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Photo: Charles D./Unsplash

Les « péchés systémiques » de la porno

Abus sexuels, trafic humain, exploitation de mineurs. Les révélations-chocs du New York Times sur les dessous du site canadien Pornhub semblent avoir provoqué un réveil des consciences. Pourtant, depuis plus de 20 ans, des scientifiques nous alertent sur les liens intimes entre pornographie et culture du viol1.

Même si la porno existe depuis toujours (les Grecs anciens peignaient des images sexuelles sur leurs poteries), elle est incomparablement plus répandue et accessible de nos jours.

Sans surprise, c’est avec Internet que tout a changé. Entre 1998 et 2003, les années folles de l’expansion du Web, le nombre de sites pornographiques a augmenté de 1 800 %.

Aujourd’hui, on estime que son commerce légal et illégal génère entre 100 et 200 milliards de dollars par année, ce qui en fait l’industrie « culturelle » la plus lucrative au monde. 

Mais ce qui est le plus problématique, c’est qu’au fur et à mesure que la porno gagne en popularité, elle devient aussi de plus en plus sombre et extrême.

Dans notre monde post-Playboy, l’industrie du X présente maintenant sans retenue la dégradation, l’abus et l’humiliation des êtres humains d’une manière jamais vue auparavant dans les médias de masse.

Son omniprésence entraine des changements de mentalités et une banalisation de la violence sexuelle.

La porno s’avère l’un des pires ennemis de tous ceux qui veulent lutter contre la montée d’une « masculinité toxique ».

De très nombreuses études scientifiques le démontrent, la porno « pèche » socialement aussi bien en pensée, en parole, par action que par omission.

Quelques statistiques

  • 12 % de tous les sites Internet sont des sites pornographiques.
  • 25 % de toutes les requêtes sur les moteurs sont reliées au sexe.
  • 33 % des consommateurs sont des femmes.
  • 70 % des hommes en consomment au moins une fois par mois.
  • 11 ans est l’âge moyen de première exposition à la pornographie.
  • Dimanche est le jour de la semaine où le plus de gens consomment de la porno.

En pensée

Même au cœur d’une culture chrétienne (voire puritaine, à bien des égards), 43 % des Américains considéraient en 2018 la pornographie comme morale, soit une augmentation de 7 % en une seule année.

Plusieurs études scientifiques2 menées ces 20 dernières années ont montré que les personnes qui consomment des vidéos pornographiques sont beaucoup plus susceptibles de croire que le sexe en groupe ou des actes sexuels dangereux sont choses tout à fait communes et normales.

Les recherches du réputé sociologue féministe Michael Kimmel ont mis en lumière comment les fantasmes sexuels des hommes sont aujourd’hui fortement influencés par les vidéos pour adultes, conduisant parfois à la reproduction d’actes dégradants, violents, voire dangereux3.

Une étude du Journal of Sex Research parue en 2015 sur l’impact de la pornographie sur les adolescents a conclu que les principaux messages qu’ils en retiennent sont : la domination masculine, l’hypermasculinité et la normalisation de l’idée que le plaisir sexuel masculin est la priorité absolue de toute relation sexuelle.

La porno s’avère ainsi l’un des pires ennemis de tous ceux qui veulent lutter contre la montée d’une « masculinité toxique ».

En parole

La porno n’affecte pas seulement les pensées, mais aussi les discours.

De nombreuses recherches4 ont confirmé que les consommateurs de pornographie sont plus susceptibles de soutenir des déclarations qui encouragent les abus et les agressions sexuelles envers les femmes et les jeunes filles.

Les images et les messages que l’industrie du sexe véhicule ont radicalement changé ces dernières années. Le contenu extrême est la nouvelle norme. La pornographie dite « douce » (soft) a pratiquement disparu.

https://radiopublic.com/on-nest-pas-du-monde-8QYjvP/s1!29ab4
Écoutez Simon Lessard à On n’est pas du monde parler de la pornographie.

En février 2018, le magazine Esquire titrait : « L’inceste est la tendance qui se développe le plus rapidement dans le domaine du porno ».

