[N.D.L.R.] Une clé de lecture est importante pour bien interpréter ce texte: la notion d’homosexualité réfère ici à la présence des attirances et non des actes. L’auteur s’interroge sur la possibilité d’un continuum entre le prêtre, modèle de virilité sacrificiel, et les hommes ayant des tendances homosexuelles. Des modifications ont été apportées au texte le 20/11/8h45.
L’Église catholique a changé de ton face aux homosexuels. Cela dit, l’homosexualité ne saurait mener au mariage, ni même à l’union civile, malgré un malentendu sur les récents propos du pape François. Mais au-delà de la morale ou de l’amour, l’homosexualité ne remplirait-elle pas une fonction anthropologique, valable universellement ? Et la stérilité biologique de l’amour homosexuel, qui ouvre la voie à une disponibilité universelle, n’est-elle pas un des signes de l’inutilité du Christ et de la gratuité du don de Dieu ?
Que l’Église devient soudainement intéressante dès qu’il est question d’homosexualité ! Ce corps que l’on dit misogyne, homophobe, hiérarchique, en retard sur le vrai monde, serait arcbouté sur un moralisme que, de surcroit, il ne respecterait pas lui-même.
Dernier hoquet médiatique en date : l’option papale pour l’union civile des couples de même sexe. Pourquoi pas, puisque les gais sont aussi enfants de Dieu, dignes d’aimer et d’être aimés ? Et qui est le pape, selon ses propres mots, pour juger un homosexuel si sa quête de Dieu est sincère ? Qui est-il, à fortiori quand on sait que plusieurs serviteurs de l’Église éprouvent eux-mêmes des attirances sexuelles semblables ? La question ici n’est pas d’en expliciter le nombre, car on n’est pas dans les statistiques ni dans le déballage.
Alors, dogmatisme étouffant, hypocrisie, omerta ?
En fait, le pape utilise le terme espagnol convivencia (coexister), sans connotation juridique, et surtout pour souligner l’inclusion des homosexuels dans une communion. Il ne parle pas d’union civile, encore moins de mariage, dans la mesure où l’invariant anthropologique transculturel et transhistorique n’institutionnalise cette union qu’entre un homme et une femme. La distinction se comprend dans la mesure où ce n’est pas seulement le sentiment qui fonde l’institution. Celui-ci est insuffisant, même si l’amour entre deux personnes de même sexe peut être fort et authentique, qu’il s’agisse de passion (eros), d’amitié (philia) ou d’un mélange des deux.
Comment et où donc ranger ces hommes et ces femmes dans le plan de Dieu qui inciterait exclusivement à l’hétérosexualité ?
Face à cette loi d’airain, les progressistes citeront à l’appui de leurs revendications les souffrances innombrables des homosexuels ainsi que leurs qualités et leurs contributions sociales. Ils souligneront par ailleurs le mérite ou les qualités personnelles d’êtres d’exception, tels que Michel-Ange, Léonard de Vinci, Marguerite Yourcenar, Alexandre le Grand, Jules César et tant d’autres génies qui en étaient, selon la merveilleuse expression de Proust.
Cela dit, la souffrance, l’intelligence, le mérite ou, dans peu de cas, le génie, suffisent-ils à attribuer une fonction à l’homosexualité ? Comment et où donc ranger ces hommes et ces femmes dans le plan de Dieu qui inciterait exclusivement à l’hétérosexualité ?
Si la personne homosexuelle ne pose pas problème, l’homosexualité, elle, demeure une patate chaude, que l’on soit croyant ou non, laïc ou consacré.
Où donc nicher les homosexuels ?
J’évoquais ci-dessus l’invariant anthropologique du mariage entre un homme et une femme. C’est ici qu’on remarque une carence tant dans le discours religieux « conservateur » que dans le discours progressiste « ouvert ».
Le Catéchisme de 1992, qui s’appuie sur la Sainte Écriture et la Tradition, a certes changé de ton face à ces personnes qu’il faut accueillir « avec respect, compassion et délicatesse ». C’est tout de même mieux que l’ancienne condamnation liée à la contre-nature. Il n’empêche, les actes d’homosexualité n’y sont pas moins proscrits car désordonnés et contraires à la loi naturelle.
Côté progressiste, ce n’est guère plus brillant, car on prend l’exact contrepied, troquant l’ordonnancement et la finalité divins pour l’absolutisation de la souffrance et du sentiment de la personne arc-en-ciel éprise de justice, de liberté, de reconnaissance, d’humanité. Ce faisant, on se situe au même niveau que les pourfendeurs de la contre-nature. On oppose ainsi deux visions censées expliciter et résumer entièrement, d’un côté, le vouloir divin et, de l’autre, l’appel humain.
C’est réducteur de part et d’autre.
