pas en Dieu. Par conséquent, une sous-question est souvent formulée spécialement à l’intention de ces derniers.
Si l’on additionne les deux groupes de « spirituel non religieux » (les croyants et les non-croyants), on obtient la proportion suivante : plus de 40 % des Européens, en général, tous pays confondus, peuvent être classés parmi les « spirituels non religieux », ce qui constitue, dans le contexte actuel, une proportion fort significative qui témoigne de l’état de la spiritualité et de la religion dans le monde occidental.
Ombres et lumières
Cette proportion de 40 % est considérable dans un contexte où le nombre de croyants traditionnels subit un déclin important dans les sociétés occidentales. Il s’agit là d’un phénomène qui n’a rien de marginal et qui est beaucoup plus important que l’athéisme pur et dur dans nos sociétés.
Parmi les aspects positifs de ce phénomène important, on doit noter chez plusieurs une authentique quête de sens, de transcendance et du sacré, quête qui continue de se manifester chez bon nombre de nos contemporains, même si plusieurs d’entre eux le font maintenant en marge des grandes traditions religieuses. Comme nous l’avons mentionné auparavant, ils le font de façon personnelle et en fonction de leurs propres critères de jugement et d’intelligence des questions ultimes qu’ils continuent de se poser sur la vie, la mort et l’au-delà.
Il s’agit là d’une bonne nouvelle dans la mesure où cela nous informe qu’une partie importante de la population des sociétés occidentales ne se considère pas uniquement comme des éléments matériels dans un grand jeu que l’on appelle société de consommation ou économie de marché. En ce sens, les données dont nous disposons nous indiquent que plusieurs personnes n’ont pas perdu le sens du sacré et donnent à l’existence un sens qui n’est pas que matériel.
On peut donc penser qu’un rapprochement pourrait éventuellement être fait entre une proportion significative de ces gens et des Églises établies, qui mettraient de l’avant la fidélité aux valeurs profondes de l’Évangile, et de côté le cléricalisme et le moralisme.
D’un autre côté, le phénomène a pour quelques raisons de quoi inquiéter. Car, comme nous l’avons dit, il y a de tout sous le vocable contemporain de spiritualité. Les fondamentalismes et intégrismes de tout acabit ne rechignent certainement pas à se déclarer « spirituels » pour décrire leur identité profonde.
Toutefois, cela ne devrait pas être l’apanage du plus grand nombre : les gens qui se disent « spirituels non religieux » font beaucoup appel à la liberté et à l’authenticité dans leur quête de transcendance non encadrée, toutes des valeurs que voient souvent d’un mauvais œil les fondamentalismes et les intégrismes.