président élections
Photo : Pxfuel.

Quand les catholiques choisissent le président

Si Joe Biden est élu ce soir, il ne sera que le deuxième président catholique des États-Unis d’Amérique après John F. Kennedy. Faut-il penser que son appartenance religieuse lui attirera en bloc le vote déterminant des fils et filles de l’Église ? Rien n’est moins certain, car les électeurs catholiques américains sont réputés pour être très libres dans leur manière de voter.

On dit souvent que Donald Trump a été élu grâce au vote des évangéliques, mais c’est là une affirmation qu’il faut nuancer. En effet, l’électorat protestant vote toujours majoritairement pour les candidats républicains. Il a donc seulement été fidèle à lui-même en 2016 et le demeurera fort probablement cette année.

Toutefois, les catholiques, eux, ont une influence beaucoup plus décisive sur le gagnant des élections présidentielles.

C’est pourquoi le vote des catholiques américains est souvent qualifié de « swing vote », comme l’on parle de « swing state », en ce qu’il est changeant, imprévisible, et surtout qu’il peut être décisif dans une course serrée pour déterminer le vainqueur.

C’est ce que les chiffres et l’histoire nous enseignent.

La balance du pouvoir

C’est bien connu, les catholiques représentent, avec 23 % de l’électorat, le deuxième plus grand groupe religieux d’électeurs, après les protestants (52 %), mais avant ceux qui n’ont pas de religion (15 %) et les religieux non chrétiens (11 %).

Près du tiers des catholiques américains ne se considèrent ni conservateurs ni libéraux, mais « modérés » et peuvent aussi bien voter pour les démocrates que pour les républicains.

Mais surtout, leur importance est accrue en ce que leur appartenance politique est moins figée que celle de tous les autres groupes. Près du tiers des catholiques américains ne se considèrent ni conservateurs ni libéraux, mais « modérés » et peuvent aussi bien voter pour les démocrates que pour les républicains.

Alors que les protestants et évangéliques votent majoritairement républicain et que les athées, les juifs et ceux appartenant à d’autres religions votent majoritairement démocrate, ce sont donc souvent les catholiques qui font pencher la balance d’un côté ou de l’autre dans une course serrée.

C’est à tout le moins ce qui est arrivé lors des sept dernières élections présidentielles.

Votes des catholiques américains depuis 1960

1992 : Bill Clinton 44 % / 36 % George Bush père
1996 : 53 % Bill Clinton / 37 % Robert Dole
2000 : 50 % Al Gore / 47 % George Bush fils
2004 : 47 % John Kerry / 52 % George Bush fils
2008 : 54 % Barack Obama / 45 % John McCain
2012 : 50 % Barack Obama / 48 % Mitt Romney
2016 : 46 % Hillary Clinton / 50 % Donald Trump

Depuis 30 ans, à l’exception de la course entre Al Gore et George Bush en 2000, si serrée qu’elle a été tranchée en Cour suprême, les catholiques ont toujours voté majoritairement pour le vainqueur, peu importe qu’il soit démocrate ou républicain.

En fait, le vote des catholiques est presque toujours identique à celui de l’ensemble des Américains, à 1 % près. C’est donc le groupe le plus représentatif de l’ensemble de la population américaine.

La seule exception se trouve du côté des catholiques hispaniques. Leur vote prévisible se situe toujours entre 65 % et 75 % en faveur des candidats démocrates.

À qui ira le vote catholique ?

Pour qui donc les catholiques « modérés » voteront-ils majoritairement cette année ?

Certes, Donald Trump est perçu par plusieurs comme le président le plus pro-vie de l’histoire récente du pays. En ce sens, la nomination récente de la juge catholique Amy Coney Barrett à la Cour suprême a réussi à courtiser les électeurs pour qui cette bataille est la plus importante.

Mais cela est loin de suffire à mon humble avis, et ce, pour au moins deux raisons :

1. L’insuffisance de la cause pro-vie

Premièrement, les catholiques que Trump se doit de convaincre ne sont pas les conservateurs, mais les modérés.

