La question du crucifix à l’Assemblée nationale est une fois de plus revenue dans l’actualité à la suite d’une requête du parti Québec solidaire demandant son retrait. Parallèlement à ce débat, notre blogueur Francis Denis, journaliste à la Télévision Sel + Lumière, entrevoit dans le multiculturalisme et les replis identitaires des occasions d’évangélisation.
Outre les intéressantes recherches sur l’authenticité du crucifix qui, pour des raisons patrimoniales, imposent que l’on remette l’original à sa place, cette revendication laïciste est le signe que ce parti demeure marginal, reliquaire d’une vieille mentalité anticléricale moribonde.
Dernier bastion authentique d’un « messianisme compensatoire progressiste », Québec solidaire a une fois de plus démontré être en décalage profond avec son temps.
Devant un tel spectacle, les chrétiens font bien de ne pas y porter trop d’attention. En effet, deux mouvements profonds, deux idéologies concurrentes – pouvant paradoxalement être vues comme complémentaires – soufflent dans leurs voiles.
Un retour du religieux dans l’espace public est à nos portes et nous devons nous y préparer plutôt que de perdre notre temps à discuter dans des termes du siècle passé. Tant par la voie multiculturaliste qu’identitaire, les deux chemins empruntés par l’Occident et le Québec en particulier sont, pour les chrétiens, deux balles à saisir au bond.
L’ouverture multiculturaliste
Au Canada, le multiculturalisme est d’abord une doctrine de l’État fédéral. Enchâssée dans la Constitution canadienne, la question n’est pas tant son acceptation que son interprétation.
Doit-on y voir une reconnaissance prioritaire des trois cultures et peuples fondateurs (français, amérindiens et anglais) ou une reconnaissance de toutes les cultures pourvu qu’elles soient assumées par un citoyen canadien?
Ces deux interprétations, l’individualiste et la collectiviste, peuvent toutes les deux être au service de l’Église. De fait, la première reconnait une certaine priorité à la culture, à l’histoire et à l’engagement catholique dans la formation du Canada tandis que la deuxième garantit le droit de cité de l’expression religieuse dans l’espace public. C’est en ce sens, selon moi, que l’on ne devrait pas s’inquiéter du projet de loi 62 et de ses conséquences sur le malheureusement trop peu porté « col romain ».
Experte en humanité, l’Église peut être un partenaire social de premier plan.
Enfin, bien que l’idéologie multiculturaliste trudeauiste ait de nombreux défauts, il n’en demeure pas moins qu’elle redonne – en quelque sorte – à la religion ses lettres de noblesse. Ce qui permet aux catholiques, par l’entremise de sa nouvelle respectabilité médiatique, d’intervenir dans les débats publics.
En ce sens, « experte en humanité » l’Église peut être un partenaire social de premier plan et à tous les niveaux puisqu’étant elle-même, l’institution la plus multiculturelle qui soit.
L’ouverture identitaire
Comme toute idéologie, la proposition du multiculturalisme a de nombreux côtés sombres et suscite controverses et oppositions. L’ouverture absolue envers toutes manifestations culturelles, même celles qui vont à l’encontre des idéaux les plus profonds de la culture d’un pays d’accueil, crée un ressentiment chez plusieurs.
Ainsi, l’interprétation individualiste du multiculturalisme remet en question, conteste ou à tout le moins relativise plusieurs « acquis sociaux » en les mettant sur un pied d’égalité avec des propositions contraires provenant d’une autre culture. C’est le cas du débat actuel sur le niqab/burka. D’où l’impression en constante croissance d’être menacé.
Cette « insécurité culturelle » réelle ou fictive peut déboucher sur plusieurs attitudes. Certains s’engageront dans des mouvements marginaux comme La Meute, d’autres s’insurgeront contre ces mouvements par un engagement opposé, d’où cette montée des extrêmes qui a mené aux violences qu’on a vues cet été dans la Capitale nationale.
Encore une fois, l’Église a un rôle important à jouer et doit saisir l’occasion que permet ce « retour aux sources » que peut susciter cette croissante insécurité culturelle. De telle sorte que, de la même manière que les deuxièmes générations d’immigrants cherchent parfois, face à une culture majoritaire dans laquelle ils ne réussissent pas tout à fait à s’identifier, à renouer avec la culture du pays d’origine de leurs parents, beaucoup de Québécois de souche canadienne-française amorceront ce travail sur eux-mêmes. Sur leur passage, se présentera irrémédiablement l’Église catholique.
De par le contact de plus en plus fréquent avec de nombreuses cultures concurrentes et, parfois même, militantes, un mouvement identitaire est à prévoir (ou voir).
L’Église retrouvera donc par le fait même, selon moi, une nouvelle légitimité provenant d’une quête profonde d’individus en recherche de leurs origines. Aussi, pour éviter les deux écueils mentionnés plus haut, les catholiques doivent se préparer. Ils doivent être en mesure de canaliser ce retour en offrant des réponses à la hauteur des attentes. Réponses à la fois spirituelles, intellectuelles, culturelles et communautaires.
Il est temps de retrouver le « Génie du christianisme ».
Construire des ponts
Comme j’ai essayé de le démontrer, la société, consciemment ou non, réclame l’aide de l’Église. Que ce soit par l’entremise de l’idéologie multiculturaliste qui, laissée à elle-même, risque de se transformer en utopie ou par la canalisation de la quête des racines vers la construction d’une « civilisation de l’amour », les catholiques doivent s’investir dans le débat public et « construire des ponts ».
Comme le note l’historien Éric Bédard dans son dernier livre Survivance, le Québec postréférendum se retrouve en plusieurs points dans la situation des Canadiens français après la défaite des Patriotes. À cette époque, le Québec avait assisté à un fort retour du religieux.
Se pourrait-il que le même phénomène se reproduise aujourd’hui? Je le crois, tout en espérant que nous soyons à la hauteur de notre mission!