Localisation
Photo: Kyle Nieber / Unsplash

La localisation du monde

C’était il y a à peine 30 ans. La promesse d’un monde sans frontières accroissant la prospérité et le bonheur de tous battait son plein. Un mot était sur toutes les lèvres: mondialisation. La rapidité avec laquelle cette promesse s’est évanouie est fascinante. Aujourd’hui, le changement de paradigme est clair: place à la localisation!

Le gouvernement du Québec a récemment adopté le projet de loi 12 visant à favoriser l’achat local sur les marchés publics. On sait ce qu’en auraient pensé, il y a peu, la plupart des élites politiques et financières: «rétrograde!», «passéiste!», «chauvin!». Les temps ont changé. «Buy American», «Produits du Québec», «Fait en UE»: l’économie mondiale se transforme, et avec elle plusieurs facettes de nos vies.

C’est notamment la thèse qu’étaye le professeur français Cyrille P. Coutansais dans son récent livre, La (re)localisation du monde (2022, CNRS Éditions). Bardé de statistiques, écrit avec structure et précision, l’ouvrage du spécialiste en économie maritime est une mine d’informations pour comprendre les limites de l’Ancien Monde et les possibilités du nouveau.

Économie du lego

Localisation

Car l’économie mondialisée, ou ce que Coutansais nomme «l’économie du lego», se heurte aujourd’hui à des limites autant physiques (épuisement des ressources naturelles, entassement croissant des déchets, réchauffement climatique) que morales et politiques: durcissement des frontières, conflits armés, scandales alimentaires et sanitaires. On se rappellera, par exemple, l’affaire du lait maternisé chinois, qui a infecté en cette faste année 2008 des dizaines de milliers de poupons, et pour cause: le lait était truffé de mélamine pour le faire apparaitre plus riche en protéines.

Voilà bien une faiblesse majeure de l’économie du lego: différentes composantes produites et transformées dans différents pays font en sorte qu’il est presque impossible de retracer le cycle de vie des produits que nous consommons, et encore moins de s’assurer de la qualité et de l’éthique du contractant à toutes les étapes.

 C’est ici que le «produit localement» et autres étiquettes prennent tout leur sens. Le consommateur, surtout celui issu des pays riches, cherche aujourd’hui un produit de qualité qui n’affectera ni sa santé (bio) ni sa conscience morale (éthique). Et de plus en plus, il cherche un produit personnalisé, pour consommation immédiate de surcroit. L’avantage d’une production et d’une distribution locales est ici évident. Avec des réseaux courts, les entreprises peuvent répondre facilement à la demande et stabiliser leurs chaines de production. Sans compter que la robotisation et la numérisation des usines leur permettent maintenant de faire tout cela à moindre cout, rapidement, et donc sans la nécessité d’un stockage de surplus dont une partie finira à la poubelle.

De nouvelles possibilités

La relocalisation du monde pourrait ainsi repousser les limites qui freinent actuellement la mondialisation. Le local devient un lieu stratégique pour les acteurs économiques, mais aussi un «eldorado de ressources», pour reprendre les mots du professeur Coutansais. Par exemple, les déchets sont toujours « locaux », et c’est donc localement qu’ils peuvent être mieux récupérés et revalorisés, grâce à des partenariats et à des « synergies industrielles », pour reprendre un terme consacré. Ou encore, la production d’énergie in situ, à l’aide d’éoliennes ou de panneaux solaires, permet une plus grande autonomie et une meilleure flexibilité, au bénéfice des producteurs et des consommateurs.

Bien sûr, dans notre configuration géopolitique, local rime avec national. Les maitres du jeu sont encore les États et les grandes entreprises. Toutefois, la reconfiguration économique et sociétale doit se faire également aux échelons inférieurs: celui de la ville, et même celui du quartier.

Les avantages sont nombreux, notamment quant à la réduction des déplacements, et donc des émissions de gaz à effet de serre. Mais encore plus, consommer et produire à l’échelle locale permet des interactions plus nombreuses et plus personnelles avec nos concitoyens, nos voisins. Cette dimension n’est malheureusement pas explorée dans l’ouvrage.

La localisation du monde est en effet un appel à la présence, à la responsabilité et à l’attention. Présence: connaitre et interagir avec ceux qui nous nourrissent ou nous fournissent des services au quotidien. Responsabilité:  envers la Création, la planète et ses habitants les plus vulnérables. Attention: à ce qui nous entoure, à ce qui sort de notre portefeuille et à ce qui entre dans notre bouche…

Bref, voilà une invitation à un nouvel enracinement, pas toujours confortable, mais qui portera certainement ses fruits.

Pour aller plus loin : Cyrille P. Coutansais, La (re)localisation du monde, CNRS Éditions, 2022.

Maxime Huot-Couture

Maxime œuvre en développement communautaire dans la région de Québec. Il a complété des études supérieures en science politique et en philosophie, en plus de stages à l'Assemblée nationale et à l'Institut Cardus (Ontario). Il siège sur notre conseil éditorial.