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Illustration : Louis Roy

Ma soirée chez les AA

« On ne peut imaginer association moins exigeante, plus libre, plus ouverte, que celle des Alcooliques anonymes. Le nouveau membre n’a aucune formule à signer, aucune cotisation à payer, aucun engagement de quelque sorte à prendre. Il lui suffit de dire : “Je suis un alcoolique. Je voudrais essayer de ne plus boire.” Le miracle – un parmi d’autres – est que ce système vague, anarchique, ait réussi à merveille. » 

– cité dans Avec les Alcooliques Anonymes, Joseph Kessel, Paris, Folio, 2013, p. 175

Dans ma famille, l’alcool était associé à la fête et à la joie de vivre. La bière, le gros gin et le vin coulaient à flots. Éméchés, un oncle entonnait les vieux succès des Classels, une tante sortait sa perruque, ma mère commençait à lancer des cubes de glace dans le grand bol de punch et riait de bon cœur aux blagues grivoises d’un cousin plus âgé.

Les meilleures soirées, certains se lançaient et dansaient ou chantaient leur hymne préféré à l’amour et au plaisir, même s’ils ne se souvenaient pas de toutes les paroles. Mon grand-père, grave et solennel, se levait lentement pour interpréter sa « chanson du voyageur », dont la mélodie et les paroles étaient tristes et émouvantes. Le cousin André, avec sa belle chemise à carreaux boutonnée jusqu’au cou, après s’être fait un peu tirer l’oreille, y allait de son tour de chant et terminait chaque fois son numéro par son fameux « Excusez-la ! »

Mes tantes, oncles, parents, grands-parents avaient beau avoir leurs soucis, ces fêtes bien arrosées se déroulaient dans la bonne humeur, et j’ai beau chercher, fouiller dans mes souvenirs les plus lointains, je n’ai jamais été le témoin d’une scène disgracieuse due à l’alcool : engueulades, pleurs, bagarres, gestes déplacés. Même si les paupières devenaient lourdes, les regards fixes, les festivités se poursuivaient tard dans la nuit. Couchés à l’étage, cordés les uns contre les autres, mes cousins, cousines et moi étions souvent réveillés en pleine nuit par la gigue improvisée d’un oncle, ses pas sur le parquet faisant trembler toute la maisonnée ! Aux aurores, il ne restait plus qu’un oncle et mon grand-père discutant avec gravité des « choses de la vie » tout en ingurgitant des cocktails indigestes, mixtures hasardeuses de fonds de verre laissés par des moins endurants qu’eux.

Découvrir les ravages

Ayant vécu les premières années de mon enfance sur le Plateau Mont-Royal, j’ai cependant compris assez tôt que l’alcool pouvait faire des ravages. Durant les années 1970, ses rues et ruelles étaient bien plus fidèles à l’univers de Michel Tremblay qu’à celui des jeunes familles françaises ou hipster qui colonisent aujourd’hui cet ancien quartier populaire.

Un dimanche matin – je n’avais guère plus de six ans –, j’avais alerté mes parents : ma fenêtre avait été fracassée par des bouteilles de bière. Selon mon père, cet acte avait été commis par un « ivrogne » qu’il avait dû expulser d’une maison de chambres. Le pauvre homme n’arrivait plus à payer sa quittance depuis des mois.

Il m’a fallu un certain temps pour comprendre que j’avais eu beaucoup de chance d’avoir ce rapport équilibré à l’alcool.

Un autre matin, j’ouvre la porte et je vois la locataire du 3e, le visage défiguré. Son mari l’avait battue toute la nuit et elle n’avait nulle part où aller. Ma mère, qui m’avait demandé de rester dans ma chambre, l’avait écoutée et consolée de son mieux, non sans lui suggérer d’alerter les autorités. La pauvre dame au visage tuméfié avait pleuré une grande partie de l’avant-midi. Malgré le réconfort et les conseils de ma mère, elle allait retourner vivre avec son bourreau. « Il est pas méchant, M. Beaulac, m’avait expliqué ma mère après son départ, mais quand il boit, il perd la tête, c’est terrible. » Ce même monsieur Beaulac avait un jour demandé l’heure à mon père. « Sept heures ! » lui avait répondu le paternel. Sa réponse résonne encore en moi : « … Sept heures du soir ou du matin ? » avait demandé l’homme, les yeux vitreux. 

