Noël
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Quel Noël pour les mécréants?

Alors que de nombreuses villes, organismes et commerces ont choisi ces dernières années d’éclipser les crèches de leurs décorations de Noël dans une perspective laïciste, on peut se demander si Noël a encore un sens dans un monde pluraliste, agnostique, voire athée. Ne vaudrait-il pas mieux remplacer Noël par une fête de l’hiver ou de la lumière ?

Le pape François a demandé des crèches partout pour Noël, non seulement dans nos maisons, mais aussi « sur les lieux de travail, dans les écoles, les hôpitaux, les prisons et sur les places publiques ».

Le Saint-Père, qui a déjà déclaré trouver « stupide » l’interdiction d’installer des crèches dans les lieux publics, sait qu’il propose quelque chose à contrecourant.

Noël thérapeutique

Il est notable que ce ne sont que très rarement des hindous, des juifs ou même des musulmans (pour qui Jésus est un prophète selon le Coran) qui s’opposent publiquement à cette fête beaucoup plus chrétienne que païenne. Le plus souvent, ce sont plutôt des sociétés ou des individus jadis chrétiens qui semblent ne pas s’être encore réconcilié avec leur propre rejet du christianisme. 

Voilà pourquoi pour biens des québécois, fêter Noël a une dimension thérapeutique. Quoi de mieux qu’un Dieu enfant pour guérir de sa peur, voire de son dégoût de Dieu ? Si Dieu existe, c’est une bonne nouvelle pour mon bonheur et ma liberté. Dieu n’est pas venue contrôler ma vie, mais la libérer de ses mirages et prisons mondaines.

Dans sa lettre sur le sens de la crèche publié au début décembre, le pape écrivait : « Le cœur de la crèche, commence à battre quand, à Noël, nous y déposons l’Enfant Jésus. Dieu se présente ainsi, dans un enfant, pour être accueilli dans nos bras. Dans la faiblesse et la fragilité, se cache son pouvoir qui crée et transforme tout. »

Comme toujours, Dieu est imprévisible et se manifeste à l’extrême opposé de nos attentes trop humaines. Dans la crèche, nous trouvons un Dieu proche contre un Dieu lointain, un Dieu faible contre un Dieu puissant, un Dieu tendre contre un Dieu sévère et oh ! suprême folie… un Dieu qui a besoin qu’on s’occupe de lui !

Noël solidaire

Noël n’est pas la fête du riche père Noël de Coca-Cola, mais l’anniversaire de naissance d’un pauvre parmi les pauvres. C’est une fête anticapitaliste que l’on a travestie le jour où l’on a cessé d’aller à la messe de minuit.

À ce propos, François s’est permis une petite pointe contre toutes idéologie qui prétendent sauver l’homme seulement par la politique et la justice, sans conversion du cœur, sans libéralité ni miséricorde : « En naissant dans la crèche, Dieu lui-même commence la seule véritable révolution qui donne espoir et dignité aux non désirés, aux marginalisés : la révolution de l’amour, la révolution de la tendresse. »

L’appel au partage et à la solidarité se manifeste entre autre chez nous par la tradition de la Guignolée. Mais si nous changeons Noël pour une fête de l’hiver ou de la lumière, il y a fort à parier que nous perdrons cette dimension de solidarité sociale inhérente au christianisme qui fait de Noël une fête tournée vers les démunies, les exclus, les migrants et les marginalisés en tout genre.

Conversion à l’essentiel

Quand on est pauvre, il nous reste pour seule richesse que les relations.

La seule chose d’ailleurs que Noël devrait nous inciter à consommer c’est l’amitié : conjugale, filiale ou sociale. La vraie richesse est dans nos relations comme l’illustre si bien la crèche qui n’est rien d’autre que des relations entre des personnages : Jésus, Marie, Joseph, les bergers, les anges et les mages et même les moutons, le bœufs et l’âne !