Une question anthropologique
Ces arguments, divin ou humain, ne sont pas faux, mais ils passent à côté de l’interrogation fondamentale : avant d’être une question morale ou affective, l’homosexualité remplit-elle une fonction anthropologique ?
Autrement dit, à quoi sert l’homosexualité, culturellement et socialement ? Correspond-elle à un invariant, propre à l’homme et à la femme, que l’on pourrait éventuellement universaliser ?
En outre, si l’union d’un homme et d’une femme se concrétise dans le mariage et la fondation d’une famille qui constituera le socle de la société, quelle est la destination de l’amour homosexuel dans sa carnalité ? Parallèlement, est-il légitime de considérer cette relation selon l’horizon et les critères de l’hétérosexualité ?
Il n’est pas fortuit, comme je le disais plus haut, que nombre de prêtres aient des appétences homosexuelles. Curieusement, à une époque où le sacerdoce n’était pas remis en cause et où les vocations étaient nombreuses, l’homosexualité masculine était passée sous silence.
Aujourd’hui, la question s’est inversée : la crise des vocations sacerdotales s’accompagne d’une publicisation sociale de l’homosexualité. Simple coïncidence ? Y aurait-il un effet de vases communicants, quand on considère notamment que le sacerdoce catholique est une chasse gardée masculine ?
Ainsi, dans une société à charpente chrétienne, le prêtre à appétences homosexuelles trouverait de quoi sublimer sa sexualité afin de devenir frère universel, pasteur, sacrificateur et résurrecteur in persona Christi.
À l’inverse, dans un contexte fortement déchristianisé, cette impulsion qui perd son idéal structurant ne retombe-t-elle pas à sa composante purement humaine et érotique ? (Retomber n’implique nullement un jugement de valeur, mais plutôt une perte de divinisation.)
Si continuum il y a, la distinction fondamentale ne serait plus l’objet d’attirance sexuelle, mais la présence ou l’absence d’idéal structurant et finalisant. Autrement dit, l’homosexualité d’aujourd’hui traduirait le même élan masculin premier que le sacerdoce d’antan. Et est-ce que le choix d’un état ou de l’autre dépendrait de la présence du ferment et de l’idéal christiques ?
Un tremplin vers une autre valeur
En l’absence de signifiant christique et indépendamment de la question du célibat, la stérilité biologique de l’amour homosexuel, qui ne peut concevoir, est-elle malgré tout un tremplin vers une autre valeur ?
La question mérite d’être posée en dehors de tout moralisme ou de toute référence à la nature ou à la contre nature. Elle mérite d’être posée quand on remarque que si la paternité arrime l’homme à sa famille, l’homosexualité détache l’homme de ces obligations et le rend plus disponible à plus de monde. Comme le prêtre. (Je n’évoque pas le cas d’un père de famille sorti du placard.)
Ainsi, le père est mari pour sa femme et père pour ses enfants, il agit dans le particulier. En revanche, le prêtre est prêtre pour tout le monde, sa préoccupation est universelle, quoiqu’ordonnée à une structure ecclésiale. Si on file le parallèle avec l’homosexuel, marqué par une disponibilité universelle, quelle est sa structure à lui ? Question vaste à laquelle on ne peut répondre que par des éléments de réponse incomplets.
Prenons par exemple les soins de santé où nombre de préposés aux bénéficiaires, authentiquement dévoués, sont homosexuels. Les domaines du beau offrent une autre structure, où l’on retrouve beaucoup d’artistes et de créateurs de la même orientation. L’armée, tout hétéronormée soit-elle, constitue une structure vouée à l’oubli de soi, à la défense de la patrie, des ancêtres, de la veuve et de l’orphelin (ce qui est, soit dit en passant, hypervirilisant).
Finalement, et de façon bien moins formelle, l’univers religieux offre un climat qui attire énormément d’homosexuels sensibles à la détresse humaine, au mystère divin et à la solennité et l’apparat du rituel.
Une hirondelle ne fait certes pas le printemps, mais on ne peut s’empêcher ici de songer au compositeur Francis Poulenc (1899-1963), homosexuel notoire : aucun autre musicien n’a aussi profondément saisi les univers de Bernanos ou de saint François d’Assise, comme en témoignent ses Dialogues des carmélites ou ses Quatre Petites Prières de saint François d’Assise.
Ainsi, l’« inutilité » biologique de l’amour homosexuel serait-elle un écho de l’inutilité matérielle de l’art, du beau, du bon ou du sacrifice ? Et, au-delà, un écho de l’essentielle « inutilité » du Christ, resté sans enfants, frère universel mort dans la solitude après avoir aimé son prochain au-delà de tout et l’avoir mis face à lui-même et face à Dieu ? En fin de compte, qui sait si cette stérilité n’est qu’apparente, à l’image des signes de la gratuité par laquelle Dieu se manifeste ?