Être du bon côté de la chance

Ce passé familial et ces souvenirs d’enfance ont probablement conditionné mon rapport à l’alcool. Un rapport globalement « sain ». Comme la plupart des gens, je trinque surtout avec des amis, un peu par habitude, sans excès, pour le plaisir. Boire s’apprend. Avec les années qui passent, je sais m’arrêter au bon moment non pas seulement par prudence élémentaire, parce que je crains de baisser la garde et dire des choses que je pourrais regretter le lendemain, mais tout simplement pour m’éviter un « mal de bloc » ! Lorsque je traverse une « mauvaise passe », que je suis plus stressé et tourmenté que d’habitude, il ne me vient jamais à l’idée de boire seul dans la pénombre de mon bureau avant d’aller au lit.

Écoutez l’intervention radiophonique d’Éric Bédard à On n’est pas du monde.

À l’instar de ma famille, je bois pour accroitre ma joie de retrouver des amis ou pour souligner un évènement heureux, non pour oublier un problème, anesthésier un malêtre ou dissoudre ces boules d’angoisses qui nous minent parfois. C’est pour ajouter un zeste d’intensité au présent que j’ai toujours bu, non pour le fuir…

Il m’a fallu un certain temps pour comprendre que j’avais eu beaucoup de chance d’avoir ce rapport équilibré à l’alcool. J’ai pris la mesure de cette chance un soir de décembre 2018, alors que je pris part à mon premier meeting des Alcooliques anonymes.

Une première qualité des AA

Ce jour-là, je m’étais rendu en autobus, à Québec, pour célébrer avec d’autres membres de ma famille élargie le 40e anniversaire d’abstinence d’une tante qui m’est chère. Arrivé avant les autres, j’entre dans un local un peu anonyme et sans âme. La salle est clairsemée, son aménagement donne à penser qu’on attend de 80 à 100 personnes maximum. Pendant une trentaine de minutes, j’attends ma tante et les autres, je lis sur les murs les règles de vie des AA, les dates des prochains meetings.

Un homme s’approche de moi et me serre la main comme un frère retrouvé. Comme il ne m’a jamais vu et qu’il ne peut savoir que je viens pour un membre de ma famille, il présume que j’assiste à ma première réunion. Sans que je pose de questions, Serge, un ouvrier au milieu de la soixantaine, m’explique qu’il participe à ces rencontres depuis le milieu des années 1980. Il me raconte quelques-unes de ses brosses mémorables, la dernière le plongeant dans un coma éthylique. « Mes premiers meetings étaient mixtes… Ça me gênait de me confier devant des femmes. Un gars m’a donné une adresse et m’a promis qu’il n’y aurait que des hommes… »

Cet article est aussi paru dans notre numéro spécial du printemps 2021 VISITATION. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

Serge voulait me mettre à l’aise, car le premier meeting était le plus important, une étape fondamentale pour venir à bout de cette terrible dépendance. Lorsqu’il a compris que je venais pour ma tante, il m’a serré la main chaleureusement et s’est retiré en douce.

Cette entrée en matière m’exposait à l’une des qualités les plus chères aux Alcooliques anonymes : la fraternité. Les AA viennent des milieux les plus divers ; riches, pauvres, éduqués, décrocheurs s’y retrouvent, tous égaux devant leur problème. Ce qui les unit, c’est une souffrance qui les a isolés de leur famille, coupés de leurs amis. Aller vers les AA, c’est bien sûr s’admettre à soi-même qu’on a un problème, mais c’est aussi se joindre à une vaste confrérie internationale, présente dans les villes importantes et dans tous les quartiers.