Or, 60 % de ceux-ci pensent que l’avortement devrait être légal ; et même pour ceux qui pensent autrement, il s’agit rarement de l’enjeu unique qui guidera leur vote. Ils choisissent aussi en fonction d’autres questions sociales qui servent autrement la vie, comme la santé, l’environnement ou l’accueil des immigrants.

Rappelons que ce ne sont qu’une minorité de catholiques (43 %) qui considèrent que l’avortement devrait être illégal aux États-Unis.

De plus, avec une nouvelle majorité de juges conservateurs à la Cour suprême, certains militants pro-vie se disent qu’ils n’ont plus besoin de Donald Trump pour faire avancer leur cause.

La cause pro-vie est donc insuffisante pour convaincre un électeur indécis, voire déchiré à donner son vote à un président si peu « catholique » dans sa manière de vivre et de parler.

2. Le contrexemple du témoignage de vie

C’est d’ailleurs la deuxième raison pour laquelle les catholiques modérés risquent de préférer Joe Biden.

Car même s’il avoue avoir changé d’idée en faveur de l’avortement depuis 2007, Biden a plus d’une fois par le passé manifesté son inconfort sur le sujet. Il est perçu comme moins militant qu’Hillary Clinton sur cet enjeu et surtout plus moral et plus religieux que Donald Trump dans sa vie personnelle.

Et c’est là un enjeu de taille.

La vie de Trump est un tel contrexemple qu’un catholique « modéré » ne se sent souvent pas capable de voter pour lui, sans à tout le moins « se boucher le nez ». C’est un point connu des sondeurs qu’un catholique vote davantage pour une personne qu’il considère morale ou éthique (62 %) que pour quelqu’un qui partage la même foi que lui (14 %).

Joe Biden, lui, a le double avantage d’être catholique et de le paraitre aux yeux des électeurs.

Il est vrai que le catholique John Kerry a perdu le vote de ses coreligionnaires contre le méthodiste Bush en 2004. Il est vrai aussi que le vice-président Mike Pence et la Première dame Melania Trump sont aussi catholiques à leur manière.

Mais encore une fois, ce n’est pas tant l’appartenance religieuse que l’exemple de vie qui semble le plus influencer le vote catholique.

Des motifs théologiques

Le vote catholique n’est ni monolithique ni statique. Difficile du coup d’être prophète à son sujet. Surtout après les résultats qui ont surpris presque tous les experts en 2016.

Si les électeurs catholiques sont considérés comme « mobiles », c’est d’abord parce que ni les démocrates ni les républicains ne sont parfaitement alignés sur les enseignements de l’Église par rapport à toute une série de questions sociales et économiques.

Mais plus profondément, le vote catholique est imprévisible, car cette appartenance religieuse détermine moins la manière de voter que celle d’autres religions.

Les analystes à tendance sociologique diront que c’est parce qu’un grand nombre de catholiques le sont moins par conviction que par habitude, que leur foi est davantage culturelle que cultuelle.

Un autre regard me porte toutefois à croire que c’est la plus nette distinction du temporel et spirituel dans la théologie catholique qui explique cette différence.

« Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Le judaïsme, l’orthodoxie, le protestantisme et l’Islam ne prêchent pas une aussi nette division des pouvoirs de l’Église et de l’État.

Contrairement à d’autres leadeurs religieux, les évêques catholiques sont d’ailleurs très réticents à donner des indications pour qui voter. Et même lorsque certains osent le faire, les fidèles ne semblent pas trop les écouter de toute manière.

Pax vobiscum

Enfin, s’il y a un point sur lequel les catholiques conservateurs, modérés et libéraux s’accordent, c’est leur désir de paix.

Tous ont peur que la division idéologique cause des violences dans le pays.

Si ce désir et cette peur doivent guider leur vote, on est en droit de penser que les catholiques indécis pencheront pour un candidat moins polarisant dans ses paroles et attitudes.

Je vous laisse choisir qui incarne davantage un artisan de paix.


Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.