En 2010, la revue Violence Against Women a fait état d’agressions physiques dans 88,2 % des scènes de vidéos pornographiques populaires et d’agressions verbales dans 48,7 % des cas, dont 94,4 % visaient des femmes et des filles.

Mais ce qui est le plus dangereux socialement, c’est que le résultat de ces agressions était presque toujours le même : la victime réagissait avec plaisir ou n’avait pas de réaction du tout.

En d’autres termes, dans la porno, les gens se font insulter et tabasser avec le sourire !

Par omission

La pornographie est non seulement dangereuse socialement à cause de ce qu’elle montre, mais aussi à cause de ce qu’elle cache.

Elle modifie notre perception de la sexualité humaine en montrant une image faussée de la réalité. Par exemple, elle supprime presque toujours les « préliminaires », ainsi que les discussions, câlins, contacts affectifs et autres façons dont les partenaires répondent aux besoins et aux préférences de l’autre.

Elle cache aussi systématiquement des conséquences négatives de comportements sexuels violents ou irresponsables. Personne ne contracte jamais d’infections sexuellement transmissibles dans les films XXX. Il n’y a pas de grossesse non planifiée, pas de cancer du col de l’utérus, pas de parasites intestinaux, pas de déchirure de la peau ni d’ecchymoses.

Par action

La pornographie ne fait pas que modifier la perception de la réalité, elle influence aussi les comportements.

De nombreuses études5 ont montré que les consommateurs de vidéos pour adultes sont plus susceptibles de recourir aux menaces, aux drogues et à l’alcool pour contraindre les individus à avoir des relations sexuelles. 

Il a été démontré aussi que les hommes qui regardent de la pornographie sont sans surprise plus susceptibles d’aller vers des femmes prostituées6.

Dans une enquête sur la violence faite aux femmes menée auprès d’anciennes prostituées, 80 % ont déclaré que leurs clients leur avaient montré des images pornographiques pour illustrer ce qu’ils voulaient faire avec elles, leur demandant ainsi des actes toujours plus dégradants et violents7.

En 2016, après avoir examiné 22 études sur le sujet, une équipe de chercheurs a conclu que les recherches laissaient « peu de doute qu’en moyenne, les individus qui consomment de la pornographie plus fréquemment sont plus susceptibles d’avoir des attitudes favorables à l’agression sexuelle et de se livrer à des actes d’agression sexuelle ».

Une autre recherche portant sur les agressions sexuelles a montré quant à elle que les personnes les plus exposées à la pornographie violente avaient six fois plus de chances d’avoir déjà commis un viol que celles qui y avaient été peu exposées par le passé.

Bien sûr, tous les consommateurs de porno ne vont pas se transformer en abuseurs. Mais cela ne change rien au fait que l’industrie du X renforce le message selon lequel l’humiliation et la violence sont normales dans la vie sexuelle. Elle accroit ainsi le sentiment de ne pas pouvoir dénoncer des abus que la société considère de plus en plus comme des comportements acceptables.

Lutte rassembleuse

Pour être cohérente avec son appel à l’égalité des sexes et à la fin des agressions sexuelles, notre société se doit aussi de dénoncer les effets pervers de la pornographie. Les liens entre les deux sont trop intimes et démontrés scientifiquement pour être encore ignorés.

On peut même dire que la pornographie est à l’origine d’une nouvelle injustice systémique. Oui systémique. Le mot est bien choisi. Car ce phénomène touche toutes les sphères de la société : institutions et lois, médias et technologie, économie formelle et crime organisé, santé et éducation, etc. Il va jusqu’à modifier nos idées, valeurs et comportements, nos consciences et notre inconscient. 

Heureusement, le réveil modéré, mais réel, auquel on assiste depuis quelques mois sur cet enjeu nous offre une lueur d’espoir. Pour une rare fois, on voit des scientifiques, des féministes, des croyants et des politiciens lutter ensemble contre cette menace à la dignité humaine, spécialement celle des femmes. 

 Qui l’eut cru, la porno qui fait œuvre d’unité !


Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.