Une présence rassurante

Quelques minutes après l’arrivée de ma tante et de ma famille, la soirée pouvait commencer. Entretemps, la salle s’était remplie de femmes et d’hommes de tous les âges. Animatrice de la soirée, une dame dans la cinquantaine avancée rappelle les règles et commandements des AA. Tous répètent en cœur les mots suivants : « Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer ; le courage de changer les choses que je peux et la sagesse d’en connaitre la différence. » Le dieu de cette prière est vaguement chrétien, mais je sens bien que nous ne sommes pas dans une Église, avec ses vieilles incantations psalmodiées par habitude.

Depuis leurs débuts en juin 1935, les AA accordent une grande importance à la foi en un dieu miséricorde.

Depuis leurs débuts en juin 1935, les AA accordent une grande importance à la foi en un dieu miséricorde. Les principes (ou « étapes ») 2 et 3 de leur charte se déclinent d’ailleurs comme suit : « 2) Nous en sommes venus à croire qu’une puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison. 3) Nous avons décidé de confier notre volonté et notre vie aux soins de Dieu tel que nous le concevions. » Ce dieu offre une présence rassurante et un amour inconditionnel. Impossible de lui cacher quoi que ce soit, de se dérober à son regard bienveillant.

Cette dimension spirituelle importante est plus thérapeutique que théologique. On croit en cette « puissance supérieure » non par esprit de soumission ou parce que l’on s’incline devant une explication définitive du monde, mais bien davantage parce que cette foi procure un certain bienêtre, du réconfort, et parce que, dans les moments de grande solitude, il reste cette Présence bienfaisante à laquelle on peut tout confier. Quelle que soit la dépendance – alcool, drogue, médicament, jeu, cyberdépendance –, elle se vit le plus souvent dans la honte, le mensonge et une extrême solitude intérieure. Cette solitude conduit certains à l’irréparable.

Un dieu pour l’humilité

Ce dieu bienveillant, en plus d’accompagner les plus vulnérables, nourrit en chacun une qualité essentielle pour les AA : l’humilité. Avant de se rendre à son premier meeting, l’alcoolique est convaincu qu’il peut arrêter de boire quand il le souhaite. S’il n’écoute personne, n’en fait qu’à sa tête, fuit ses responsabilités, c’est qu’il reste absolument convaincu d’être en maitrise de la situation. Les signaux inquiétants ont beau s’accumuler, les déboires se multiplier, les amis s’éloigner les uns après les autres, il reste convaincu qu’avec un peu de volonté, il y arrivera.

Aller chez les AA et y rester, c’est reconnaitre que l’on n’est plus maitre de sa vie, qu’on a besoin d’aide et de soutien, qu’on est finalement aussi fragile et vulnérable que les autres. Dans ce monde de performance et de compétition sauvage qui survalorise les « gagnants » et méprise les « perdants », l’humilité n’est pas une vertu qui a la cote. Adhérer aux AA, c’est en quelque sorte lâcher prise, réprimer cet égo qui nous rend souvent si orgueilleux et arrogants ; faire partie des AA, c’est accepter sa condition de « pécheur », c’est reconnaitre que la vie est un combat moral de tous les instants dans un monde peuplé de tentations.

Après ces prières, l’animatrice présente les personnes qui, ce soir-là, partagent un gâteau, symbole par excellence d’un anniversaire. Une jolie femme souriante dans la quarantaine souligne ses neuf années d’abstinence, un autre ses quinze ans, ma tante, bien connue et appréciée du groupe, car elle s’y investit sérieusement depuis des années, souligne ses quatre décennies sans alcool. Lorsque l’animatrice l’invite à se présenter devant l’auditoire, ses frères et sœurs se lèvent spontanément et entonnent notre chanson nationale. Ce soir-là, c’est bien à son « tour de [se] laisser parler d’amour »…

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Illustration : Louis Roy

Des moments à jamais interdits

Chaque anniversaire est précédé d’une courte présentation d’un proche du mouvement. Tous ces témoignages d’amitié, d’encouragement et d’admiration sont accueillis par des applaudissements nourris et généreux. L’animatrice présente aussi quelques nouveaux venus. L’un d’eux est dans la jeune vingtaine et salue timidement tous ces regards qui se tournent soudainement vers lui. Je me réjouis de voir un si jeune homme aller demander de l’aide, et en même temps je le plains de commencer sa vie d’adulte avec cette brèche de souffrance qu’il devra tant bien que mal colmater toute sa vie durant. Au milieu de sa famille ou de ses amis, il devra rester abstinent et trouver le moyen de célébrer des moments heureux en toute lucidité.

