Poursuivant notre réflexion déjà amorcée précédemment sur l’interprétation fondamentale à donner à la crise des abus sexuels dans l’Église, j’aimerais aujourd’hui essayer de voir ce qui, dans cette situation tragique, est apte à la faire évoluer dans le bon sens, ce qui peut nous aider à opérer un renouvèlement global, à la hauteur des enjeux de notre temps.
Suivant le tournant fondamental, sous-jacent au Sommet sur la protection des mineurs au Vatican, d’une Église « qui n’évite pas, mais qui affronte » ses problèmes (11:25), nous sommes appelés, à la fois, à une démarche de vérité sur nous-mêmes et à une véritable « « conversion pastorale » (Evangelii Gaudium, no27), conversion des pratiques et des programmes pastoraux et conversion de l’organisation de l’Église » (Le tournant missionnaire, p.12).
Une Église en phase avec le réel
Le premier élément constructif est d’être sorti d’un certain déni de la réalité.
En effet, la « nature sacramentelle de l’Église » (Communionis Notio, no3) nous indique que la « communion ecclésiale est en même temps invisible et visible » (no4).
Cela signifie d’abord que la véritable crise n’est pas ce que nous vivons à l’heure actuelle. La seule crise en cause ici a eu lieu lorsque ces abus abominables eurent lieu. La mise en lumière et la présentation des abus au grand jour sont plus que bénéfiques et nous devons être reconnaissants envers tous ceux qui ont contribué à lever le voile sur ces atrocités.
Au lieu de « rendre visible ce qui est invisible », certains membres de l’Église ont cru la servir en rendant invisible ce qui était visible! Pendant trop longtemps, certains ont cru servir l’Église en n’en présentant qu’une image factice, hollywoodienne et sans égard pour ses membres les plus souffrants.
Ainsi, au même moment où il y avait rupture entre la réalité ontologique de l’Église et ses représentations ecclésiales, nous assistions à la mascarade d’une Église immaculée alors que son âme était souillée jusqu’au tréfonds.
Sortie de ce double déni de la réalité, l’Église peut enfin se laisser reconstruire par l’Esprit Saint autour de l’élan et des fruits missionnaires des pauvres que nous sommes.
Un autre élément de cette crise mondiale – mais capable de faire évoluer l’Église – se trouve paradoxalement dans l’attention médiatique générée par ce scandale. En effet, pris à un niveau global, la transparence et l’imputabilité dont fait preuve l’Église à l’heure actuelle peuvent sensibiliser plusieurs pays et cultures aux effets dévastateurs des abus sexuels sur toute personne. En effet, depuis le péché originel, Satan cherche par tous les moyens à pervertir l’ensemble des relations humaines; qu’elles soient politiques, amoureuses, juridiques, internationales, sportives, etc. Le père du mensonge cherche à les transformer en lieux de domination. Les statistiques actuelles sur le trafic humain, le tourisme et les esclaves sexuels ou les actes dégradants ayant mené au mouvement #metoo montrent bien que notre monde n’est pas aussi évolué qu’il voudrait bien le croire.
Je tenterais même une affirmation gratuite. Tous les PDG de la terre ont aujourd’hui des dossiers d’abus sur leur bureau et cherchent des moyens pour faire face à leurs propres crises internes. Il s’agit là d’une opportunité d’évangélisation à ne pas manquer.
Comme le disait Joseph Ratzinger : « L’homme voit uniquement dans la mesure où il a vécu et souffert ».C’est donc de par sa propre « faiblesse » (2 Cor 12,10) que l’Église peut aujourd’hui redevenir un signe d’espérance. N’ayons pas peur de faire face à la crise qui, comme la Croix, sera le lieu vers lequel tous seront attirés.
Prendre sa croix et le suivre
Accepter de faire son examen de conscience personnel et collectif est, comme je l’ai déjà dit, le meilleur moyen de trouver la source du problème et, donc, de trouver les solutions les plus appropriées.
Malheureusement, comme le dit le proverbe latin « In sterquilinus invenetur » (1:30 min) c’est-à-dire que la solution se trouve souvent où nous ne voulons pas regarder.
Or, puisque « le commandement de l’amour et le chemin de la justice sont une source de maturation et de sanctification » (Gaudete et Exultate, no92), nous n’avons plus le choix et devons faire preuve de la maturité nécessaire pour que ces crimes ne se reproduisent plus. J’ai déjà mentionné plusieurs de ces causes aux antipodes des récupérations idéologiques à la mode. J’attirerais votre attention néanmoins sur le processus habituellement impliqué dans la corruption.
Beaucoup de théories existent sur les causes de la corruption.
Toutefois, les chercheurs s’accordent généralement pour dire qu’il « est plus probable qu’une personne accepte les comportements non éthiques des autres lorsque la dégradation apparait de manière graduelle plutôt que lorsqu’il s’agit d’un changement brutal ».
Il y aurait donc plus de probabilité que les comportements graves adoptés par certains leadeurs de l’Église soient la conséquence de l’accumulation de petits gestes néfastes (Ecclesia de Eucharistia, no52), en apparence anodins mais qui, par effet d’accumulation (Gaudete et Exultate, chap. 2), ont mené aux abus et à leurs tout aussi gravissimes camouflages.
Ce n’est qu’en ayant l’humilité et le courage de remettre en question l’ensemble de nos à priori idéologiques et de nos pratiques qu’un renouvèlement sera possible.
En ce sens, ce n’est qu’en ayant l’humilité et le courage de remettre en question l’ensemble de nos à priori idéologiques (aussi bien intentionnés soient-ils) et de nos pratiques (aussi petites soient-elles) qu’un renouvèlement sera possible.
En d’autres termes, c’est en questionnant ce que nous voulons collectivement le moins questionner qu’on a le plus de chance de faire un pas sur le chemin de la « guérison ».
Des questions ouvertes
« La force salvifique du vrai est contestée et l’on confie à la seule liberté, déracinée de toute objectivité, la tâche de décider de manière autonome de ce qui est bien et de ce qui est mal. » (Veritatis Splendor, no84)
Cette citation de saint Jean-Paul II porte aujourd’hui une tout autre connotation que lorsqu’il l’a écrite en 1993. Contrairement à son époque, bien peu de catholiques oseraient remettre en cause « l’objectivité » des jugements moraux concernant les abus sexuels ou « la force salvifique du vrai » de la transparence ecclésiale.
Peut-être qu’en revisitant les motivations de ceux qui mettaient en doute ces principes, nous pourrons trouver les réponses nécessaires afin de pouvoir dire « en esprit et en vérité » (Jn 4,23) « plus jamais ».