Photo: Bruno Olivier/Facebook

Quand l’identitaire supplante le religieux

Des sociologues parlent d’un retour du religieux dans les sociétés occidentales. Du religieux plus que de la religion, car les formes institutionnelles de celle-ci ne seraient plus vraiment appelées à perdurer.

Dans certaines régions du monde, les autorités religieuses voient leur influence s’amenuiser au profit de groupes religieux complètement autonomes. En Afrique et en Amérique latine, la montée des évangéliques, parallèlement au déclin relatif du catholicisme, illustre cette réalité.

Michel Maffesoli fait partie des penseurs pour qui le désenchantement du monde a fait son temps. Les idéologies modernes n’auraient jamais su remplacer Dieu, créant plutôt un immense vide chez les populations concernées.

Un retour en force du religieux

Je pense aussi que nous vivons une sorte de « dé-sécularisation ». Un retour en force du religieux, mais pas nécessairement du christianisme, dont l’image a été ternie par divers facteurs. Dans La Face cachée du multiculturalisme (Cerf 2018), je suggère, entre autres, que l’Occident vit une transformation profonde en se tournant vers les religions étrangères.

Du haut de son grand vide spirituel, l’Occident baigne dans l’orientalisme, développant un rapport plus que favorable à la diversité culturelle et religieuse.

Au lieu de redécouvrir sa propre tradition chrétienne, l’Occident se tourne vers les autres cultures, vues comme des rédemptrices capables de le sortir de sa dépression. Nous parlons souvent de xénophobie, mais il faudrait aussi parler de xénophilie…

En fait, l’identitaire est à certains égards en train de supplanter le religieux.

Dix-huit mois après la publication de ce livre, je me rends compte à quel point ce retour du religieux s’avère parfois superficiel.

Je m’explique.

S’il y a bien un retour du religieux, il tient beaucoup à la dynamique identitaire actuelle. Depuis le choc des civilisations (Samuel Huntington, 1996), les sociologues parlent de plus en plus d’identité religieuse, comme s’il fallait toujours insister sur la dimension identitaire de la religion.

En fait, l’identitaire est à certains égards en train de supplanter le religieux.

La foi est de plus en plus extérieure et de moins en moins intérieure. Je n’irais pas jusqu’à dire que se multiplient les « faux croyants », mais l’esprit communautaire favorise les conversions (toutes religions comprises). Se sentir appartenir à un groupe prend parfois le dessus sur la foi. Les jeunes sont particulièrement touchés par cet appel du groupe.

La procession du multiculturalisme

Ce phénomène est amplifié par le multiculturalisme. Avec lui, nous assistons à une sorte de « parade religieuse ».

Le but de croire serait d’abord de le faire voir.

La religion devient un tatouage que l’on exhibe. Les croyances devraient même s’incarner dans un code vestimentaire pour être reconnues par la société. La foi semble de moins en moins vécue d’abord d’une manière personnelle, comme l’aurait souhaité saint Augustin.

Avec le retour du conservatisme en Europe et en Amérique du Nord, nous assistons aussi à une « contre-parade ». Les plus résolus veulent que l’Occident réplique avec le même romantisme. Il faudrait nous aussi montrer qui nous sommes, hélas jusqu’à la caricature. Les Québécois devraient ressortir leurs ceintures fléchées.

En Occident comme dans les pays musulmans, des islamistes ont fait du voile le symbole ultime de l’islam, comme si les femmes musulmanes ne pouvaient pas croire sans le porter.

En Italie, le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, ne va jamais à la messe, mais exhibe son crucifix et son icône de la Vierge. Dans ce grand cirque politique, la grande perdante est certainement la spiritualité. Ce n’est pas d’hier que la foi est instrumentalisée par des mouvements politiques.

Je ne prétends pas que le religieux et l’identitaire ne soient pas liés. Être chrétien, juif, musulman, bouddhiste, hindou, sikh, etc., restera toujours une importante référence culturelle. Les religions ont servi de piliers à toutes les civilisations : elles ne peuvent pas être dissociées de la culture. L’idée n’est pas de nier le lien qui unit croyance et identité, mais de ne pas céder aux excès.

Folkloriser le catholicisme

Les catholiques devraient se méfier de cette tendance à reléguer la spiritualité au second plan. Faire du catholicisme un simple outil identitaire, c’est en partie renier son universalité, pour l’intégrer à un plan chevaleresque de reconquête de l’Occident. Dans une certaine mesure, c’est même le folkloriser en le privant d’une grande partie de son message théologique.

Faire du catholicisme un simple outil identitaire, c’est en partie renier son universalité, pour l’intégrer à un plan chevaleresque de reconquête de l’Occident.

Comment les catholiques espèrent-ils répandre la foi en Afrique ou la conserver en Amérique latine, si l’Église est strictement associée à la vieille Europe des châteaux ? Comment penser l’universalité du catholicisme s’il devient un simple étendard qu’on brandit comme une épée identitaire ?

Je ne propose évidemment pas de renier nos racines.

L’héritage catholique du Québec – et des autres pays latins – doit être reconnu et respecté, surtout à l’ère du courant décolonialiste qui présente l’évangélisation de l’Amérique comme un crime contre l’humanité.

En revanche, je me méfie de la transformation de la foi en accessoire de mode idéologique. ll y a forcément quelque chose de malhonnête dans ce détournement.


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Jérôme Blanchet-Gravel

Jérôme est essayiste, journaliste et chroniqueur. Spécialiste des idéologies, il est l'auteur de quelques essais et collabore à plusieurs médias, au Québec et en France. Son dernier livre, la Face cachée du multiculturalisme, a été publié en 2018 aux Éditions du Cerf.