Les dernières semaines ont été marquées par la montée du mouvement antiraciste partout dans le monde à la suite de la mort de George Floyd. En pleine pandémie de Covid-19, des citoyens de tous les horizons semblent avoir ressenti le besoin de sortir de leur hibernation sociale pour prendre la parole.
Malgré sa juste cause, le mouvement antiraciste à l’œuvre s’accompagne d’un projet de révisionnisme historique exempt de nuances. Iconoclaste, ce courant radical entend rayer tout monument, ou presque, rappelant le fait colonial dans les Amériques.
Bonne cause, mauvais moyens
Aux États-Unis, des manifestants ont endommagé puis retiré de leur socle plusieurs statues de Christophe Colomb. Des statues de Cervantès et du missionnaire franciscain Junípero Serra ont aussi été vandalisées à San Francisco, en Californie. Avec raison, ces évènements ont indigné une partie de la communauté latino-américaine aux États-Unis, en particulier celle de Floride.
La manière de relater l’histoire n’a jamais été épargnée par les modes idéologiques : elle reflète des partis pris.
Si l’héritage chrétien est visé dans son ensemble, c’est aussi, précisément, au catholicisme auquel on s’attaque à nouveau. Un catholicisme qui avait déjà mauvaise presse pour diverses raisons, et qui doit maintenant composer avec une puissante force politique l’accusant d’incarner le racisme envers les Autochtones.
Dans les médias et à l’université, il est de bon ton d’associer les catholiques aux pires exactions commises par le passé. Pourtant, il serait naïf de croire que cette image négative reflète la stricte réalité historique. La manière de relater l’histoire n’a jamais été épargnée par les modes idéologiques : elle reflète des partis pris.
Le rejet de l’empreinte catholique et hispanique s’appuie évidemment sur une lecture anachronique : faut-il encore rappeler qu’on ne peut juger le passé avec des critères éthiques actuels ? Mais dans le monde anglo-protestant principalement, ce rejet s’inscrit aussi dans la lignée de ce que des historiens ont nommé la légende noire (la leyenda negra), expression qui rappelle d’ailleurs celle de « Grande noirceur » au Québec.
La légende noire, un mythe encore vivant
Par opposition à la légende rose ou dorée, la légende noire présente les Espagnols et les catholiques comme des êtres sanguinaires. Ils auraient commis des massacres, voire des génocides sur lesquels il n’existe pourtant aucun consensus.
Dans son livre consacré à cette question, l’historien Joseph Pérez observe que l’Espagne a été injustement traitée dans l’histoire, par les intellectuels protestants en particulier.
Les concurrents européens de la Couronne espagnole auraient eu intérêt à voir ses intellectuels l’associer à l’intolérance, l’Inquisition et l’extermination des Indiens d’Amérique, évènement dont Pérez conteste la valeur historique. L’Espagne a été caricaturée.
En effet, les partisans du révisionnisme en vogue devraient savoir que globalement, les catholiques ont eu une approche très différente de celle des colons protestants dans leur participation à la colonisation du Nouveau Monde. S’ils sont loin d’avoir été parfaits, les crimes qu’on leur reproche aujourd’hui sont souvent déformés par cette légende noire réactivée aujourd’hui, mais dont l’origine remonte au XVIe siècle.
En 1950, le célèbre écrivain Octavio Paz a relativisé cette vision péjorative dans Le Labyrinthe de la solitude, ouvrage considéré comme le plus grand essai de la littérature mexicaine. Selon lui, le catholicisme a permis aux Autochtones de réintégrer le monde religieux — le plus structurant à l’époque —, alors qu’ils avaient été complètement dépouillés politiquement par la conquête.
« Retrouver une place dans le monde »
« Les Indiens, qui sont comme orphelins, après la rupture des liens avec leurs anciennes cultures et la mort de leurs dieux et de leurs cités, retrouvent par la foi catholique une place dans le monde. Cette possibilité d’appartenir à un ordre vivant, fût-ce à la base de la pyramide sociale, a été impitoyablement refusée aux indigènes par les protestants de la Nouvelle-Angleterre. On oublie fréquemment qu’appartenir à la foi catholique signifie trouver une place dans le Cosmos […]. La Nouvelle-Espagne connut bien des horreurs, mais ignora pour le moins la plus grave de toutes », écrit Paz (p. 97).
En partie sous l’influence de la gauche décoloniale américaine, le président mexicain actuel, Andrés Manuel López Obrador, a décidé en mars 2019 de jouer la carte de la légende noire et par le fait même, celle du sanglot de l’homme blanc. Il s’est adressé à l’ancienne métropole et au pape François pour leur demander de s’excuser pour les « abus » commis lors de la conquête. Le gouvernement espagnol n’a pas tardé à répondre que cela n’arriverait pas. Quant au pape, il a rappelé au président qu’il s’était déjà excusé pour les injustices en question, et donc qu’il n’y reviendrait pas.
Au Mexique, des groupes prônent aussi une révision en profondeur de l’espace public. Au Québec, la tendance est sensiblement la même, à la différence près qu’il s’agit de revisiter l’histoire de la Nouvelle-France et non de la Nouvelle-Espagne.
S’il demeure crucial de combatte le racisme sous toutes ses formes (que ce soit envers les Noirs aux États-Unis ou envers les Amérindiens sur l’ensemble du continent), il serait mieux avisé de le faire avec nuance, modestie et respect.