Le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge déposait le projet de loi 40 l’automne dernier. Comportant 300 articles, le projet modifie pas moins de 80 lois. Derrière cette ambition se cache toutefois un problème de taille : la remise en cause de l’autonomie professionnelle des enseignants.
Qu’on soit d’accord ou non avec les revendications des syndicats des professeurs, il m’apparait incontournable qu’on leur donne une voix. Il n’y a déjà plus beaucoup de professeurs (le dire est un truisme), ne faudrait-il pas en prendre un peu plus soin ?
En effet, il s’agit là d’une réforme importante et profonde du système d’éducation. Selon ses opposants politiques, elle demanderait plus de temps et de débats avant d’être adoptée.
Qu’à cela ne tienne, le gouvernement Legault veut décréter la loi du bâillon afin d’accélérer les choses, coute que coute !
À l’école de mon fils, il manque tellement de suppléantes que ce sont bien souvent les techniciennes en services de garde qui prennent les enfants en charge durant les cours. On le sait, être professeur aujourd’hui demande un amour inconditionnel de sa profession et des élèves.
Ce qui m’inquiète sincèrement, c’est que ce sont encore les élèves qui seront les plus pénalisés dans tout cela.
Le grand spectacle politique, que dis-je, cette démonstration de force écrasante de la part du gouvernement Legault me semble absolument vide de sens. L’évidence n’est-elle pas de remettre professeurs et étudiants au centre de l’éducation ?
À mon sens, pour faire une école, il ne faut qu’un professeur et qu’un élève. Sans l’un et sans l’autre, plus rien ne tient !
Chagrin d’école
Je lisais récemment le roman de Daniel Pennac, Chagrin d’école. Ce récit autobiographique retrace les souvenirs d’école de Pennac autant comme élève que comme professeur.
Ce livre a de quoi donner à tous le gout d’enseigner ou d’étudier. Il est rafraichissant de lire ou de relire ce retour à la personne humaine, au-delà des systèmes et des structures.
C’est dans le miracle de la relation professeur-élève que l’éducation devient possible.
Dans le marasme de ces refontes du système de l’éducation, il me redonne espoir.
Le grand sauvetage
La grande finale de Pennac consiste à nous avouer son amour de l’enseignement, son amour des élèves:
« Voilà, ma métaphore vaut ce qu’elle vaut mais c’est à cela que ressemble l’amour en matière d’enseignement, quand nos élèves volent comme des oiseaux fous. C’est à cela que mademoiselle G. ou Nicole H. auront occupé leur existence : sortir du coma scolaire une ribambelle d’hirondelles fracassées. On ne réussit pas à tous les coups, on échoue parfois à tracer une route […] mais à tous les coups on essaye, on aura essayé. Ils sont nos élèves. » (p. 305)
Parce qu’il s’agit bien de sauvetage pour plusieurs, dont Pennac, qui était lui-même un cancre (par ici, on dirait peut-être un décrocheur). Il parle de ses professeurs de génie, non pas des mathématiques ou du français, mais du « génie de l’enseignement » : « ces maitres m’ont sauvé de moi-même. » (p. 102)
En parallèle, Pennac témoigne de sa créativité dans ses méthodes d’enseignement, de sa ténacité auprès des élèves qui « n’y arrivent pas » et de la liberté dont il jouit dans la notation. Cette vision de l’enseignement m’amène à penser que le professeur, le vrai, le passionné, il faut lui redonner sa place, sa créativité, sa liberté. Car c’est dans le miracle de la relation professeur-élève que l’éducation devient possible.
Le ministre Roberge parle notamment de s’intéresser aux décrocheurs. Il aurait intérêt à lire Pennac et à remettre l’essentiel au centre de son projet. Pourquoi précipiter les choses si l’on cherche le bien de nos enfants, de nos élèves ?