J’ai soudain repensé à ma propre vingtaine et à tous les moments dans des boites de nuit où, grisé par l’alcool, j’avais le sentiment d’échapper aux petites anxiétés qui habitent ceux qui retiennent leur souffle avant de plonger dans la vie active. Ces nuits blanches avec un ami ou une inconnue avec qui je me régénérais avant de poursuivre ma route, bien décidé à « faire quelque chose de ma vie », et qui m’aidaient à conserver un certain équilibre, ce jeune homme ne pourrait jamais les vivre. Ces moments de relâchement lui seraient à jamais interdits…

Un temps pour la parole

Le moment était venu d’entendre le témoignage principal. Tous les alcooliques ont une histoire à raconter, mais chez les AA comme ailleurs, tous n’ont pas le même talent pour « partager » et se raconter. La plupart n’ont pas le courage ou une certaine profondeur pour mettre en mots les abimes de souffrances vécues. Sur le lot, certains se démarquent cependant. Avec des mots simples et beaucoup d’authenticité, ils savent revenir sur leur cheminement. À mesure qu’ils se démarquent, ces témoins sont appelés à prendre la parole ailleurs dans un circuit impressionnant ; s’ils le souhaitent, ils peuvent parcourir le Québec et rencontrer d’autres femmes et d’autres hommes aux prises avec la même dépendance.

L’invité de la soirée était un gros gaillard de l’Abitibi. En une trentaine de minutes, il nous a raconté sa vie. L’alcool, expliquait-il, lui avait permis de surmonter ses complexes d’enfant constamment dévalorisé ; cette consommation excessive était devenue une béquille pour vaincre ses inhibitions, sa timidité, son manque de confiance. Il était devenu arpenteur, avait fondé une famille, mais son comportement erratique, ses brosses prolongées, toutes les journées et les nuits passées sans donner de nouvelles avaient eu raison de son couple. Les AA avaient été une planche de salut, un cercle de solidarité qui lui avaient permis de se reconstruire. Il y avait trouvé des mentors pour l’accompagner et le soutenir. L’exploration spirituelle offerte par le mouvement avait également changé sa vie. Après des études réalisées sur le tard, il était devenu aumônier dans une prison.

Lui qui avait tant douté de lui dans le passé s’était ouvert à la souffrance des autres. Cette manière de redonner donnait un sens à sa vie. Ce dénouement inattendu lui procurait visiblement une certaine sérénité.

Dans cette salle pleine à craquer, on aurait entendu une mouche voler. Tout en l’écoutant, il m’arrivait d’observer un homme debout, une femme assise caressant la main de son amoureux. Tous ces gens étaient là pour améliorer leur vie, trouver leur propre voie. Chacun avait menti, déçu ; chacun avait connu un parcours aussi sinueux que celui de notre conférencier. L’entendre ainsi se raconter devait avoir pour eux quelque chose d’apaisant. D’autres avaient souffert autant qu’eux ; d’autres avaient tenté d’échapper à cette spirale du déni qui les avait entrainés dans les sombres vallées du désœuvrement. Le « partage » était une manière comme une autre de réaliser que ce malêtre était très répandu, qu’il n’avait finalement rien de honteux.

Des amitiés différentes

Après sa conférence, l’aumônier s’est promené parmi nous, serrant la main aux uns et aux autres. Nous avons pris quelques photos avec ma tante pour immortaliser cet impressionnant 40e anniversaire. Elle était radieuse, fière de nous présenter à ses amies. Ces amitiés, je les sentais différentes de celles que nous entretenons généralement. Se nouent chez les AA des liens extrêmement puissants. C’est que les nouveaux membres sont presque toujours jumelés à un parrain qu’ils peuvent contacter à toute heure du jour ou de la nuit. Celles et ceux qui ont pris la parole ce soir-là ont tous remercié ces amis, complices, parrains ou marraines qui, un jour ou l’autre, avaient partagé une détresse ou été témoins d’un vertige.