Noël est d’ailleurs la seule fête de l’année où nous sommes tous en vacances en même temps. Ce qui permet des réunions de famille et la rencontre des générations.

Le mystère de la vie

C’est tellement évident qu’on l’oublie, mais Noël c’est avant tout l’anniversaire de naissance de Jésus. Évènement extraordinaire qui a changé le cours de l’histoire et à partir duquel désormais tout est ordonné dans notre calendrier.

« La naissance d’un enfant, dit encore François, suscite toujours émerveillement, car elle nous place devant le grand mystère de la vie. »

De même qu’il y a un avant et un après la naissance d’un enfant dans nos vies, il y a un avant et un après la naissance de Dieu dans la vie des hommes sur terre et de chaque homme dans son cœur. Car l’enfant est toujours celui qui déjoue nos plans. Sa naissance opère un décentrement de soi, une conversion, qui nous libère de la prison de l’égoïsme et nous fait avancer sur les chemins de la charité.

La vie est faite pour être donnée et les enfants sont là pour nous le rappeler.

Le scandale de l’Incarnation

Il faut admettre cependant que Noël c’est aussi le scandale de l’Incarnation : un événement historique, et non mythologique, qui n’est pas qu’une idée ou qu’un symbole. Une véritable pierre d’achoppement pour l’intelligence moderne, qui lorsqu’elle arrive encore à tolérer l’existence de Dieu, ne peut supporter son intervention dans la nature et l’histoire des hommes. Le miracle de Noël, comme tous les miracles, sera toujours la signature de Dieu qui nous empêche d’enfermer le mystère de la vie dans nos catégories étroites et prévisibles.

Pour surmonter ce scandale, les mages peuvent inspirer l’homme contemporain qui se sent à mille lieux de Dieu.

Assoiffés d’infini, ces hommes riches, cultivés et scientifiques nous prouvent que l’on peut partir de très loin pour rejoindre le Christ. Honnête dans leur recherche de la vérité, ils n’ont pas eu peur de se mettre en chemin et de se prosterner humblement devant le Dieu qu’il avait trouvé au dernier endroit qu’ils avaient imaginé. 

Noël pour tous

Il est intéressant que de toutes les fêtes chrétiennes, Noël demeure la seule qui suscite encore l’émerveillement d’un très grand nombre de non-pratiquants, voire de non-croyants. Comme si Noël avait un je-ne-sais-quoi qui arrive à séduire même le cœur des sceptiques.

L’une des plus belles méditations jamais écrite sur Noël nous vient d’ailleurs de Jean Paul Sartre alors qu’il n’avait que 35 ans et qu’il se trouvait en Allemagne dans un camp de prisonniers français. Des prêtres prisonniers avec lui depuis des mois, lui ont alors demandé de rédiger une petite méditation pour la veillée de Noël de l’an 1940. Le chantre de l’existentialisme athée mis alors sa plume au service du Verbe fait chair.

Mais comme c’est aujourd’hui Noël, vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la Crèche. La voici. Voici la Vierge, voici Joseph et voici l’Enfant Jésus. (…) La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Elle l’a porté neuf mois. Elle lui donna le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. (…) Elle le regarde et elle pense : « Ce Dieu est mon enfant ! Cette chair divine est ma chair, Il est fait de moi, Il a mes yeux et cette forme de bouche, c’est la forme de la mienne. Il me ressemble, Il est Dieu et Il me ressemble. »

Jean-Paul Sartre, 1940.

Tellement beau et en même temps tellement déconcertant, Simone de Beauvoir a essayé de réfuter l’origine de cet écrit. Mais Sartre lui-même en 1962, confirmera qu’il en est bel et bien l’auteur et qu’il avait cherché en ce soir de Noël un sujet qui pût réaliser l’union la plus large entre chrétiens et incroyants.

Comme quoi le miracle de Noël est vraiment pour tous : croyants, incroyants et mécréants !

Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.