Depuis quelque temps déjà, l’actualité nous submerge de nouvelles sur la politique. Que ce soit les élections américaines, les primaires françaises ou les élections partielles au Québec, les médias, analystes, chroniqueurs et partis politiques n’ont de cesse de nous manifester l’importance des enjeux et du processus électoral de nos démocraties.
Manifestement, l’Église ne manque pas le bateau avec la publication du document du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France intitulé Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique.
Puisque, comme tous les citoyens, les catholiques doivent prendre leurs responsabilités en s’informant et en s’engageant dans la vie sociale et politique de leur pays, les évêques français ont cru bon de leur fournir cet instrument.
Se voulant une réflexion sur les enjeux clés de la politique française, ce texte d’environ quinze pages est une réflexion en profondeur, à la fois, sur notre époque et sur le climat politique en France.
Et, proposant différentes pistes de solution pour faire face aux défis des prochaines années, il peut nous être utile à nous aussi au Québec. Prendre un peu de hauteur en offrant une « réflexion plus fondamentale sur le politique en lui-même » afin que puisse s’effectuer ce « travail de refondation » m’apparait nécessaire.
Un monde en transformation
Notre époque est clairement caractérisée par la mobilité. Bien que certaines tendances portent vers un certain isolationnisme, la logique ambiante tend à la libre circulation des biens et des personnes. Accélérées par des progrès technologiques prodigieux, ces nouvelles relations entrainent de nombreux changements de perspectives et créent des inquiétudes et des craintes.
Ce qui « semblait enraciné et stable est devenu relatif et mouvant ». C’est le phénomène de la modernité « liquide » tel que défini par le philosophe Zygmunt Bauman. Les différences ne se situent plus seulement dans les différentes options politiques émanant d’une culture commune, mais entrainent de plus en plus des divergences profondes sur des « notions traditionnelles et fondamentales de Nation, Patrie, République [qui] sont bousculées et ne représentent plus la même chose pour tous ».
On peut interpréter ainsi la dernière Une du Times Magazine intitulée « President of the Divided States of America ».
Dans ce contexte, il est clair que la parole et les mots jouent un rôle central puisque ce n’est que par le dialogue qu’une solution pourra surgir. En ce sens, les évêques invitent à la responsabilité de chacun.
En effet, dans une société prise au piège « des images ou des apparences », d’une « culture de l’affrontement » où « la contestation est devenue mode de fonctionnement », tout cela accentué par les hautparleurs que sont les médias sociaux, la recherche de la vérité doit être plus que jamais au centre des débats.
Au-delà des querelles idéologiques et partisanes, les acteurs de la société civile et les politiques doivent chercher, selon les évêques français, à s’inscrire dans cette culture de la rencontre telle que décrite par le pape François. Ce qui implique le sacrifice de s’inscrire dans une nouvelle logique politique qui accepte « d’inscrire son action dans le temps long ».
Ainsi, ayant comme priorité la recherche du Bien commun et le dialogue franc qui ne se contente pas de simples stratégies et calculs politiques, ils pourront retrouver cette crédibilité perdue.
Vers un dialogue politique nouveau
Le document des évêques de France s’appuie sur un constat, celui de l’échec de l’État-providence. En effet, « il y a un sentiment de déception vis-à-vis de l’État-providence qui n’arrive pas à satisfaire les attentes ».
Le spectre de la pauvreté, qui avait subi un recul important depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, refait son apparition. Peur de « subir un déclassement dans leur niveau de vie », « chômage », « insécurité sociétale », « Islam », « malaise identitaire », « menaces écologiques », « exclusion sociale », et « difficulté pour les jeunes d’accéder au marché du travail » ne sont que quelques exemples des difficultés actuelles de la Fille ainée (et benjamine) de l’Église.
Comment sortir de ce marasme alors que chaque tentative d’en sortir semble empirer les choses ?
Mettre de côté l’intérêt individuel de la logique partisane n’est cependant qu’un premier pas. Aussi, la parole vraie et responsable dans le débat public fait face à un autre obstacle; un défi, peut-être encore plus coriace, et qui se dresse, lui aussi, sur le chemin d’une guérison démocratique : les idéologies.
Y a-t-il aujourd’hui alibi plus puissant que celui nous empêchant de considérer l’autre parce qu’il promeut des idées différentes des nôtres, qu’elles soient de gauche ou de droite ?
Comment briser les murs idéologiques qui nous séparent socialement et se reflètent dans nos parlements ?
Deux pistes de solution
« Puisqu’il faut du temps pour que des conceptions, des attitudes changent, que des projets s’élaborent, soient reçus et deviennent réalité […], il faut accepter que le temps des récoltes ne soit pas celui des semences ».
Penser à l’avenir signifie préparer ceux qui nous succèderont, sur cette terre et dans notre pays, à assumer l’aspiration de tout homme à s’épanouir dans la réalisation de sa vocation au don de lui-même.
Les « prêts-à-porter idéologiques de tous bords » réduisent l’homme à son plus petit dominateur commun : un consommateur égoïste.
Or, à l’heure actuelle, les « prêts-à-porter idéologiques de tous bords » tendent à réduire l’homme à son plus petit dominateur commun : celui d’un consommateur égoïste ne pensant qu’à l’assouvissement de son besoin de jouissances toujours plus grand.
Ainsi, l’heure est à l’engagement et au témoignage pour la défense des principes fondamentaux d’une société juste tels que l’état de droit, la famille, l’éducation et la protection de la vie de la conception à la mort naturelle. Même si « cet engagement peut prendre des formes différentes, [et qu’il] faut parfois donner un témoignage de fermeté, que celle-ci ne devienne jamais raideur et blocage ».
À plus long terme, les évêques de France proposent de reconsidérer une dimension de l’existence humaine parfois négligée par le politique et dont le génie orchestré pour obtenir son occultation n’a d’égal que la sévérité des problèmes que celle-ci engendre. Les « questions de sens » sont encore marginalisées dans le débat public et, lorsqu’elles le sont, elles s’expriment avec un amateurisme que l’on ne tolèrerait jamais lorsque l’on traite de matières sérieuses comme la politique ou l’économie.
Il est évident que nous sommes encore socialement pris au piège avec cette mauvaise interprétation du principe de « laïcité » qui, conçu comme « un projet de société » tente d’expulser la religion « de la sphère publique vers le seul domaine privé où elle devrait rester cachée ». En ce sens, penser que la société pourrait se passer des institutions religieuses telles que l’Église catholique est un mirage qui a un cout humain et social.
Travailler à l’élaboration d’une nouvelle culture ouverte aux questions de sens ne pourra passer que par l’ouverture à l’implication de l’Église en éducation et en lui donnant la liberté requise à l’exercice de sa mission. Contrairement à ce que l’on a vu cette semaine en France avec la loi sur le soi-disant « délit d’entrave » et qui aura tôt fait de porter des fruits chez nous.
Appel à la créativité
Face aux difficultés qui émanent des transformations actuelles, « le fonctionnement gestionnaire, marchand et normatif » ne semble plus être à la hauteur des enjeux qui se dressent dans nos sociétés occidentales.
Devant la disqualification graduelle de « l’autorité de l’État », nous sommes appelés à être créatifs pour faire face aux défis qui se présenteront dans les prochaines années. En ce sens, le document Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique me semble un outil de choix qui saura stimuler la réflexion de tous ceux qui ont à cœur le Bien commun.