Les AA sont comme nous. Ils ont parfois envie de célébrer un évènement heureux ou ressentent un vide passager, surtout lors des jours de fête. Les parrains trouvent alors les mots pour rappeler l’origine d’une démarche qui n’est pas toujours facile à vivre. Chez tous ceux qui ont pris la parole, j’ai senti une infinie gratitude pour les autres et pour la vie en général. Dans tous les discours entendus, aucun apitoiement, aucune victimisation, sinon pour comprendre certains réflexes, décisions et mieux appréhender ses failles et fêlures intimes.

Un témoignage à contrecourant

Parmi les magnifiques qualités que j’ai pu observer ce soir-là, cette gratitude est celle qui m’a le plus remué, touché ; cette gratitude habitait complètement l’espace, enchantait les rapports entre les uns et les autres. Cette atmosphère tranchait énormément avec l’air ambiant de nos sociétés qu’on dit si modernes et avancées, centrées sur les droits et une psychopop qui nous dresse les uns contre les autres, fait de nous d’éternelles victimes de nos parents, de notre famille et de la société. Nous nous tournons généralement vers la communauté comme des ayants droit ou des usagers, pour réclamer des services ou critiquer nos dirigeants. Dans les journaux, à la radio ou sur les réseaux sociaux, on carbure le plus souvent à l’indignation, on cherche des coupables à détester, des monstres à haïr, comme si le « mal » avait une adresse et que nous appartenions au camp du Bien.

Durant le confinement, nous avons remercié nos « anges gardiens » du milieu de la santé, et le premier ministre Legault n’a pas manqué de remercier une multitude de groupes au début de chacune de ses conférences de presse quotidiennes. De telles paroles étaient dignes, mais convenons que ces témoignages de gratitude sont rares, voire exceptionnels.

Dans le bus du retour, pas moyen d’ouvrir un livre. Après la découverte de ce monde parallèle qui m’était jusque-là étranger, je me sentais à la fois soulagé et reconnaissant. Soulagé d’avoir un rapport assez équilibré à tous les plaisirs qu’offre la vie – même si je ne suis pas à l’abri des excès… Lorsqu’une occasion se présente, planifiée ou improvisée, je peux boire sans mettre en danger mon équilibre. Par comparaison avec tous ces AA, c’est une bénédiction et je remercie le ciel d’avoir été épargné d’une telle dépendance.

Espaces d’humanité

En même temps, je ne sais trop comment je réagirais si j’étais frappé par un terrible malheur : un accident grave qui me clouerait sur une chaise, la mort subite de ma femme ou de l’un de mes enfants, etc. Pour anesthésier la douleur et échapper au réel, serais-je tenté de fuir dans l’alcool ? Parce que j’ignore de quoi l’avenir est fait, que le malheur pourrait un jour frapper, je suis reconnaissant qu’existe le mouvement des Alcooliques anonymes.

Dans les replis discrets d’une société civile qu’on dit souvent décomposée, fragmentée, force est de constater qu’il existe encore des espaces d’humanité où l’on peut trouver des êtres capables de donner.

En sortant de ce premier meeting, je savais qu’il existait, quelque part, près de chez moi, des gens généreux, capables de m’accueillir, de m’écouter et de me soutenir. Chez les AA, aucun rapport marchand, aucune « transaction », aucun service d’experts autorisés, que des femmes et des hommes de bonne volonté prêts à témoigner et à aider leurs semblables.


Éric Bédard

Historien et professeur à l'Université TELUQ, Éric Bédard est aussi vice-président de la Fondation Lionel-Groulx, dédiée à la promotion de l’histoire du Québec. Il est notamment l’auteur de Survivance (Boréal, 2017) et de L’histoire du Québec pour les nuls (First, 2019).